• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : un regard historique et socio-culturel

4) La naissance d’une méthode thérapeutique : le modèle soviétique

Les premières expérimentations humaines concernant le jeûne thérapeutique datent des années 1970 en URSS.

Un psychiatre de l’époque le Dr Youri Nicolaev s’oppose à l’avènement des neuroleptiques apparus dans les années 1950 en matière de traitement curatif des maladies mentales, les jugeant inefficaces sur le long terme et pourvoyeurs d’effets secondaires. Il décide de traiter ses malades atteints de schizophrénie par des cures répétées de jeûne, en basant l’analyse de ses résultats sur l’observation de l’amélioration des symptômes. Il s’aperçoit que la forme hypochondriaque de la maladie répond particulièrement bien à ce traitement et que la dysmorphophobie et les idées délirantes des patients s’estompent peu à peu. Il élargit ensuite ses indications pour les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) avec les même résultats probants. Il définit clairement un protocole de traitement par le jeûne qu’il appelle « RDT », le « régime de décharge thérapeutique » qui se compose de cinq étapes :

-

privation totale de nourriture : les 2 à 3 premiers jours marqués par une perte de poids rapide, la faim, une irritabilité, des troubles du sommeil et des crampes intestinales avec parfois une exacerbation des symptômes. L’hémodynamique quant à elle reste stable.

-

la phase d’acidose : entre le troisième et le cinquième jour avec une disparition de la faim mais pouvant s’accompagner d’états nauséeux, de vertiges et sensation de faiblesse de l’organisme .

-

la phase de compensation et d’équilibre : entre le quatrième et le septième jour où l’état thymique du patient s’améliore, la faiblesse disparait et la perte de poids se stabilise à 200g de perte par jour.

-

la rupture du jeûne : phase de ré-alimentation progressive par jus avec reprise du transit.

-

la ré-alimentation normale : entre le quatrième et le sixième jour , un retour de l’appétit avec une normalisation de la tension et de la glycémie. Une amélioration des symptômes du patient en cas de réussite.

Thierry DE LESTRADE, « le jeûne, une nouvelle thérapie ? » , éditions La découverte , Arte

22

Au total le Dr Nicolaev aura supervisé 7000 cures d’une durée moyenne de trente jours et le 3 Avril 1972, un article du Los Angeles Times expose pour la première fois ces 23

expérimentations au grand public outre Atlantique dans le contexte de guerre froide. Satisfait de ces travaux mais estimant qu’ils se faisaient de manière empirique il décide alors de solliciter le gouvernement soviétique pour l’aider à confirmer ses recherches. Fort de notoriété après la parution de son ouvrage en 1973 intitulé « La santé par le jeûne » , un plan d’étude sur les effets du jeûne sur les maladies somatiques est défini 24

à l’échelle de l’Union Soviétique la même année.

C’est le Docteur Alexandre Kokosov, directeur de l’institut de pneumologie de Leningrad (devenue Saint-Petersbourg) qui reprend la direction de ces recherches au sein de sa discipline après avoir lui-même expérimenté le jeûne. L’indication de référence devient alors l’Asthme bronchique et le critère de jugement principal, l’amélioration de la qualité de vie des patients avec la diminution des traitements médicamenteux. Lors de ses observations il en vient à définir un nouveau concept hypothétique : la capacité d’autoguérison propre à l’organisme.

C’est la « sanogenèse » qu’il compare à la « pathogenèse », qui est quant à elle, le processus de fabrication des maladies.

Il explique lors d’une entrevue avec l’équipe journalistique de Thierry de Lestrade en 2010 que ce processus serait en lien avec un stress positif de l’organisme face au jeûne qui serait différent du stress négatif que peut engendrer une famine. Ce stress engendrerait des mécanismes d’adaptation de l’organisme qui se traduisent par un important bouleversement hormonal et neuro-endocrinien. Il affirme que les recherches scientifiques actuelles le démontrent.

Son successeur et associé le Dr Sergueï Osinine complète cette hypothèse dans l’asthme en étudiant au microscope la réaction des cellules mastocytaires face au jeûne : au bout de douze jours de jeûne l’histamine diminue.

Murray SEEGER, « Soviet cure-all : eat nothing for 30 days », Los Angeles Times, 3 Avril 1972

23

Youri S.NICOLAEV , « La Santé par le jeûne » , 1911 .

Lors de cette interview il énonce au sujet de l’asthme : « je vais le répéter encore une fois

parce que c’est très important, lors du jeûne, on élimine les facteurs qui provoquent la maladie , qui déclenchent les spasmes et les oedèmes, on efface les racines de l’asthme ».

Les études se multiplient dès lors en Union Soviétique avec pour exemple les recherches sur le tube gastro-intestinal menées par le professeur Valéry Maximov à l’Institut de la nutrition de l’Académie des sciences de Moscou.

En 1988, dans une volonté d’inscrire la pratique du jeûne dans une mission de Santé Publique l’Etat soviétique établit des indications et contre-indications à la réalisation de cette méthode et organise un remboursement des soins.

-Indications : pathologies des bronches, pathologies cardio-vasculaires, pathologies gastro-intestinales, pathologies endocriniennes, pathologies articulaires ou osseuses, pathologies de la peau.

-Contre-indications : cancer, tuberculose, hépatite chronique, diabète de type 1, hyperthyroïdie, thrombophlébite , anorexie mentale.

En 1991 l’éclatement de l’Union Soviétique marquera la fin de son système de remboursement des soins. La pratique de cette méthode étant cependant bien intégrée dans les mentalités les cures de jeûne se poursuivent encore à l’heure actuelle mais sont désormais devenues payantes.