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CHAPITRE 2 CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE

I- 1 Nécessité d’une double approche

Notre recherche concerne les pratiques d’enseignants du primaire lorsqu’ils proposent, en cours de mathématiques, des problèmes ouverts. Nous étudions les pratiques enseignantes afin de les comprendre. Le chapitre précédent montre que le problème ouvert® existe depuis les années quatre-vingts cependant les objets de savoirs visés restent flous (Hersant, 2010). Par ailleurs, l’injonction officielle qui depuis l’année 2008 vise le développement chez tous les élèves de cycle 3 de capacités de recherche et de raisonnements n’est pas explicite sur la question de l’utilisation ou non de problèmes ouverts® en classe. Notre recherche ne se limite donc pas au fonctionnement en classe mais doit tenir compte également de facteurs extérieurs comme les représentations personnelles des professeurs des écoles concernant l’enseignement des mathématiques. C’est pourquoi un travail dans le cadre théorique de la double approche didactique et ergonomique nous semble nécessaire. Notre étude s’apparente en cela à des recherches menées depuis les années quatre-vingt-dix sur les pratiques des professeurs de mathématiques et la formation (Robert, 2001), dans une approche ergonomique de la pratique des enseignants (J. Rogalski, 2000), sur les pratiques de l’enseignement de la multiplication des nombres décimaux en classe de sixième (Roditi, 2001), sur les pratiques de professeurs des écoles débutants en zone d’éducation prioritaire (Butlen, Peltier-Barbier, Charles-Pézard, Masselot, 2004). Toutes ces recherches s’intéressent particulièrement à l’enseignant et portent sur les pratiques ordinaires de professeurs de mathématiques ou de professeurs des écoles qui ne sont pas eux-mêmes investis dans des recherches en didactique des mathématiques. Elles prennent en compte ce que les enseignants donnent à voir

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simplement en ouvrant la porte de leurs classes, en dehors de toute ingénierie proposée par des chercheurs. Le but est de déterminer les « raisons pour lesquelles les professeurs font comme ils font » (Roditi, 2011).

Nous cherchons à décrire la (ou les) manière(s) dont des professeurs des écoles organisent leur enseignement des mathématiques lors de séances qu’ils dédient à l’étude de problèmes ouverts et à comprendre les raisons qui les poussent à adopter ces pratiques.

Il est clair que tous les enseignants développent des pratiques afin de permettre des apprentissages chez leurs élèves. L’enjeu des choix qu’ils font est avant tout de faire apprendre des mathématiques à leurs élèves et cet enseignement qu’ils dispensent « intervient largement, et de manière différenciée, sur l’apprentissage des élèves » (Robert, 2001, p. 59). Le cas des problèmes ouverts® où se situe notre étude se distingue des recherches existantes. En effet, ces recherches visent ou visaient l’apprentissage d’un contenu mathématique bien défini, clairement identifiable, l’apprentissage d’un contenu curriculaire. Roditi (2001) étudie, par exemple, des professeurs de mathématiques lorsqu’ils enseignent la multiplication de deux nombres décimaux. Contrairement à ces recherches, nous ne nous intéressons pas à l’enseignement et à l’apprentissage de savoirs curriculaires précis. En effet, les savoirs en jeu (mathématiques, métamathématiques, autres) lors de l’étude de problèmes ouverts® ne sont pas clairement préciser dans les programmes. Donc même si nous cherchons à « saisir ce qui est proposé par l’enseignant et qui peut avoir un effet sur les activités des élèves sur un contenu donné » (Robert, 2004), nous pensons que le fait d’étudier les pratiques lorsque des enseignants utilisent de tels problèmes peut apporter un éclairage nouveau sur les pratiques en général. Comment des enseignants réagissent-ils lorsqu’ils ont à faire des choix aussi larges que ceux qui concernent les séances dédiées à des problèmes ouverts ? Puisque la place des problèmes ouverts® n’est pas clairement définie par les instructions officielles en vigueur et que rien n’est dit (ou presque) sur leur utilisation en classe, ces enseignants dont nous étudions les pratiques sont quasiment seuls face à de nombreux choix, en particulier le choix des énoncés et le choix des mises en œuvre. Un espace de liberté semble s’ouvrir devant eux, les marges de manœuvre semblent a priori plus importantes que lorsque l’enjeu d’apprentissage est un contenu mathématique précis. Nous cherchons donc à déterminer comment des enseignants du primaire s’en emparent pour comprendre les parcours proposés aux élèves.

Dans le cas de notre étude, il est difficile d’évaluer les apprentissages réels des élèves. Même si nous sommes attentifs à ce que vont apprendre les élèves lors des séances dédiées aux

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problèmes ouverts, tout au long d’une année scolaire, nous ne pouvons pas réellement vérifier les effets de ce que proposent les enseignants sur les apprentissages en mathématiques de tous les élèves. Nous baserons notre réflexion sur des apprentissages potentiels (Robert, 2004) c’est-à-dire des apprentissages que pourraient réaliser les élèves et nous étudierons plus précisément pendant les séances, les activités potentielles des élèves provoquées par ce que proposent les enseignants en classe. Il s’agira de reconstituer à partir de l’observation des séances, ce que les élèves font et, également, auraient pu faire en réponse aux sollicitations des enseignants. L’observation des activités réelles des élèves, des activités perceptibles et de leur mise en fonctionnement dans la classe permet de déterminer « leurs fréquentations des mathématiques telles qu’elles sont organisées » par les enseignants (Robert, 2004). L’étude de ce point de vue est didactique et utilise un schéma habituel en didactique des mathématiques : une analyse a priori des énoncés et une analyse a posteriori des séances. Elles nous permettent de préciser deux choses : les apprentissages potentiels des problèmes proposés et l’enjeu des séances observées en termes de savoirs. Nous pouvons ainsi définir les mathématiques que les enseignants font fréquenter à leurs élèves et déterminer in fine, quels sont et/ou quels peuvent être les apprentissages des élèves.

En sus de ces analyses et de cette approche didactique, du fait que les enseignants sont relativement seuls face à l’utilisation de tels problèmes en classe, nous pensons que, dans l’étude des pratiques enseignantes, l’enjeu d’apprentissage pour les élèves ne suffit pas pour expliquer les choix que vont être amenés à faire les enseignants. Nous devons également tenir compte d’éléments liés aux enseignants eux-mêmes, d’éléments dépendant de l’épistémologie de chacun d’eux ainsi que de contraintes externes telles que leurs collègues dans l’école, leurs conseillers pédagogiques et leurs inspecteurs.

Du fait d’un flou dans les instructions officielles, les manières de mettre en œuvre des séances dédiées à des problèmes ouverts vont certainement dépendre de leur rapport au savoir mathématique mais également, et peut-être surtout, vont être liées à la représentation qu’ils se font de l’enseignement des mathématiques ainsi qu’à la représentation qu’ils se font de ce que des élèves du primaire doivent apprendre en cours de mathématiques en étudiant des problèmes ouverts. Une analyse des pratiques enseignantes d’un point de vue essentiellement didactique, donc avant tout en lien avec les activités possibles des élèves et leurs apprentissages potentiels, ne va pas permettre d’atteindre ces éléments qui nous semblent déterminants. Les pratiques enseignantes sont considérées comme étant complexes, elles « […] sont le reflet d’un travail, en partie implicite sans doute, qui a sa propre cohérence et

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ne peut se réduire, pour être analysé, à des études en terme d’apprentissage des élèves » (Robert, 2001, p. 62). Notre étude nécessite en cela une approche ergonomique. Les enseignants sont à considérer comme exerçant un métier avec des buts professionnels ainsi que des contraintes externes à la classe. Notre recherche consiste à étudier les pratiques des enseignants en classe comme l’expression d’un travail et donc à comprendre les activités des enseignants (J. Rogalski, 2008).

Autrement dit, les pratiques enseignantes dépendent de nombreux facteurs, externes pour certains à la classe comme les instructions officielles, les ressources disponibles, le niveau des élèves ou encore les habitudes de l’école. Elles dépendent également de la personnalité même de chaque enseignant, de ses connaissances en mathématiques, de ses compétences à enseigner cette discipline et de sa représentation des mathématiques et de leur enseignement. C’est pourquoi l’emploi de l’expression « pratiques enseignantes » ne peut se réduire à ce que les enseignants font dans leur classe. Nous admettons que cette expression « indique la prise en compte globale du travail de l’enseignant avant, pendant ou après la classe » (Robert, 2008, p. 17). Le terme ne qualifie pas seulement ce qui se passe en classe. Il permet d’englober « […] tout ce qui se rapporte à ce que l’enseignant pense, dit ou ne dit pas, fait ou ne fait pas, sur un temps long, que ce soit avant, pendant, après les séances de classe » (Robert, 2008, p. 59).

Ces pratiques enseignantes peuvent être représentées par le schéma (Robert, 2008, p. 16), présenté Figure 15, qui permet de rassembler tous les éléments dont elles dépendent et qui influent sur leur développement.

Du fait de la complexité même de ces pratiques, nous avons donc besoin dans notre travail, pour les analyser et les interpréter, de la combinaison des deux approches, didactique et ergonomique. Nous choisissons de faire appel au cadre théorique de « la double approche didactique et ergonomique », développé par A. Robert et J. Rogalski (2002, 2008), conçu pour analyser des pratiques ordinaires. Nous analyserons les pratiques enseignantes selon ces deux points de vue : le didactique « à partir de caractéristiques liées à ce qui est proposé aux élèves » et l’ergonomique « à partir de caractéristiques liées au fait qu’enseigner est un métier » (Robert, 2002).

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Figure 15 Schéma représentant les pratiques enseignantes (Robert, 2008, p. 16)

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