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III. Le mythe

1. Mythe : perspectives et enjeux

Une extrême confusion règne toujours lorsque nous voulons définir le mythe. Un tel état de fait provient des diverses types de représentations dont sont porteurs les mythes, et qui ne peuvent qu’être chargées d’interprétations tant variées qu’elles finissent par s’opposer les unes aux autres. Pamela Antoine Genova fait observer que : « si on part du même mot, mythos, on peut découvrir

bien des aspects curieux et ambigus qui forment le dédale qu’est le mythe »242.

Cela étant, certains aspects de ce topos font saillie à l’horizon théorique.

Homère fait la distinction entre Logos et mythos, selon lui, logos signifie « parole » ou « discours » au lieu que mythos révèle « récit » ou « histoire ». Une telle distinction, au début ingénue, devient au cours des siècles un brandon de discord entre l’art, la littérature et la philosophie. Avec le recul et la désacralisation de l’univers mythique aidant, le logos a gagné ses

241Voir annexe. Entretien réalisé par Amina Djenene.p.161.

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Pamela, Antoine, Genova, André Gide dans le labyrinthe de la mythotextualité. USA. Purdue University Press. 1995. P.1.

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galons de signifiant du vrai et du bien alors que le mythos s’est taxé de fausseté, d’illusion et du mensonge.

Tout compte fait, le mythe a acquis avec le temps le statut de « parole

qui rivalise avec l’histoire, comme signe d’une réalité de l’imaginaire aussi valable que celle du monde matériel ». 243 C’est à cet aspect discursif du mythe que nous allons désormais prêter notre attention.

En s’introduisant dans le labyrinthe du mythe, Mohammed Moulesshoul porte aux nues un legs universel et maghrébin tombé en quenouille auprès d’un public qui s’en détache progressivement ; bien encore, en s’emparent de ce substrat traditionnel, l’écrivain y opère certains remaniements, en dégage de nouvelles significations. Sous couleur d’exhumer le passé, l’auteur y introduit le présent et interpelle la postérité. Tels apparaissent donc et d’abord les contours du mythe littéraire qui n’est autre que : « L’élaboration d’une donnée traditionnelle ou archétypique, par un style

propre à l’écrivain et à l’œuvre, dégageant des significations multiples, aptes à exercer une action collective d’exaltation ou de décence ou à exprimer un état d’esprit ou d’âme spécialement complexe »244.

Se situant donc au confluent de l’écrivain et du mythe ancien (ethno-religieux), le mythe littéraire s’impose comme une empreinte du génie, comme une « entité nouvelle »245. Adhérant à pleines mains à cette idée, Albouy fait savoir que le mythe littéraire « implique une matière léguée et une

interprétation personnelle »246. C’est le renouveau de ce legs d’auteur en auteur

qui fera écran à l’ischémie du mythe à travers les différentes ères.

243 Pamela, Antoine, Genova.op.cit., p.2.

244 Albouy, Pierre. Mythes et mythologies dans la littérature française.Paris : Armand Colin, 1998. P. 3O1

245 L’expression est de Pamela, Antoine, Genova. Op.cit., p.9. 246 Albouy, Pierre. Op.cit., p.292.

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Opinion face à laquelle Michel Tournier reste ferme sur ses étriers.

« Cette fonction de la création littéraire et artistique est d’autant plus importante que les mythes(…) ont besoin d’être irrigués et renouvelés sous peine de mort. Un mythe mort, cela s’appelle allégorie. La fonction de l’écrivain est d’empêcher les mythes de devenir des allégories. »247

Les lignes de démarcations que nous avons tracées au premier chapitre entre l’imagination symbolique, dont le mythe s’avère une manifestation, et l’allégorie dissipent l’enchevêtrement des deux notions.

Un renouvellement des plus favorables puisque il va instaurer un réseau de rapports entre le mythe et l’écrivain poussant ainsi les limites de cette création au point ténu de l’intertextualité, processus dont se réclame toute œuvre briguant la mobilité du sens.

Nous n’entendons nullement nous aventurer sur ces goulets d’étranglement où l’intertextualité s’immobiliserait à « la présence dans un

texte de simples citations, de références explicites ou d’influences littéraires »248,

loin s’en faut. Le vœu de dépasser ces restrictions dévalorisantes est bien grand. Ce processus se veut plutôt révélateur du jeu de signifiés et de signifiants d’un quiconque texte qui communique avec d’autres signifiés et signifiants dérivant de textes antérieurs ou contemporains. L’intertextualité, écrit Laurent Jenny:

« Parle une langue dont le vocabulaire est la somme des textes existants »249.

Plus encore, en visant haut, l’intertextualité plastiquera tous les rôles qu’on adjugeait autrefois et au lecteur et à l’écrivain à telle enseigne que le texte quitte le monde bidimensionnel à concurrence de purgatoire à un autre ouvert aux voix illimitées et plurivoques.

247

Tournier, Michel. Le vent paraclet. Paris : Gallimard, 1977.p.193.

248 Pamela, Antoine, Genova. Op.cit., p.13.

249

Laurent Jenny, “La Stratégie de la forme”, Poétique, n° 27, 1976.Cite par Pamela, Antoine, Genova.op.cit., p.13.

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Le texte, précise Pamela Antoine Genova : « Ne se manifeste plus

comme une surface opaque à deux dimensions. Il devient un espace animé, lieu d’une parole multiple et imprévisible, ou se déploie une pluralité »250. A travers

l’expérience renouvelée de la lecture, le texte requiert ses traits sui generis, ceux d’un espace où l’auteur et le lecteur vivent en permanente osmose. Un tel statut va conférer au texte une mobilité tant essentielle qu’elle dévoile des potentialités interprétatives nécessaires à la naissance de l’intertexte.

De ce fait, l’auteur lui-même pose comme lecteur : en s’arc-boutant sur l’appréhension d’autres discours, l’écrivain crée son propre discours. Dans la pratique intertextuelle, l’écriture-lecture se découvre des perspectives insoupçonnées. Par souci de dynamisme, non seulement le texte se cabre contre les critiques traditionnelles. Bien encore, il se veut une ruche où l’auteur et le lecteur y mettent du leur pour pérenniser la production du sens. Selon Pamela Antoine Genova :

« L’auteur ne peut plus trouver d’inspiration, d’éléments qui lui parlent, dans une écriture qui se force à s’arrêter, qui se veut porteuse d’une seule signification éternelle. Plutôt le texte, laissé à sa nature changeante, ne se suffit jamais à lui-même. Il a besoin du lecteur pour exister, et sans lui, reste inerte, atrophié »251. Dans Sèméiotiké, Julia

Kristeva étreint à bras le corps cette idée : « Écrire serait le Lire, devenu

production, industrie : l’écriture-lecture, l’écriture paradigmatique serait l’aspiration vers une agressivité et une participation totale »252

.

250 Pamela, Antoine, Genova.op.cit., p.15.

251 Ibid.

252

Kristeva, Julia. Sémiotikè, Recherches pour une sémanalyse. Paris : Seuil, 1969.Cité par Pamela, Antoine, Genova.op.cit., p.15.

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En substance, mythe littéraire et intertextualité sont intimement unis, un peu comme les berges d’un fleuve, les deux longent le travail de l’écrivain ; son génie y serait pour beaucoup dans cette création ; son empreinte s’en ajoutera à d’autres pour l’irrigation du mythe. Le nouveau texte entretien un paquet de connexion non seulement avec le mythe originel mais surtout avec les différentes créations jusque-là développées. Ce processus « transtextuel » est baptisé par Pamela Antoine Genova : « mythotextualité » et désigne : « lieu

où peuvent jouer les variations infinies de l’intertexte mythique ». Le mythe

littéraire s’avère donc comme « un acte intertextuele par excellence, une

plongée de l’écrivain dans l’univers fécond et polyvalent qu’est la mythologie »253.