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MYTHE ET ARCHÉTYPE

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 27-30)

On observe souvent dans les ouvrages des mythologues un foisonnement terminologique lié à l’imaginaire. Mythes, thèmes, symboles, motifs, archétypes, pour ne s’en tenir qu’aux termes les plus courants, sont les mots clés de la réflexion mythocritique, mais ils témoignent d’une contiguïté sémantique qui prête à confusion.

L’une des confusions les plus fréquentes apparaît entre la notion de mythe et celle d’archétype. Proches l’un de l’autre, se confondant parfois jusqu’à l’identification, le mythe et l’archétype sont indissociables car on ne peut pas évoquer l’un sans recourir à l’autre. Malgré cette parenté sémantique, le mythe est loin de se confondre avec l’archétype ; il est plutôt l’expression, l’incarnation de ce « principe » (gr. arkhé) à travers une « histoire », un « récit » (gr. mµthos). Nous dirons, avec C. G. Jung, que si l’archétype est plus abstrait et plus général, le mythe, lui, est une actualisation particulière, dans un contexte socio-culturel donné, du schéma initial. M. Éliade affirme à juste titre que si les mythes bibliques, issus de la culture hébraïque, ont pu avoir une

influence considérable sur la culture occidentale c’est grâce au caractère archétypal des thèmes qu’ils véhiculent.

G. Durand définit le mythe comme un « système dynamique de symboles, d’archétypes et de schèmes, système dynamique qui, sous l’impulsion d’un schème, tend à se composer en récit39 ». Les schèmes, qui sont, d’après le chercheur, des généralisations dynamiques et affectives de l’image40, vont donner naissance aux archétypes, définis par C. G. Jung comme des « images primordiales », des « images originelles » ou des « prototypes41 ». Si les archétypes restent encore des images à caractère très général, transculturel, ces dernières étant enracinées dans la mémoire collective, les mythes se manifestent dans un milieu social et culturel particulier. Ainsi, les mythes scripturaires acquièrent une « coloration » culturelle spécifique, l’organisation patriarcale du peuple hébreu n’ayant pu engendrer qu’une représentation mythique calquée sur ce modèle sociétal, où l’instance suprême est Dieu (Yahvé) en tant que Père et où l’univers entier s’organise autour de son autorité « masculine ».

John White, tout en refusant de s’engager sur le terrain de la mythocritique, qui, selon lui, vise la recherche des archétypes psychologiques jungiens à travers les œuvres littéraires, met en évidence l’importance de la mythologie pour la compréhension de certains ouvrages de la littérature contemporaine. Il distingue deux dimensions fondamentales du mythe: la première, archétypale, où les mythes apparaissent comme des modèles primitifs ou typiques récurrents du comportement humain, que l’on trouve aussi bien dans la littérature que dans la vie, et la deuxième, ethnologique, où les mythes sont reliés à une culture en particulier, et transmis jusqu’à nous par l’intermédiaire de la littérature. J. White fait allusion, pour la première catégorie de mythes, au concept d’archétype jungien qui est une abstraction générique dont le mythe est l’expression42. Pour ce qui est des mythes bibliques, on pourrait dire

39 G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p.64.

40 Ibid., p. 61.

41 G. Durand cite C. G. Jung, Les types psychologiques, Genève, Georg, 1950, p. 387, 454 sq. (in Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 62.)

42 John White, Mythology in the Modern Novel, Princeton, Princeton University Press, 1971, p. 42.

que les deux dimensions du mythe (archétypale et ethnologique) s’appliquent à ces récits qui, tout en étant l’expression religieuse et culturelle du peuple hébreu (dimension ethnologique), sont devenus, par leur rayonnement symbolique, une source d’inspiration majeure pour les écrivains de l’Occident (dimension archétypale). Dans notre recherche, nous préférons adhérer à l’acception archétypale du mythe dont parle J. White, laquelle, quoique plus vaste, nous permet de montrer que, en dialoguant avec les mythes bibliques, l’œuvre d’Anne Hébert transgresse le cadre spécifique de la tradition judéo-chrétienne pour s’inscrire dans l’espace archétypal de l’imaginaire symbolique. Selon la classification de J. White43, les romans hébertiens rentrent dans la catégorie des romans « mythologiques », grâce à la présence des références à des mythes, des personnages ou des thèmes bibliques et, parfois, par leur structure apparentée à celle de certains mythes scripturaires. Mais l’inspiration biblique d’Anne Hébert est également motivée par le prestige extraordinaire qu’exercent les Écritures, par leur rayonnement symbolique à travers le temps et l’espace.

La définition du mythe probablement la plus précise et la mieux adaptée au contexte de l’œuvre hébertienne est celle de G. Durand qui accorde une place essentielle aux plus petites unités signifiantes du mythe, les mythèmes :

Le mythe apparaît comme un récit (discours mythique) mettant en scène des personnages, des situations, des décors généralement non naturels (divins, utopiques, surréels etc.), segmentable en séquences ou plus petites unités sémantiques (mythèmes) dans lesquels s’investit obligatoirement une croyance44.

Ces petites unités de sens qui composent le mythe sont les premières à connaître des variations à travers le temps, d’une époque à une autre, d’une culture à une autre, voire d’un écrivain à un autre. Même si le mythe dans son ensemble conserve un noyau de sens immuable, ainsi qu’un schéma narratif archétypal, il n’échappe pas à l’historicité, contraint qu’il est de s’adapter à l’environnement spatio-temporel, social et culturel dans lequel il se manifeste. Ceci est également vrai pour les mythes bibliques

43 Ibid., p. 32.

44 G. Durand, cité par Simone Vierne, dans « Pour l’élaboration d’une mythocritique », Mythes, images, représentations, Actes du XIVe congrès de la Société française de littérature générale et comparée, Limoges, 1977, pp. 79-85, p. 80.

qui constituent la principale source d’inspiration de l’œuvre d’Anne Hébert, car les unités significatives qui les composent y subissent des transformations importantes, comme nous le verrons dans la troisième partie de notre recherche, à propos de la réécriture hébertienne.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 27-30)