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Mutagénèse dirigée chez les bactériophages

Connaître et comprendre la biologie des phages est toujours aussi important et ce depuis près de 50 ans. Les premiers essais de mutations dans les génomes des bactéries et des virus étaient basés sur la sélection phénotypique suite à des mutations aléatoires. Les cellules et les particules virales étaient mises en contact avec de puissants agents mutagènes afin de créer des dommages à l’ADN. Par exemple, une courte exposition aux rayons ultraviolets (UV) cause la formation de dimères de thymine menant à des erreurs lors de la réplication ou encore un agent intercalant comme le bromure d’éthidium menant au même genre d’erreurs de réplication (Marinelli et al., 2008). La sélection des mutants est basée sur un phénotype comme l’auxotrophie d’acides aminés, différentes morphologies coloniales ou des plages de lyse, infection de souches auparavant résistantes ou encore une résistance acquise aux antibiotiques. Ces processus sont longs et onéreux selon la fréquence de la mutation recherchée. De plus, la génétique inversée est nécessaire afin d’identifier les mutations ou les gènes mutés par complémentation ou par analyse de recombinaison avec d’autres mutants (Shortle et al., 1981).

Par la suite, de nouvelles méthodes ont été élaborées afin de faire de la mutagénèse dirigée. La mutagénèse dirigée permet de modifier des régions ciblées de génome. Les méthodes passent par une étape préliminaire

in vitro à l’aide d’enzymes de restriction afin de réaliser des digestions enzymatiques partielles ou complètes

ou encore par d’autres étapes de modifications enzymatiques, mais aussi par l’utilisation de nucléotides analogues. Les ADN sont ensuite transformés dans des cellules afin de compléter le processus de mutation et de tester les effets apportés par les mutations. Des insertions et des délétions, des substitutions de bases et des mutations spécifiques à des sites précis ont été réalisées depuis l’avènement de l’ADN recombinant (Shortle et al., 1981).

1.3.2 La recombinaison homologue

La mutagénèse dirigée utilise les systèmes de réparation d’ADN comme la réparation dirigée par l’homologie (homology-directed repair, HDR) de la cellule. La voie HDR permet de réparer les bris d’ADN souvent double brin (double-strand break, DSB) avec la présence d’une molécule d’ADN homologue à celle brisée afin de réparer le bris par recombinaison homologue (Lieber, 2010). Ce processus est fréquemment sollicité chez les organismes diploïdes. Donc, pour les organismes haploïdes qui ne possèdent qu’une seule copie de leur chromosome, un gabarit de séquence homologue doit être ajouté dans les cellules.

Les systèmes de recombinaison homologue reposent sur deux activités protéiques, soit une activité exonucléase pour la dégradation d’un des deux brins d’ADN ainsi qu’une activité d’appariement de l’ADN afin d’apparier deux brins d’ADN complémentaires. Le processus de recombinaison peut emprunter deux voies soit la voie RecA-dépendante (invasion de l’ADNdb), soit la voie RecA-indépendante (appariement d’ADNsb) (figure 1.8) (Murphy, 2012). La voie RecA-dépendante requiert la liaison de la protéine RecA, protéine liant l’ADNsb (single-strand binding protein, SSB), à l’extrémité 3’ d’un ADNsb de façon à former un filament nucléoprotéique. Par la suite, le filament va envahir l’ADNdb à la recherche d’une séquence complémentaire au brin recouvert par RecA. Une fois la séquence complémentaire trouvée, il se forme une jonction d’Holliday qui est résolue par la résolvase RuvC (figure 1.8). De l’autre côté, la voie RecA-indépendante se fait d’abord par la dégradation d’un des deux brins d’ADN de deux molécules d’ADNdb homologues et une protéine d’appariement d’ADNsb (single-strand annealing protein, SSAP) se lie à l’extrémité d’ADNsb provoqué par l’exonucléase à raison d‘une unité protéique par molécule d’ADN. Les deux unités de SSAP apparient les brins complémentaires ensemble et les trous formés sont réparés par l’ADN polymérase I (Court et al., 2002). La séquence homologue peut être insérée dans un vecteur ou être sous forme linéaire d’ADNdb ou d’ADNsb. Ensuite, le gabarit de recombinaison est directement transformé dans les cellules ou par l’intermédiaire d’un vecteur viral. Par contre, la préparation du plasmide recombinant est longue, coûteuse et l’efficacité de recombinaison est faible chez les procaryotes et nécessite souvent deux évènements de recombinaison (Shortle et al., 1981; Court et al., 2002). Par exemple, les essais de recombinaison dans Escherichia coli nécessitent l’inactivation de la nucléase RecBCD, qui dégrade rapidement l’ADN linéaire transformé, ainsi que des séquences d’homologie de plus de mille paires de bases comparativement aux systèmes de réparation d’ADN par recombinaison homologue efficaces retrouvés chez la levure qui nécessitent que des séquences d’homologie de 50 pb (Ellis et al., 2001; Court et al., 2002).

1.3.3 Le recombineering

L’utilisation de protéines virales a été l’alternative de choix afin de pallier à la faible efficacité de recombinaison chez E. coli. Le recombineering se décrit comme le génie génétique combiné avec les fonctions de recombinaison menée par des protéines de phages par l’intermédiaire de courtes séquences homologues (Copeland et al., 2001; Ellis et al., 2001). Le système de recombinaison Red du phage λ a été d’abord optimisé de manière à inhiber la dégradation de l’ADN linéaire par la nucléase RecBCD ainsi qu’augmenter l’efficacité de la recombinaison homologue (Court et al., 2002). Le système Red est constitué des gènes du phage λ exo, bet et gam placés sous le contrôle d’un promoteur inductible et le tout est inséré à l’intérieur du génome bactérien, ce qui permet une augmentation considérable du taux de cellules recombinantes (Murphy, 1998). Par la suite, plusieurs autres systèmes basés sur les recombinases de phages ont été développés afin de diversifier les genres et les espèces bactériennes modifiables par l’approche de recombineering (Murphy, 2012).

Figure 1.8. Modèles des deux voies de réparation HDR. Figure modifiée de Murphy, 2012.

Certains ont démontré que de courtes séquences homologues étaient suffisantes afin d’obtenir une recombinaison efficace. Par conséquent, de courts produits PCR peuvent être utilisés comme gabarit de recombinaison rendant la méthode plus optimale. De plus, de l’ADNsb linéaire (oligonucléotide) permet l’obtention de meilleurs rendements de recombinaison que l’ADNdb (Ellis et al., 2001; Swaminathan et al.,

2001). D’un autre côté, l’efficacité du recombineering est dépendante du sens de la réplication du génome, c’est-à-dire que si le brin complémentaire à l’oligonucléotide de recombinaison est le brin retardé, alors le rendement est plus grand que pour le brin continu (Costantino et Court, 2003; van Kessel et Hatfull, 2007; Sawitzke et al., 2011). Le recombineering permet de réaliser différents types de mutations comme des insertions, des délétions, des mutations ponctuelles, des inversions et des duplications de gènes en plus de modifier rapidement et efficacement des chromosomes bactériens et des plasmides, tant procaryotes que eucaryotes (Murphy, 2012).

1.3.4 Le recombineering des bactériophages par électroporation d’ADN

L’efficacité et la rapidité du recombineering ont mené au développement de l’approche pour la mutagénèse dirigée des bactériophages tempérés, présents dans le chromosome bactérien ou encore sous forme de chromosomes de phages artificiels (phage artificial chromosome, PAC) (Oppenheim et al., 2004). Par la suite, le recombineering a été adapté afin de modifier le génome des phages virulents qui doivent être modifiés uniquement durant le cycle infectieux. Les expériences menées chez les phages infectant E. coli doivent passer par différentes étapes. D’abord on doit permettre l’adsorption des phages et l’entrée des génomes dans des cellules compétentes. Ensuite, réaliser l'électroporation de l’oligonucléotide de recombinaison, le tout suivi de l’induction thermique du système de recombinaison. Finalement, les plages de lyse doivent être criblées par PCR ou par des analyses de type Southern afin d’identifier les phages recombinants (Thomason

et al., 2009; Marinelli et al., 2012)

Le recombineering des bactériophages par électroporation d’ADN (Bacteriophage Recombineering of

Electroporated DNA, BRED) a été développé d’abord pour l’étude des phages infectant les mycobactéries et

ensuite adapté pour les phages infectant E. coli (Marinelli et al., 2012). Le principe du BRED est similaire au recombineering. Il suffit de co-électroporer un oligonucléotide contenant la mutation souhaitée et l’ADN génomique du phage à modifier dans une souche possédant un système de recombinaison viral, comme par exemple Red pour E. coli ou le système Che9c pour Mycobacterium smegmatis (Oppenheim et al., 2004; Datta et al., 2006; Marinelli et al., 2008; van Kessel et Hatfull, 2008). Malgré la très haute efficacité du recombineering chez les prophages et la possibilité de facilement sélectionner les recombinants, le BRED est difficile à optimiser. Le terme BRED a d’abord été proposé suite aux études faites avec les phages infectant des mycobactéries, qui sont d’ailleurs très différentes des cellules d’E. coli. Les mycobactéries sont plus réfractaires à l’électroporation que les cellules d’E. coli et les constructions plasmidiques contenant des génomes de phages virulents ne sont pas assez stables dans les cellules comparativement à ce qui a été réalisé pour le phage λ (Marinelli et al., 2012). L’approche BRED se divise en trois étapes assez simples; 1) co-électroporation de l’ADN génomique du phage à modifier et du gabarit de recombinaison dans des cellules

compétentes où le système de recombinaison a été induit et ensemencer les cellules recombinantes dans la gélose molle contenant des cellules sauvages, 2) le criblage des plages de lyse primaires à l’aide d’amorces spécifiques pour les génomes recombinants, 3) purifier les plages de lyse contenant une population mixte recombinants/sauvages sur la souche sauvage et cribler les plages de lyse purifiées afin de sélectionner celles qui ne contiennent que des phages recombinants (Marinelli et al., 2008). Le BRED peut être aussi utilisé afin de vérifier si les gènes viraux sont essentiels ou non à la multiplication des phages par l’entremise de délétion complète des gènes ou bien par l’incorporation de multiples codons d’arrêt. Pour ce faire, il suffit de cribler des plages secondaires et si les phages recombinants sont toujours présents le gène est non-essentiel et l’absence de phages recombinants indique que le gène est essentiel au phage (Marinelli et al., 2012). Jusqu’à maintenant, le BRED a été utilisé avec succès sur neuf phages infectant les mycobactéries pour différentes modifications génétiques comme l’échange de gènes, des délétions, des insertions, des mutations ponctuelles ou encore l’ajout de gènes rapporteurs comme le gène codant pour la protéine verte fluorescente (Green Fluorescent Protein, GFP) (Marinelli et al., 2008; Payne et al., 2009; Catalão et al., 2010; Catalão et

al., 2011; da Silva et al., 2013).

Des expériences récentes chez les bactéries lactiques et leurs phages ont aussi été réalisées à la suite des succès obtenus avec les phages de mycobactéries. Différents systèmes de recombinaison de phages infectant Lactococcus lactis et Lactobacillus reuteri ont été testés, mais les essais de recombineering et de BRED n’ont pas été aussi concluants que ceux obtenus chez les mycobactéries (Moisan et Moineau, 2011; van Pijkeren et Britton, 2012; Van Pijkeren et al., 2012). En effet, des concentrations plus grandes d’oligonucléotides sont nécessaires en comparaison avec les résultats obtenus dans d’autres bactéries et les systèmes de recombinaison viraux semblent moins efficaces et plus difficiles à optimiser (Moisan et Moineau, 2011). Par conséquent, pour que le BRED soit efficace, les conditions (système de recombinaison, inducteur et temps d’induction, concentration d’oligonucléotides) doivent être optimisées pour chaque espèce bactérienne ou phage que l’on veut modifier. Depuis 2013, de nouvelles approches basées le système CRISPR-Cas de type II ont été développées (Cong et al., 2013). Ces approches pourraient aussi s’appliquer à la mutagénèse dirigée des génomes de bactériophages.