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Ainsi, majoritairement, les musèmes sont constitués de petites valeurs de notes et demeurent très syncopés. On peut donc affirmer que l‟aspect rythmique des musèmes est quasiment aussi important, sinon plus, que les notes qui les composent, car ce sont ces rythmes syncopés et rapides qui donnent l‟impulsion dans cette chanson. De plus, le rythme général assez rapide et flexible, ainsi que les nombreux changements mélodiques spécifiques à chacune des sections, demande à l‟auditeur une très grande attention pour comprendre toutes les subtilités de la chanson. Lʼaspect ironique et satirique de la thématique transgressive exploitée transparaît donc dans les musèmes et dans la structure éclatée, mais une analyse narratologique nʼen est pas moins nécessaire, afin de cristalliser le récit de cette chanson.

4.2 L’analyse des paramètres narrato-musicologiques

Dans ce prochain segment de l‟analyse, et comme pour les chansons étudiées dans les chapitres précédents, je porterai mon attention sur les éléments narrato- musicologiques en lien avec le temps, le mode et la voix du récit. Ainsi, le récit de la chanson à l‟étude se déroule en temps quasi-simultané, et est entrecoupé par certaines portions où le récit est alors accéléré. Le mode du récit, quant à lui, se

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caractérise par la présence de plusieurs dialogues et discours rapportés, ce qui restitue une focalisation interne du récit. Enfin, la voix, pouvant être qualifiée de mimétique (j‟y reviendrai), illustre l‟action et participe à l‟établissement des narrateurs de cette chanson, lesquels sont intradiégétiques-homodiégétiques.

4.2.1 Le temps du récit

Lors d‟un récit simultané, les événements rapportés par le narrateur sont présentés en temps réel; le temps du récit est donc presque égal à celui de l‟histoire et, dans ce cas-ci, à la chanson. Ici, la ligne temporelle est majoritairement simultanée, car l‟action se déroule en grande partie de manière chronologique et sous forme d‟un dialogue entre les deux amoureux. Tout d‟abord, la chanson se sépare en cinq séquences évènementielles. La première (00:00-00:35; 00:48-01:11) relate la conversation entre les deux amoureux (couplets A, B et D; la deuxième (00:35- 00:48) correspond à la fabrication du gâteau (couplet C); la troisième (01:11-01:36; 02:59-03:14), à la lecture du poème (couplets E et E′); la quatrième (02:03-02:16; 03:52-04:25), à lʼintervention de la communauté des morts-vivants (ponts 1 et 2); enfin, la dernière (00:00-02:05), à la cérémonie du mariage (pont 3). Plus spécifiquement, les couplets A, B, D, E, E′ et le pont 3 correspondent aux segments en temps simultané et sont donc construits sous forme de dialogue. Ainsi, à ces endroits, l‟ordre temporel demeure très chronologique et épouse le rythme de la conversation. De plus, on remarque que les séquences évènementielles n‟évoluent pas nécessairement avec le minutage de la chanson (contrairement aux autres chansons analysées), puisqu‟une même section peut se retrouver à différents endroits sur la trame temporelle (voir grille analytique en annexe). Enfin, les ritournelles ne semblent pas avoir de fonctions narratives aussi spécifiques, en comparaison à la chanson « Mad Architect ». Elles ont davantage pour rôles d‟ajouter au dynamisme de la chanson et permettent de lier les complets les uns aux autres.

On retrouve tout de même quelques anachronies, mais qui n‟ont qu‟une faible amplitude, en comparaison à la chanson de Cradle of Filth étudiée précédemment.

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Ainsi, la seule analepse à signaler dans ce récit est présente dans le couplet B de la première séquence narrative, lorsque la mariée fait référence aux fleurs qu‟elle vient de cueillir dans les égouts (« Look, I caught you some flowers, remnants of a late meditation in the sewers », 00:20-00:33). On peut toutefois dénombrer plusieurs petites prolepses : une première est présente dans le couplet D, lorsqu‟il est question d‟une éventuelle course à la papeterie (« I still can go to the paper store if you desire so… », 00:58-01:02). Puis une autre est utilisée lors de la lecture du poème (couplets E, E‟), où les amoureux s‟imaginent leur prochaine lune de miel (« The loving look in your dripping eye balls gives me hope of a most memorable honey moon », 01:11-01:16, 02:59-03:06). Enfin, on retrouve une dernière prolepse dans le prologue, lorsque les nouveaux mariés s‟échangent leurs vœux d‟amour éternel (« Our two souls shall be one from now on », 00:41-00:47) (voir grille en annexe). Dans tous les cas, ces anachronies sont textuelles et ne font donc pas l‟objet d‟un traitement narrato-musicologique particulier, comme c‟était le cas dans la chanson précédente, lors du pont par exemple. Toutefois, cette chanson ne se déroule pas en temps réel dans chacune des séquences évènementielles. En effet, la troisième séquence évènementielle (01:11-01:36; 02:59-03:14), qui correspond à la fabrication du gâteau de mariage, ainsi que la quatrième (02:03-02:16; 03:52- 04:25), qui mettent en scène les préparatifs du mariage chez la communauté des morts-vivants, ne présentent pas de dialogue et ne se déroulent pas durant un laps de temps déterminé (voir grille en annexe).

La vitesse de la narration, quant à elle, n‟est pas constante. Ainsi, dès le début de la chanson, l‟auditeur se retrouve propulsé au milieu dʼune conversation dont il ignore la teneur. Malgré qu‟à cet endroit le récit se déroule en temps réel, le dialogue entre les deux protagonistes semble très rapide. En outre, cette impression de rapidité du rythme narratif est imputable au rythme musical effréné, aux changements fréquents de musèmes (particulièrement dans les couplets A, B et D) et enfin au débit rapide auquel les paroles sont chantées. Par exemple, au cours de la première minute de la chanson, plusieurs éléments d‟action sont présentés (la demande en mariage, la fabrication du gâteau, la course à la papeterie), comportant

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des changements rythmiques importants et trois musèmes différents (voir grille en annexe).

Ensuite, lorsque les protagonistes font la lecture du poème (couplets E, E′), le temps du récit ralentit sensiblement. En effet, cette section illustre une introspection vers des événements futurs, qui prennent forme tout d‟abord dans l‟imaginaire des personnages. Pourtant, le rythme musical n‟en est pas moins très rapide, allant de pair avec les nombreux projets qu‟échafaude le couple (voir grille en annexe). Le premier pont (02:03-02:16) présente également une décélération de l‟action. En effet, il s‟agit d‟une autre section à caractère introspectif, comme dans le couplet E. Toutefois, dans ce cas-ci, elle prend la forme d‟un commentaire énoncé par la communauté des morts-vivants, qui déplore la stigmatisation sociale dont elle fait lʼobjet (« Misunderstood and abused to the point of extinction, when all we want is a hug », 02:10-02:17) (voir grille en annexe).

Puis, le récit accélère lors du deuxième pont (02:36-02:59), au moment où la communauté des morts-vivants se prépare à assister au mariage. En effet, un appel à la communauté est lancé et ceux-ci, invoquant les esprits de leurs ancêtres, se rassemblent en procession pour se diriger vers le lieu où le mariage sera célébré. Ce segment peut donc correspondre à une durée allant de quelques minutes à quelques heures (voir grille en annexe). Ensuite, la transition non mesurée, qui entraîne une sorte de flottement dans la trame narrative en raison de la réverbération appliquée au son du violon, permet dʼamener lʼauditeur à lʼépilogue (pont 3). À cet endroit, bien que le rythme du récit soit simultané à celui de l‟histoire, le rythme musical demeure très lent. Cela engendre donc un fort contraste avec ce qui précède, où les interventions entre les personnages se succèdent de manière très rapide. Cet épilogue, avec sa mélodie planante, les longues valeurs de notes, la métrique en 2/4 et le débit de paroles très lent, donne l‟impression que le récit est beaucoup moins rapide à ce moment, malgré quʼil se déroule en temps réel, tout comme la première séquence narrative.

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4.2.2 Le mode et la voix du récit

Cette chanson, proposant majoritairement une focalisation interne, comporte différents types de discours et de timbres vocaux, donnant à l‟auditeur un certain nombre d‟indices sur la perspective narrative.

Ainsi, dès le début de la chanson, l‟auditeur assiste à une conversation (discours direct) entre les deux protagonistes principaux, ces derniers prenant la parole sans qu‟il n‟y ait d‟intervention narrative clairement identifiable. En outre, les points de suspension encadrant leur intervention constituent un des seuls indices de cette présence narrative (voir grille en annexe). À cet endroit, elle est donc très faible et la perspective du récit est interne. En effet, l‟auditeur est immergé dès les premières secondes dans la diégèse des protagonistes et devient témoin de leur complicité.

Sur le plan vocal, les voix de l‟homme et de la femme que l‟on peut entendre dès le début personnifient les deux personnages principaux, qui peuvent être considérés comme des narrateurs intradiégétiques-homodiégétiques. À cet endroit, les timbres vocaux sont également très variés, afin de transmettre toutes les subtilités du texte. La protagoniste possède une voix claire, ayant un timbre de type populaire, tandis que le timbre du protagoniste est de type growl. Surprenamment, malgré la présence dʼune voix féminine quʼon pourrait qualifier de mélodieuse, on ne retrouve par vraiment d‟éléments mélodiques récurrents à l‟intérieur de ses lignes vocales. Au contraire, les lignes vocales semblent décousues et demeurent imprévisibles. Il serait donc plus juste de parler dʼintonations mimétiques103, plutôt que de mélodie vocale à proprement parler104. Plus spécifiquement, les mots sont

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Dans la musique savante, on retrouve également des lignes vocales de type mimétique, où la voix ou les instruments illustrent la signification d‟un mot ou d‟une phrase. Toutefois, ce type de ligne mélodique est connu sous l‟appellation de « figuralisme » et demeure souvent associé au répertoire vocal de la Renaissance (Carter 2013).

104 En littérature, le discours mimétique n‟est pas possible, puisqu‟un texte écrit ne peut pas

« montrer » l‟action. Ainsi, pour y arriver, la quantité d‟informations narratives est accrue, de manière à expliquer avec plus d‟exactitude ce qui ne peut être montré (Genette 2007, 168). Toutefois, en musique, et en particulier dans la chanson enregistrée, il est possible d‟illustrer musicalement certains éléments d‟action grâce au timbre vocal (par exemple), comme c‟est le cas ici.

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véritablement mis en scène de manière à en expliciter leur signification. Par exemple, dans le couplet B (00:28), la dernière syllabe du mot « meditation » comporte un saut de quinte suivi d‟un port de voix, où la chanteuse passe de la voix de poitrine à la voix de tête, de manière à imager cette action.