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Le cadre théorique musicologique : l‟adaptation de la narratologie à la

Bien qu‟à première vue les outils exposés dans la section précédente semblent uniquement destinés à l‟analyse d‟œuvres littéraires, Lacasse les adapte aux spécificités de la chanson populaire. Toutefois, avant d‟aborder ces concepts narratologiques, il convient de s‟intéresser aux paramètres musicologiques qui seront utilisés pour l‟analyse du répertoire metal. En effet, les paramètres analytiques qui seront privilégiés pour l‟analyse du répertoire ne sont pas issus de la musicologie traditionnelle, mais sont adaptés aux réalités de la chanson populaire. En outre, Lacasse avance que l‟utilisation d‟une méthode classique pour l‟analyse d‟une chanson populaire reviendrait à employer un langage inadéquat et aurait pour résultat de déformer l‟objet musical étudié (2005, 28-29).

0.4.2.1 Les paramètres musicologiques appliqués à la chanson populaire

Contrairement à la musique classique, la musique populaire n‟est pas un texte écrit qui est basé sur l‟exécution de paramètres abstraits (forme, harmonie, mélodie); elle provient plutôt d‟une tradition orale, mettant de l‟avant des paramètres concrets. Ces paramètres concrets sont en lien avec l‟exécution de performances musicales, autant vocales qu‟instrumentales (paramètres performanciels), et l‟utilisation de la technologie (paramètres technologiques).

Plus spécifiquement, dans la musique populaire, les paramètres abstraits sont construits d‟après la répétition de patrons simples : la forme demeure

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Ces relations peuvent aussi être en lien avec les niveaux extradiégétiques et intradiégétiques. Par exemple, un narrateur extradiégétique, qui raconte une histoire, peut également être qualifié d‟hétérodiégétique s‟il est absent de son histoire ou d‟homodiégétique s‟il y participe. De plus, un narrateur peut appartenir au niveau intradiégétique et entretenir une relation homodiégétique (lorsqu‟il est présent dans l‟histoire racontée et qu‟il en est le personnage principal) ou hétérodiégétique (lorsqu‟il raconte une histoire dont il fait partie, mais en tant que personnage secondaire) avec le récit (Genette 2007, 259-260).

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habituellement bien définie et est basée sur l‟alternance de complets-refrains, l‟harmonie est bâtie sur le système modal et sur la répétition et la variation de blocs d‟accords, et enfin, la mélodie est construite d‟après la répétition et la variation de motifs mélodico-rythmiques (riff) (Lacasse 2005, 27-28)24. Les paramètres performanciels, quant à eux, se caractérisent par la reproduction musicale d‟idiomes utilisés au quotidien, tels que des inflexions vocales particulières (p. ex. un soupir ou un sanglot) ou des timbres distinctifs (p. ex. une voix rauque, une voix murmurée)25. Dans le cadre d‟une performance vocale ou instrumentale, l‟utilisation de ces paramètres permet de renforcer ou de faire varier la signification des paroles d‟une chanson (Lacasse 2005, 30-31). Ainsi, comme le spécifie Brizard, l‟utilisation plus spécifique de la voix growl (ou voix grognée) dans la musique metal permet de renforcer le côté puissant et lourd de cette musique (Brizard 2005, 145).

Enfin, les paramètres technologiques sont en lien avec l‟emploi de différents effets sonores lors de l‟enregistrement ou du mixage d‟une chanson. D‟une part, l‟ajout de ces éléments influencera la perception de la dynamique (niveau sonore), de l‟espace (réverbération et localisation du son), du temps (écho, accélération, décélération) et du timbre (saturation, déphasage). D‟autre part, l‟utilisation de ces effets sonores permettra de renforcer les relations texte-musique (Lacasse 2005, 31- 32). Par exemple, l‟ajout de la réverbération dans une chanson aura pour effet d‟accroître l‟impression d‟espace et de puissance sonore. À l‟inverse, une absence de réverbération donnera un effet de rapprochement, « d‟arrêt sur image » ou de repli sur soi-même (Lacasse 1998, 80-81). Ces paramètres technologiques

24 Par ailleurs, au cours des analyses, j‟emploierai différents termes se référant à la structure

formelle des chansons, telles que « couplet », « refrain », « tremplin », « pont » et « ritournelle ». Plus spécifiquement, le couplet comporte souvent un texte destiné à faire avancer l‟intrigue. Le refrain, quant à lui, reflète le point de vue central de la chanson et demeure significatif au fur et à mesure que l‟intrigue se déploie. Puis, le tremplin, positionné avant le refrain, fonctionne comme une amorce, puisqu‟il prépare le retour du refrain. En outre, le pont est la section de la chanson qui fournit un nouveau point de vue, permettant de briser l‟alternance couplet-refrain et d‟accroître la tension émotive jusqu‟au retour du refrain. Enfin, la ritournelle est une section instrumentale ayant principalement pour fonction d‟ajouter du dynamisme dans la chanson (Neal 2007, 45).

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Ces inflexions et idiomes sont issus du paralangage, pouvant se définir comme l‟ensemble des composantes nonphonémiques (mais vocales) de la parole, telles que le ton de la voix, la vitesse d‟élocution et les soupirs (Lacasse 2009, 226).

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contribuent donc à créer une mise en scène sonore particulière pour chaque chanson.

0.4.2.2 Les paramètres narratologiques appliqués à la chanson populaire

Bien que la chanson ne puisse être considérée selon les mêmes critères qu‟une œuvre littéraire, Lacasse spécifie qu‟elle n‟en demeure pas moins un récit. Ainsi, tout comme dans le cas de la forme littéraire ou du théâtre, elle met en scène un narrateur et des personnages qui s‟expriment face à une situation quelconque (Lacasse 2006, 13). Pourtant, comme l‟explique Lacasse, la chanson s‟apparente plutôt au cinéma26, en offrant une mise en scène « phonographique ». Plus spécifiquement, l‟interrelation des trois niveaux analytiques (les paramètres abstraits, les paramètres performanciels et les paramètres technologiques) permet de concevoir la chanson comme un récit, où la mise en scène phonographique des différents paramètres sonores participe à l‟élaboration et à la compréhension de ce récit (2006, 13).

Toutefois, il convient d‟expliquer de quelle manière l‟accompagnement sonore d‟une chanson doit être compris sur le plan narratif. En effet, la fonction narrative de la chanson populaire est très différente du rôle des trames sonores employées au cinéma. Ainsi, au cinéma, la musique peut jouer un rôle narratif intradiégétique ou extradiégétique. Plus spécifiquement, elle est intradiégétique lorsqu‟elle est accessible aux personnages (par exemple la musique qu‟un groupe jouerait dans un bar ou se situe l‟action), tandis qu‟elle sera extradiégétique lorsqu‟elle aura pour rôle de « réguler l‟atmosphère émotive du film », tout en demeurant inaudible par les personnages (2006, 14). Pourtant, comme l‟explique Lacasse, dans le cas de la chanson, « […] ce n‟est plus la musique qui accompagne l‟action, mais plutôt les éléments de l‟action qui deviennent subordonnés au rythme musical » (2006, 15). Dans ce cadre, l‟accompagnement musical de la chanson aura plutôt une fonction

26 Le critique littéraire Symour Chatman(1990) traite brièvement du rôle narratif de la musique au

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« supradiégétique », car les différents éléments constituants le discours narratif sont dépendants des règles musicales, comme c‟est le cas dans la chanson populaire27.

L‟ensemble des concepts propres au récit littéraire, tels que le temps, le mode et la voix, peut également s‟appliquer à la musique populaire. En outre, à l‟inverse du récit littéraire, où le temps du récit ne peut être mesuré avec exactitude, chacun des éléments musicaux et textuels dans le récit phonographique est subordonné aux différentes divisions rythmiques (mesures, pulsations, notes) qui organisent le récit dans le temps. Ainsi, comme l‟explique Lacasse : « c‟est précisément cette dimension rythmique mesurée qui donne lieu à un univers où peuvent s‟établir des rapports d‟ordre supradiégétique entre les aspects musicaux et les autres éléments de la diégèse, un univers dans lequel tout (ou presque) s‟échafaude et se combine au gré d‟une pulsation maîtresse » (Lacasse 2006, 17). En outre, contrairement à un texte écrit (dont la durée dépend du temps de lecture), la durée du récit dans la chanson populaire est fixe, car elle est égale à la durée de l‟enregistrement ou de la prestation sur scène (2006, 19). En ce qui a trait au mode et à la voix, Lacasse s‟attarde à la notion de discours direct non prononcé ou prononcé. Effectivement, bien que la voix soit constamment audible dans une chanson, le discours peut correspondre à un monologue intérieur (voix non prononcée) ou un discours énoncé à voix haute (prononcée). Dans ces deux cas, différentes manipulations sonores peuvent être effectuées pour restituer les pensées ou les émotions ressenties par le personnage (p. ex. ajout ou retrait de réverbération à la voix). Comme l‟explique Lacasse, ce sera la création d‟un environnement sonore spécifique qui permettra de donner corps au récit du narrateur.

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L‟emploi du terme « supradiégétique » appliqué à la musique populaire nous permet donc de mieux comprendre comment appréhender la fonction de la musique dans le récit. Toutefois, cela n‟affecte pas le statut du narrateur de la chanson, qui peut également être qualifié d‟homodiégétique et d‟hétérodiégétique.

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0.4.3 Le cadre théorique sociologique: Le concept de la