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Chapitre 5: La construction de la puissance et de l‟oppression dans la chanson « Puritania »

5.3 La construction de la puissance et de lʼoppression

Comme mentionné dans lʼintroduction du présent chapitre, l‟agencement textuel et musical de la voix, du mode et du temps, combinés aux différents effets sonores, contribue à tisser la trame dramatique de la chanson et plus spécifiquement, à accroître sémantiquement des sentiments de puissance et d‟oppression dans « Puritania ». Dʼailleurs, des sentiments similaires sont rapportés par plusieurs amateurs et par des critiques, qui notent que la sonorité orchestrale innovatrice confère une puissance sans précédent à « Puritania », tandis que l‟atmosphère

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oppressante, induite par l‟ajout d‟effets électroniques, donne aux voix et aux instruments un aspect, lourd, violent et angoissant (Spirit of Metal 2012)123.

Plus spécifiquement, les différents éléments sonores et musèmes qu‟on retrouve dans cette chanson — le musème 3 à l‟orchestre, la friture radiophonique (00:00-00:05, 02:48), les sons pulsés (00:05-00:22), les bruits métalliques distordus (00:22-00:34, 02:01-02:13), le bruit imitant le souffle du vent (00:40-00:57) ou les bruits d‟explosion (01:33-01:43) — renforcent les propos des intervenants, tout en amalgamant le récit en un tout cohérent. Ces différents effets sonores (ou musèmes) ne sont pas organisés de manière aléatoire; ils respectent la pulsation rythmique maîtresse de la chanson au profit du climat de puissance et d‟oppression recherché (voir schéma en annexe). Ainsi, sur le plan rythmique, ce sentiment de puissance est aussi présent dans la force martiale se dégageant de « Puritania ». En effet, dès l‟introduction, les accords saturés et lourds de la guitare sont entrecoupés par un rythme mitraillé en blast beat à la batterie, ce qui accroit la force d‟impact de l‟ensemble. Les sons modifiés électroniquement que l‟on peut entendre au cours de la chanson, tels que les bruits métalliques distordus (transitions 1 et 4) et les bruits d‟explosions (transition 3, 01:33), ajoutent aussi au climat de puissance de la chanson. Ces effets sonores accentuent la lourdeur rythmique et la puissance d‟impact, évoquant ainsi musicalement la menace nucléaire. Par exemple, le son du souffle du vent (00:40-00:57) rappelle le souffle atomique entraîné par la déflagration, le bruit de scintillement (00:52-00:58) connote la lumière dégagée par lʼexplosion, et enfin, les bruits métalliques distordus et les bruits dʼexplosion évoquent les bâtiments soufflés par lʼimpact. Cette ambiance émane également de chacune des interventions orchestrales et en particulier lors des passages en

pizzicato dans la section B (01:13-01:20, 02:13-02:18) : ils introduisent un

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Pour plus d‟informations sur les commentaires et critiques des amateurs concernant la chanson « Puritania », voir « Chronique : Puritanical Euphoric Misanthropia », dans Spirit of Metal <http://www.spirit-of-metal.com/album-groupe-Dimmu_Borgir-nom_album-

Puritanical_Euphoric_Misanthropia-l-fr.html> (consulté le 12 février 2012); « Puritania lyrics », dans Song meanings <http://www.songmeanings.net/songs/view/71594/> (consulté le 12 février 2012); « The Review about “Puritania” », dans Sing365

<http://www.sing365.com/music/archive.nsf/Dimmu-Borgir-Puritania-

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contraste frappant et transforment momentanément le rythme martial en une mélodie légère, pouvant paraître satirique, et redonnant une nouvelle force d‟impulsion au musème 3.

Néanmoins, ces effets sonores et musèmes peuvent sémantiquement générer un sentiment d‟oppression chez lʼauditeur. Le rythme martial du musème 1 (00:05) crée un certain inconfort, car sa lourdeur constante renforce la sensation écrasante, tout en symbolisant la progression inexorable du destin de l‟homme vers sa destruction prochaine. Cette oppression est aussi renforcée par l‟utilisation d‟effets sonores, comme le bruit du souffle du vent (00:40-00:57), superposée à des accords plaqués au clavier (couplets A et A′, 00:18, 01:43 ). D‟ailleurs, ce bruit imitant le souffle du vent fait référence au souffle atomique engendré par une explosion et participe à l‟établissement d‟un climat musical angoissant. De plus, lors de l‟intervention du créateur, la section des cordes exécute des glissandos en clusters (01:09-01:13, 01:21-01:24) qui évoquent le sifflement des bombes tombant du ciel. Dʼailleurs, Penderecki, dans son œuvre Thrène à la mémoire des victimes

dʼHiroshima (1961) emploie lui aussi cet effet orchestral pour représenter la

première attaque nucléaire de lʼhistoire, à Hiroshima en 1945 (Burkholder et Palisca 2006, 1299).

Il faut aussi noter qu‟un climat d‟oppression est palpable dans chacune des interventions des narrateurs, puisque ceux-ci tiennent un discours unanime en faveur de la destruction de l‟humanité, sans proposer d‟alternatives. Plus spécifiquement, le mépris que l‟on perçoit dans la voix du dictateur, joint au texte, donne l‟impression que, pour ce dernier, l‟humain n‟est qu‟un virus à éradiquer rapidement et efficacement. L‟intervention de l‟opérateur renforce aussi l‟oppression du récit, car c‟est par l‟intermédiaire de ce narrateur que l‟auditeur assiste, impuissant, à la destruction de l‟espèce humaine. Enfin, les voix rétrogradées et accélérées (transitions 4 et 5) accentuent l‟atmosphère inquiétante et le sentiment de panique sous-jacent. D‟ailleurs, au début de la coda, ces voix sʼéteignent subitement pour être remplacées par la voix de lʼopérateur qui confirme

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la destruction de lʼhumanité. À cet endroit, la voix de lʼopérateur semble encore plus saturée qu‟auparavant et encore plus proche de lʼauditeur. En effet, on peut percevoir plusieurs le bruit des lèvres et de la salive, qui pourraient, dans un autre contexte, avoir une connotation sensuelle. Pourtant ici, ces bruits engendrent plutôt un certain inconfort ou une proximité dérangeante, illustrant à la fois le dernier contact de l‟opérateur avec lʼhumanité et l‟annonce effective de la destruction de l‟humanité.

Le discours du propagateur accroît l‟oppression dans la mesure où sa voix froide et inhumaine dépeint la destruction de l‟homme comme une finalité positive. Il s‟agit aussi du seul endroit où l‟idéologie misanthrope sous-tendant la chanson est clairement exprimée. Enfin, même si le créateur ne mentionne pas son désir de voir l‟humanité disparaître, son intonation laisse deviner qu‟il ne souhaite pas non plus qu‟elle subsiste. La construction temporelle des interventions des narrateurs renforce aussi le sentiment d‟oppression, l‟auditeur se trouvant propulsé aux premières loges du processus d‟annihilation grâce à l‟opérateur, tout en observant à la fois le tableau apocalyptique dépeint par le propagateur et la jubilation démoniaque du créateur. Or, c‟est par le biais du créateur que « Puritania » fait ressentir à l‟auditeur le sentiment de puissance avec le plus de netteté. Bien que cette voix soit, de loin, la plus agressive, une énergie nouvelle s‟en dégage, n‟étant pas présente chez les autres narrateurs. Ainsi, on pourrait dire que ce créateur, grâce à sa voix agressive et aux paroles caractérisant son intervention, transmet à l‟auditeur la puissance euphorique qui l‟habite, via son pouvoir de vie et de mort sur l‟humanité.

La chanson « Puritania » soulève de nombreuses questions qui demeurent sans réponse et qui reflètent bien les ambigüités qui sont souvent présentes dans la musique metal. Par exemple, lorsqu‟on examine l‟intervention du dictateur (« We do away with your kind »), le pronom personnel « we », faisant vraisemblablement référence à ceux qui souhaitent cette destruction, demeure inconnu. Dans ce cas, est-ce l‟homme lui-même, qui dégoûté par ce quʼil est devenu, décide de mettre un

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terme à la vie sur Terre? Quant au terme « kind », il demeure également très vague : fait-on référence ici à l‟humanité ou à un groupe précis de personnes? En outre, il serait justifié de se demander : où se situe physiquement lʼopérateur au moment de sa dernière intervention, puisque de toute évidence la Terre est détruite. Ce qui demeure toutefois évident, c‟est que Dimmu Borgir a volontairement choisit de laisse planer ces ambigüités dans le but, avoué ou non, d‟accroître l‟aspect transgressif du récit.