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III.3 Les quatre opérations élémentaires

III.3.3 Multiplication

Pour Bezout :

« Multiplier un nombre par un autre, c’est prendre le premier de ces deux nombres autant de fois qu’il y a d’unités dans l’autre. Multiplier 4 par 3, c’est prendre trois fois le nombre 4. » Bezout (p.16)

Pour Reynaud :

« Le but de la MULTIPLICATION est de calculer un nombre nommé PRODUIT, qui soit composé avec un nombre connu, nommé MULTIPLICANDE, de la même manière qu’un nombre donné, nommé MULTIPLICATEUR, est composé avec l’unité ». Reynaud (p.10)

72 Ainsi, pour chacun des deux auteurs, dans la multiplication de 4 par 3, le multiplicateur 3 étant composé de 3 unités, le produit est composé de trois fois le multiplicande 4, c’est à dire 4 + 4 + 4. On ajoute alors le multiplicande autant de fois que le multiplicateur a d’unités. Bezout donne ensuite une raison d’être de la multiplication sur l’ensemble des entiers naturels après avoir montré le caractère fastidieux de l’addition réitérée :

« ce que nous appelons multiplication est la méthode de parvenir à un même résultat par une voie plus courte ». Bezout (p. 17)

La définition de la multiplication comme addition itérée demande la justification de la commutativité de l’opération : multiplier a par b, revient à calculer a + a + a ...+ a (b fois) alors que multiplier b par revient à calculer b + b + b ...+ b (a fois). Bezout justifie la commutativité à partir d’un exemple générique (Figure 3) :

Figure 3 - Extrait de Bezout (p. 17) : commutativité de la multiplication

Reynaud quant à lui part de la table de Pythagore pour constater que le produit de deux nombres à un chiffre est identique quelque soit l’ordre dans lequel on considère les facteurs ; il généralise ensuite ce constat de la façon suivante :

« pour former le produit d’un nombre par un autre, il suffit de multiplier successivement chaque unité du premier nombre par le second, ce qui donne le second nombre répété autant de fois qu’il y a d’unités dans le premier c’est-à-dire, le second nombre multiplié par le premier » (Reynaud, p. 11).

Reynaud explicite alors l’élément technologique Θcomm_x sans parler de commutativité, à partir d’un exemple généralisé ; en revanche, aucune référence n’est faite aux propriétés d’associativité (Θass_x) ou de distributivité de la multiplication par rapport à l’addition (Θdist) chez les deux auteurs.

Description de la technique :

- Multiplication d’un nombre par un nombre à un chiffre :

Bezout décrit la technique opératoire de la multiplication τCP_× en se plaçant dans un problème de conversion d’unités de mesure de grandeurs (des toises en pieds) et explique que le produit de 2864 par 6 « renfermera » 6 fois 4 unités, 6 fois 6 dizaines, 6 fois 8 centaines et 6 fois 2 milliers. Le calcul du produit et son écriture au fur et à mesure en commençant par le chiffre des unités à droite, se justifie avec ΘP et avec ΘD et Θmax pour la prise en compte et la gestion des produits partiels dépassant 10.

73 Reynaud décrit une technique identique, mais en expliquant (p.12) que pour calculer le produit de 567 par 4, on pourrait aussi faire une addition itérée qui consisterait à prendre 4 fois 7 unités, 4 fois 6 dizaines et 4 fois 5 centaines. Le retour à l’addition itérée permet de ne pas appeler la propriété de distributivité Θdist de la multiplication par rapport à l’addition ; par la suite, comme 4 fois 7 unités font 28 unités, on « pose 8 et on retient 2 », puis on procède de même par la suite.

Par conséquent, même si cela est plus transparent chez Reynaud, nous considérons que pour les deux auteurs, la justification de τCP_× pour un multiplicateur à un chiffre ne repose que sur les propriétés de la numération et non sur Θdist ; en se référant à la multiplication comme addition itérée, l’élément Θdist n’est pas nécessaire à la justification de la technique.

- Multiplication d’un nombre par un nombre à plusieurs chiffres :

Pour multiplier deux nombres de plusieurs chiffres, Bezout explique la position de l’écriture des différents produits partiels par un alignement selon les unités de même ordre (par exemple, le deuxième produit étant un nombre de dizaines, le premier chiffre de ce produit devra être écrit sous le chiffre des dizaines du premier produit). Il illustre son propos avec l’exemple de la Figure 4 et justifie cette technique en expliquant que pour calculer 6 958 fois 65 487, « on a pris 65 847, 8 fois par la première opération, 50 fois par la seconde, 900 fois par la troisième et 6000 fois par la quatrième ». La distributivité de la multiplication par rapport à l’addition (Θdist) semble donc être utilisée implicitement pour justifier la technique ; le raisonnement qu’il mène peut alors être décrit par les calculs suivants :

65 487 × 6 958 = 65 487 × (8 + 50 + 900 + 6000) en décomposant 6 958 sous une forme additive canonique ;

= 65 487 × 8 + 65 487 × 50 + 65 487 × 900 + 65 487 × 6 000 justifié par Θdist L’explication sur cet exemple se fait à partir de la décomposition additive canonique de 6 958, alors que la technique générale est explicitée avec des unités de numérations et semble plus en cohérence avec la disposition et les écritures de la Figure 4. Sur cette dernière, les produits partiels sont décalés vers la gauche, mais il ne figure ni point, ni zéro ; ils correspondent à des nombres d’unités de chacun des ordres successifs et non à des nombres d’unités simples, comme on peut les obtenir après une décomposition additive d’un des facteurs. Par exemple, l’écriture et la position de 327 435 signifient 327 435 dizaines (qui correspondent au produit de 65 487 par 5 dizaines) alors 3 274 350 (qui correspond au produit de 65 487 par 50) correspond à un nombre d’unités simples.

Figure 4 - Extrait de Bezout (p. 22) : multiplication posée

La technique et sa justification sont identiques chez Reynaud ; aucune référence explicite n’est faite à l’élément Θdist. L’écriture des produits partiels diffère néanmoins de celle de Bezout (Figure 5) et est cohérente avec l’explication donnée, qui repose sur des décompositions additives et conduit à des nombres d’unités simples : 170 010 est le produit partiel de 567 par 30.

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5 6 7 Multiplicande 2 3 4 Multiplicateur

2 2 6 8 1er produit partiel de 567 par 4 1 7 0 1 0 2e produit partiel de 567 par 30 1 1 3 4 0 0 3e produit partiel de 567 par 200

1 3 2 6 7 8 Somme des produits partiels, ou produit total de 567 par 234 Figure 5 - Extrait de Reynaud (p.11) : multiplication posée

Bezout et Reynaud abordent aussi les cas particuliers du calcul du produit de nombres multiples d’une puissance dix ; ils expliquent qu’il faut procéder comme s’il n’y avait pas de zéros et les ajouter à la fin. Si cette technique (τmultPD) n’est pas justifiée chez Bezout dans le cas général, Reynaud mène le raisonnement suivant (p. 13) pour la produire : quand on multiplie 2 500 par 30, le multiplicande est 25 centaines, donc si on multiplie 25, on sous-entend que le produit est en centaines. Comme on multiplie par 30, soit trois dizaines, le produit sera donc des dizaines de centaines, soit des milliers : on placera alors trois zéros à la fin de l’écriture chiffrée du nombre. Reynaud alterne donc, dans son discours, deux ostensifs de la numération : l’écriture en unités de numération est employée dans les justifications et l’écriture chiffrée intervient pour produire le résultat et permettre de dégager une règle plus générale. τmultPD explicitée à partir d’un exemple générique ne repose alors que sur deux technologies de la numération : ΘP et ΘD.

Pour conclure, Bezout et Reynaud justifient τCP_× en s’appuyant sur les aspects de la numération et appellent implicitement les propriétés de la multiplication en particulier Θdist (sans la nommer explicitement) pour justifier que le produit s’obtient à partir de la somme des produits partiels ; ΘP et

ΘD sont par conséquent mobilisés pour justifier en partie la technique et l’écriture des produits partiels.

Enfin, si Bezout n’aborde pas les multiples ou les diviseurs dans le premier chapitre de son traité, Reynaud conclut la section relative à la multiplication en définissant les multiples d’un nombre comme « les divers produits de ce nombre par 2, 3, 4, etc. » (p.14) ; il donne donc une définition qui permet plutôt de décrire les multiples d’un nombre que de les caractériser (à la différence de la définition mathématique que nous avons rappelée dans la partie II).

Différentes questions apparaissent alors en perspective de l’étude des praxéologies à enseigner et enseignées actuellement : la technique τCP_× est-elle encore celle actuellement enseignée ? Les deux auteurs ne se réfèrent pas à Θdist de façon explicite ; est-ce toujours le cas actuellement ? Comment la technique τmultPD est-elle enseignée ? Plus globalement, la variété des ostensifs de la numération utilisés (unités de numération - écriture chiffrée - décomposition additive canonique) pour justifier ces techniques est-elle encore actuellement présente ?