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Comme le souligne Artigue (2009), pour comprendre les choix que nous faisons et les éléments des cadres théoriques que nous retenons et que nous articulons, il est nécessaire de préciser les besoins auxquels ils permettent de répondre et leurs limites respectives. Nous commençons ainsi par montrer pourquoi il nous est nécessaire d’articuler deux approches, anthropologique et cognitive, puis ensuite nous précisons les différents outils théoriques que nous empruntons aux différents cadres de la didactique.

V.1.1 L’approche anthropologique

Nous avons montré la nécessité, pour interpréter les résultats des élèves (ou leurs réponses, si nous nous situons dans une perspective plus locale), de prendre en compte les phénomènes de transposition didactique qui apparaissent dans l’enseignement ; ils peuvent alors être décrits dans le cadre de l’approche anthropologique (Chevallard 1999), dans laquelle :

« toute activité humaine consiste à accomplir une tâche t d’un certain type T, au moyen d’une technique τ, justifiée par une technologie θ qui permet en même temps de la penser voire de la produire, et qui est à son tour justifiée par une théorie Θ. En bref, toute activité humaine met en œuvre une organisation qu’on peut noter [T, τ, θ, Θ] et qu’on nomme praxéologie ou organisation mathématique. » Chevallard (1999).

Ainsi, en termes d’évaluation, il s’agit, relativement à un savoir mathématique donné, de pouvoir déterminer les praxéologies apprises, relativement aux praxéologies à enseigner et celles enseignées ; quelle que soit l’évaluation considérée, sa validité repose sur le fait de pouvoir caractériser au mieux les praxéologies apprises. Dans le cas de l’évaluation CEDRE, les praxéologies apprises sont à considérer relativement à celles à enseigner puisque l’objectif de l’évaluation est de déterminer les acquis des élèves au regard des programmes ; l’évaluation diagnostique se situant dans le cadre d’un enseignement en classe, il est tout autant nécessaire pour la construire et pour qu’elle réponde à ses objectifs de diagnostic, de caractériser les praxéologies apprises en fonction de celles à enseigner. Nous n’étudions pas dans la thèse, de façon directe, les praxéologies enseignées ; néanmoins, et c’est aussi l’intérêt du choix de l’approche anthropologique, en déterminant les praxéologies apprises au regard de celles à enseigner, apparaissent alors certains décalages qui conduisent à formuler des hypothèses relatives aux praxéologies enseignées et éventuellement à repérer des savoirs « transparents » (Margolinas & Laparra, 2011) qui sont définis de la façon suivante :

« - ces savoirs vivent dans des institutions de production, qui peuvent être plus ou moins éloignées de l’École ;

- les connaissances en situation correspondant à ces savoirs sont identifiables, pour un observateur proche des institutions de production, dans des situations d’enseignement très courantes, dans lesquelles elles mettent fréquemment des élèves en difficulté ;

- les observations du système d’enseignement (enseignement effectif en classe, discours du professeur sur son activité, programmes d’enseignement, etc.) révèlent une absence ou une très faible prise en compte de ces connaissances comme objets possibles d’enseignement ou d’intervention éducative. » Margolinas (2012)

45 Repérer de tels savoirs sur un domaine donné permet, non seulement d’expliquer certains résultats et certaines réponses d’élèves, mais aussi de penser un enseignement adapté permettant de rendre visibles ces savoirs.

Nous observons que la TAD se révèle particulièrement adaptée pour l’analyse de l’évaluation CEDRE puisqu’elle permet de décrire les praxéologies apprises en perspective de celles à enseigner. En termes de validité de contenu, les questions relatives au choix des items, en particulier, la représentativité du domaine par les items choisis et la cohérence de l’item par rapport à l’objectif d’évaluation qui lui est assigné, se formulent donc à partir des praxéologies de la façon suivante : est- ce que les tâches présentes dans l’évaluation représentent les types de tâches du domaine ? Les techniques et technologies nécessaires attendues par l’évaluateur pour résoudre la tâche sont-elles effectivement celles mobilisées par l’élève ?

Si nous nous limitions à une étude du contenu de l’évaluation pour en garantir une bonne validité, une telle approche pourrait suffire : en décrivant les différentes organisations mathématiques du domaine, nous pourrions alors étudier les tâches proposées dans l’évaluation et mettre en perspective les techniques et les technologies apprises au regard de celles à enseigner et questionner éventuellement celles enseignées en repérant d’éventuels savoirs transparents. Des décalages peuvent ainsi être rendus visibles à partir de techniques ou d’éléments technologiques appris qui sont révélés par les productions d’élèves ; par exemple, des techniques et des technologies de division relevant du cycle 2, telles que le groupement ou le partage, qui seraient toujours présentes (et donc n’auraient pas évolué) en fin d’école.

A travers l’étude des phénomènes de transposition, il est aussi possible de montrer comment les différentes praxéologies s’emboîtent et s’agrègent : des difficultés liées à des techniques mal maitrisées ou utilisées en dehors de leur domaine de validité pouvant être expliquées au regard de technologies sur lesquelles elles reposent. Mais, comme l’explique Artigue (2009) au sujet des phénomènes de transition étudiés par Grugeon (1997) :

« La TAD est porteuse de la problématique au niveau macro-didactique et, en ce sens, elle oriente profondément la recherche. Les difficultés de la transition y sont en effet approchées en termes de rapports institutionnels, non en termes de difficultés cognitives des élèves, et ce sont ces discontinuités que l’on cherche à identifier en priorité.» Artigue (2009).

Il s’agit alors pour nous de prendre en compte à la fois les phénomènes de transposition pour comprendre et expliquer les acquis des élèves sous un filtre institutionnel, mais aussi les difficultés cognitives des élèves. Il nous semble important, quelque soit l’évaluation que l’on considère (interne, externe, bilan, diagnostique...) de ne pas se limiter à une explication des résultats des élèves reposant sur de seules difficultés d’ordre cognitif, mais de les situer aussi dans une perspective anthropologique. Nous partageons et reprenons alors les propos de Grugeon (à paraitre), formulés pour l’étude des phénomènes de transition en algèbre et liés aux difficultés relatives à ce savoir :

« Les explications bien souvent entendues pour justifier cet échec sont d’ordre cognitif : les difficultés des élèves résultent de leur niveau mathématique. Une approche cognitive sert ce type de raisonnement et les conclusions associées. L’adoption d’une approche anthropologique permet de dépasser cette vision négative, de regarder le cognitif à travers le filtre institutionnel et de projeter la problématique étudiée dans l’ensemble des phénomènes de transition ». Grugeon (à paraître)

Si les phénomènes de transition évoqués par Grugeon concernaient des élèves de BEP, ils restent d’actualité pour tous les niveaux scolaires ; dans notre recherche, la transition se situant plutôt à

46 l’articulation école-collège, nous l’étudions plus spécifiquement sur le domaine de la numération et de l’arithmétique des entiers.

Nous comprenons alors comment un « métissage » (Assude, citée par Artigue 2009) entre une approche anthropologique et une approche cognitive nous permet d’interpréter les résultats des évaluations qu’elles soient externes bilan ou externe à usage interne, diagnostique. Nous montrons que la nécessité et l’intérêt de ce métissage ne se limitent pas à cela.

V.1.2 La prise en compte du cognitif

L’évaluation permet de décrire les praxéologies apprises à une étape de l’apprentissage, mais ces dernières sont destinées à évoluer ; leur évolution peut correspondre à des attendus institutionnels (certaines techniques et technologies évoluent du cycle 2 au cycle 3, comme pour la division par exemple), mais elle peut aussi être liée au développement conceptuel de l’élève qui se réalise aussi à l’extérieur de l’institution scolaire. Ce sont donc des éléments d’ordre anthropologique, mais aussi conceptuels qui permettent de repérer l’évolution des praxéologies apprises et de les caractériser. Il est nécessaire de prendre en compte ces deux approches pour concevoir et analyser des évaluations externes bilan ou diagnostiques à visée formative.

En effet, l’objectif premier d’une évaluation bilan est de faire un état des praxéologies apprises à une étape de l’apprentissage ; il ne s’agit pas, au contraire du diagnostic, de déterminer comment faire évoluer les praxéologies apprises en repérant les besoins des élèves en fonction des réponses qu’ils produisent. La conception du diagnostic implique de décrire des profils des élèves qui peuvent se réaliser à partir d’un codage de leurs réponses ; pour que le traitement des réponses soit possible, il est alors nécessaire d’anticiper des classes de réponses. Dans cette perspective, ce n’est plus « l’élève dans la classe » que nous considérons mais l’élève en tant que sujet individuel (Chaachoua 2010, p.11).

L’intérêt de considérer conjointement une approche anthropologique avec une approche cognitive est souligné par Maury & Caillot (2003) :

« Toutes importantes qu’elles soient, les études portant sur les conceptions, ne prennent pas réellement en compte, de manière directe en tous cas, les effets du contexte institutionnel dans lequel se déroulent les apprentissages. Elles apportent certes un éclairage très intéressant sur la relation élève/savoir, mais cet éclairage est insuffisant pour rendre compte de ce qui se noue réellement entre l’élève et le savoir dans la relation didactique. » Maury & Caillot (2003, p. 20)

Nous comprenons alors l’intérêt de définir un rapport institutionnel au savoir dans le cadre de la théorie anthropologique (Chevallard 1999) et le rapport personnel des élèves à ces objets de savoir ; ce dernier permettant d’identifier la multiplicité des rapports que les élèves, au sein d’une même institution, peuvent avoir développés.

V.1.2.i La théorie des champs conceptuels

Nous exploitons la théorie des champs conceptuels (Vergnaud 1990) pour déterminer les problèmes nécessaires au développement des concepts étudiés. Un concept étant défini comme :

« un triplet de trois ensembles (S, I, L), l’ensemble S des situations qui donnent du sens au concept, l’ensemble I des invariants sur lesquels repose l’opérationnalité des schèmes (le signifié) ; l’ensemble L des formes langagières et non langagières qui permettent de représenter symboliquement le concept, ses propriétés, les situations et les procédures de traitement (le signifiant). » Vergnaud (1990, p. 61)

47 La prise en compte d’une approche épistémologique en lien avec les champs conceptuels permet ainsi de déterminer si les tâches proposées dans une évaluation sont représentatives du domaine, mais aussi d’analyser les réponses des élèves en tenant compte de leur développement conceptuel. Utiliser la théorie des champs conceptuels permet ainsi d’éclairer le rapport personnel des élèves au savoir, relativement à leur développement conceptuel alors que la TAD définit les rapports de l’élève, en tant que sujet d’une institution, au savoir mathématique29.

Comme nous l’avons vu précédemment dans la définition qu’il donne d’un concept et dans l’articulation entre didactique et cognitif, Vergnaud accorde aussi une place importante aux formes qui représentent le concept ; c’est pourquoi nous complétons notre étude par une approche sémiotique.

V.1.2.ii Une approche sémiotique complémentaire Repartons du constat de Nikolantonakis & Vivier (2009) :

« en TAD, un type de tâches n’est pas toujours énoncé en faisant référence au(x) registre(s) de représentation utilisé(s). Or, une tâche que doit traiter un élève est toujours exprimée à l’aide de registres sémiotiques.» Nikolantonakis & Vivier (2009).

Ainsi, en prenant en compte les différents types de représentation sémiotique, il est alors possible de décrire plus finement les tâches et par conséquent, de pouvoir analyser de façon plus précise les techniques et technologies mises en jeu dans la résolution.

Par exemple, si on considère « la somme de deux-mille et de cinquante-sept » dans le registre de la numération parlée, on peut donner le résultat en accolant les noms des nombres « deux-mille- cinquante-sept » ; même si cette technique est limitée à des types de nombres particuliers, elle est spécifique à la numération parlée. En effet, dans le registre des écritures chiffrées, le calcul de la somme (2000 + 57) s’effectuerait en utilisant les propriétés de la numération écrite chiffrée, ou éventuellement à partir de l’algorithme de l’addition posée (effectif ou mentalement), mais pas en accolant les deux écritures 2000 et 57, pour former le nombre 200057 ; on comprend alors que le registre de représentation dans lequel la tâche est énoncée peut faire varier la technique de résolution.

Au-delà de cet exemple, c’est plus globalement un point de vue cognitif prenant en compte l’articulation entre les registres de représentation sémiotique que nous souhaitons intégrer à notre travail ; il s’agit donc, dans une évaluation, de pouvoir identifier les types de transformations que l’élève est capable de mener et les types de registres de représentation dans lesquelles elles se réalisent pour déceler d’éventuels besoins. Duval (2006) distingue deux types de transformations qui nous semblent intéressantes à considérer dans notre travail (les traitements, s’effectuant à l’intérieur même d’un même registre et les conversions, correspondant à des changements de registres) et il précise l’importance de les prendre en compte pour l’analyse a priori des tâches et l’analyse des réponses des élèves :

« Il faut commencer par SÉPARER COMPLÈTEMENT30ces deux types de transformation que sont les conversions et les traitements. Cela aussi bien pour faire une analyse a priori des tâches, y compris de celles impliquées par la résolution d’un problème, que pour faire une analyse des

29 Dans sa thèse, Croset (2009, p. 177) définit la notion de praxéologie en acte que Chaachoua (2010) reprendra

sous le terme de praxéologie personnelle comme modélisation des pratiques d’un élève, en tant que sujet d’une institution.

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productions d’élèves. Car, répétons le, d’un point de vue cognitif ces deux types de transformations de représentation sémiotique dépendent de processus qui n’ont rien de commun. Ce sont deux sources indépendantes de difficultés dans l’apprentissage. Et la toute première source de difficulté est d’abord dans les changements de registre de représentation. » Duval (2006, p. 83).

Distinguer les différents types de registres de représentation sémiotique, que ce soit dans les tâches d’écriture des nombres et de calcul que lors de la résolution de problèmes, nous permettra aussi d’étudier la complexité de certaines tâches de conversion, notamment lorsqu’il n’y a pas congruence entre les deux registres de représentation. Nous veillerons aussi à prendre en compte le sens de la conversion :

« La conversion est orientée et non réversible. Ce qui veut dire que la conversion directe et la conversion inverse sont souvent de nature différente et soulèvent des difficultés et des obstacles qui n’ont rien de commun. » (Ibid, p. 79)

Si pour Duval (1996), « il ne suffit pas qu’il y ait développement de chaque registre. Il faut également que les différents registres dont le sujet dispose [..] se coordonnent », cela signifie que pour évaluer la compréhension de différentes notions mathématiques, il faut proposer des tâches de traitement et de conversion mettant en jeu différents registres et différents types de conversion.

Comme Artigue (2009) l’avait souligné pour Grugeon (1997), et puisque nous nous situons dans la lignée de ses travaux, nous dépassons les usages habituels de la TAD, ce qui pourra expliquer que « le découpage de la réalité » que nous ferons sera peut-être plus fin que celui fait usuellement (nous l’observerons lors de la définition des différentes praxéologies). D’une part, la spécificité de ce travail mené à l’école primaire exige une finesse plus grande pour comprendre ce qui se joue dans chacune des tâches et ce qui peut expliquer les résultats des élèves ; d’autre part, le couplage avec la théorie des champs conceptuels et l’approche sémiotique de Duval qui nous semblent complémentaires et nécessaires pour notre travail, imposent de prendre en compte la résolution de problèmes (au sens de Vergnaud (1990)) et les différents types de représentation mobilisés dans la résolution d’une tâche.

V.1.2.iii Les approches psycho-didactiques en évaluation

Nous n’avons pas encore abordé, ou très peu, la façon dont nous allons pouvoir apporter des preuves de validité liées aux processus de réponse apportés par l’élève. Il s’agit ici de nous intéresser à l’activité de l’élève en situation de résolution de la tâche et d’étudier si les connaissances (ou plus généralement les stratégies) qu’il mobilise sont bien celles pensées par l’évaluateur à travers la tâche qu’il a prescrit. Si le cadre de la théorie de l’activité se prête bien pour étudier le décalage entre une tâche prescrite et l’activité de l’élève (Rogalski 2003), Vantourout & Goasdoué (2014) ont développé plus largement la notion de validité psycho-didactique d’une évaluation.

Développée, dans le cadre des approches psycho-didactiques en évaluation, cette validité correspond à celle que nous considérons ici (liée aux processus de réponse), puisqu’ils la définissent ainsi :

« cela signifie que l’évalué va effectivement mobiliser la (ou les) connaissance(s) attendue(s). La notion de validité, dans cette approche, tient donc compte du processus de réponse de l’évalué, avec le souci de comprendre avant tout son fonctionnement cognitif afin d’obtenir un diagnostic de qualité. C’est ce type de validité que nous nommons « validité psycho- didactique » (VPD). » Vantourout & Goasdoué (2014)

49 L’étude de cette validité repose sur deux axes : une analyse a priori de la tâche dans un cadre didactique (notons que le cadre sous jacent à la validité psycho-didactique (VPD) est celui des champs conceptuels), puis une prise en compte des caractéristiques de la tâche telles que le contexte de la situation (en résolution de problèmes), le format de la question, l’environnement (papier crayon ou support informatique...). Pour l’étude de cette validité, il est alors possible de se baser sur des travaux existants décrivant l’influence de ces dimensions, mais aussi d’étudier l’activité effective des élèves.

Nous décrirons plus précisément les dimensions que nous prendrons en compte dans notre travail pour l’analyse de cette validité ; nous concluons néanmoins sur le caractère principal que revêt l’analyse a priori à la fois pour l’étude de la VPD, mais aussi pour l’étude du contenu comme nous l’avons déjà évoqué précédemment.