• Aucun résultat trouvé

Avant même les années 1980, les chercheurs se sont intéressés à l’étude des changements climatiques et environnementaux dans les îles caribéennes (principalement les Grandes Antilles; Newsom 1993 : 25; Siegel et al. 2005), prélevant des carottes de sédiments dans les différentes étendues d’eau pour évaluer la séquence événementielle depuis le début de l’Holocène. Les notions actuelles et les limites de représentativité et de validité de ces études s’étant raffinées, il n’en reste pas moins que ces séquences générales ont été utilisées pendant plusieurs années pour tenter d’inférer des causes à certains changements archéologiques, comme la transition entre les peuples archaïques et saladoïdes. Newsom, dans sa thèse doctorale (1993), fait également des liens avec les changements environnementaux observés dans les études palynologiques et des microcharbons de bois. L’importance de l’apport de cette approche interdisciplinaire à la compréhension des phénomènes anciens semble donc avoir été comprise assez tôt chez les archéobotanistes de la région caribéenne, bien que les interprétations qui en découlent soient discutables.

Cependant, la multidisciplinarité au sein même de l’archéobotanique n’a pas connu, et ne connaît toujours pas, une aussi grande popularité. Pourtant, Adams et Smith (2011) soulignent le fait que les meilleures données archéobotaniques sont celles qui comprennent plusieurs types de restes pour amener une compréhension plus exhaustive du rôle joué par les plantes dans la vie de tous les jours des populations passées. L’archéobotanique est une science multidisciplinaire en soi puisqu’elle permet l’étude de plusieurs types de micro- et macrorestes botaniques ayant le pouvoir de refléter les relations anthropo- environnementales. Très peu d’archéobotanistes sont néanmoins habiletés à tous les étudier, se spécialisant dans l’étude d’un ou de deux types de restes seulement, et ce, dans une région spécifique donnée. Combiné à d’autres études, par exemple la zooarchéologie, la géographie (ex. : les études palynologiques), la bioarchéologie (ossements humains) ou encore les analyses isotopiques, l’archéobotanique joue un rôle clé dans la compréhension de la dynamique anthropo-environnementale.

81

Les études de Newsom et Pearsall au courant des années 1980 et 1990 ont mené à l’accumulation de données provenant des phytolithes, des graines et des charbons de bois dans plusieurs sites caribéens de la période précolombienne. Il est cependant difficile de les considérer comme multidisciplinaires, tel que présentée dans cette thèse, puisqu’il s’agit plutôt d’une mise en commun tardive de données récoltées sur plusieurs années de recherche. Par contre, Sara et al. ont réussi cette approche en 2003, combinant les charbons de bois, les grains de pollen et les graines à d’autres données environnementales (climat, niveau de la mer, etc.) pour leur étude sur les paléoenvironnements de l’île de Vieques. Nieuwenhuis (2008) présente également une étude qui combine l’analyse des grains d’amidon et des phytolithes sur des artéfacts provenant de l’île de Saba.

Il y a matière à réflexion sur cette quasi-absence de cette approche archéobotanique multidisciplinaire au sein de l’archéologie caribéenne. D’après Pagán-Jiménez (2011a : 96), les grains d’amidon sont, pour le moment, les seuls microrestes botaniques dont la provenance (datation radiocarbone confirmée) est assurément associée aux occupations archaïques. Cela rend effectivement l’intégration des données plus difficile, voire impossible.

C’est ainsi qu’un problème méthodologique au sein même de la discipline archéobotanique apparaît, rendant difficile l’étude de plusieurs types de restes botaniques à la fois. Il reste en effet beaucoup de travail à faire concernant l’échantillonnage des restes botaniques dans les Caraïbes pour parvenir à une multidisciplinarité représentative des analyses archéobotaniques, comme en témoigne cette thèse. Les quelques études archéobotaniques qui sont réalisées dans les îles caribéennes n’utilisent ni une méthodologie comparable ni le même type de déposition pour le prélèvement des échantillons. Par exemple, Siegel et al. (2015) ont prélevé des carottes de sédiments lacustres pour analyser les grains de pollen et les phytolithes afin de déterminer le moment d’introduction du maïs dans les îles. Ailleurs, les phytolithes ont été prélevés à même les artéfacts lithiques (Berman et Pearsall 2008). De leur côté, les graines et les charbons de bois sont prélevés à la main ou dans des échantillons de sédiments au volume prédéterminé, lorsque possible, mais variables d’une étude à l’autre (Britt 2005, 2010; Newsom 1993,

82

Newsom et Pearsall 2003, Newsom et Wing 2004). Finalement, les grains d’amidon proviennent principalement d’artéfacts lithiques, de dépôts sur les céramiques et de dents humaines (tartre). Ainsi, les phytolithes et les grains d’amidon ne sont généralement pas prélevés directement dans les sédiments.

Nonobstant ces différences méthodologiques, toutes ces études se veulent un apport essentiel à la meilleure compréhension des populations passées, de leur mode de vie, de leur alimentation et de leur interaction avec leur environnement. Cependant, l’ampleur des problèmes interprétatifs est majeure, d’autant plus que des généralisations sont parfois faites à partir de données peu représentatives. Ainsi, l’opinion de Pagán-Jiménez (2011a : 96) sur la validité des données botaniques concernant les populations anciennes en est une qui se comprend. Il est évidemment plus sûr d’obtenir des résultats concrets sur l’alimentation d’une population avec l’étude des grains d’amidon prélevés sur une dent humaine, par exemple, que des phytolithes provenant d’une déposition lacustre dont la datation est ambigüe et dont la nature du dépôt n’est peut-être pas associée à une activité humaine.

En somme, le constat principal est que l’archéobotanique n’est clairement pas utilisée à son meilleur potentiel dans la région. La méthodologie utilisée est défaillante en plusieurs points, dont celui lié à la comparaison inter site. Il semble qu’une première solution serait le développement d’une méthodologie de base adaptée au contexte caribéen, ainsi que sa mise en pratique pour assurer de bonnes interprétations archéobotaniques. En attendant, cette thèse se base sur une méthodologie déjà utilisée par Pearsall ailleurs sur les îles caribéenne, afin de rendre possible la comparaison intersite. De plus, l’archéobotanique reste une option facultative pour plusieurs chercheurs qui préfèrent diriger leurs travaux vers l’étude de la culture matérielle ou encore de l’architecture. Ceci s’explique, en partie, par le désir de suivre la « tendance » archéologique au niveau des choix du sujet d’étude, par exemple de mieux comprendre les vagues de peuplement des îles, les schèmes d’établissement, ou encore l’architecture coloniale et le système de plantation. Ainsi, il est difficile pour le chercheur de bien orienter son projet et de le réaliser de manière à ce qu’il

83

puisse être utile dans le contexte plus large de la Caraïbe, et non seulement pour un site en particulier.

84

Chapitre quatre

Applications de différentes méthodes archéobotaniques

L’archéobotanique est une discipline de l’archéologie environnementale et comprend plusieurs spécialisations ayant un lien direct avec l’examen de la flore archéologique. Les analyses effectuées dans le cadre de cette recherche combinent l’étude de quatre éléments botaniques, soient les graines, le charbon de bois, les grains d’amidon et les phytolithes, et visent spécifiquement à démontrer l’efficacité de l’application multiple de ces restes dans la résolution de problèmes archéologiques. Ce chapitre présente l’ensemble de la démarche méthodologique utilisée dans cette étude, qui comprend toutes les étapes depuis l’élaboration de la stratégie d’échantillonnage sur le terrain jusqu’à l’analyse des sédiments en laboratoire. La dernière section est, quant à elle, consacrée à l’explication des divers agents taphonomiques affectant les macro- et microrestes botaniques à l’étude. Ces agents sont déterminants dans la compréhension de la formation des sites et des assemblages, ainsi que dans l’interprétation des résultats.

85