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Les mouvements de la procession et de la conversion

Dans le document L'intériorité dans l'oeuvre le Plotin (Page 34-37)

I. 3 LE SYSTÈME MÉTAPHYSIQUE PLOTINIEN

1.3.2. Les mouvements de la procession et de la conversion

La véritable efficacité est la fécondité de surabondance, le surplus gratuit d'une opulence qui ne peut être que généreuse, justement parce quelle n'a rien à désirer ni à perdre46.

Parmi les difficultés de la métaphysique plotinienne se dresse celle-ci: comment rendre compte de la multiplicité et de l’altérité ? Ou encore, en d’autres termes, pourquoi l’Un n’est pas resté en lui-même ? La réflexion se trouve placée devant le paradoxe de l’Un qui laisse advenir autre chose que lui-même (Εππ. Ill, 8,10 ; III, 9,4 ; V, 1,6 ; V, 2,1 ; V, 3,15 ; V, 4,1 ; V, 9,14) ! La vie, les étants et les êtres vivants sont des traces de l’Un

(Εππ.Ill, 3,3 ; V, 5,5 ; VI, 7,17).

Le mode du fonctionnement des hypostases est un jaillissement inépuisable de la réalité, un flux, un flot de vie, une immense Vie qui s’épanche régulièrement. Toute chose vient de l’Un et toute chose retourne vers Lui. Tout être est ainsi constitué. L’Un est l’origine de la procession (ή πρόοδος) et le terme de la conversion (ή επιστροφή). En Εππ.V, 1,6, Plotin dit : « Si une chose vient après lui (Un), elle ne peut venir à l'existence que s'il est éternellement tourné vers lui-même ». Et plus loin dans ce même texte : « tout être engendré désire

et aime l'être qui l'a engendré ». Problème difficile et sérieux. Voici un des rares endroits où Plotin nous fait lire de manière étonnante : « traitons le problème en invoquant Dieu ». On peut parler, à la suite de P.-J. About, de Γidentité de la procession et de la conversion . En vérité, ce sont deux moments inséparables.

La notion de procession peut être rendue par deux termes plus ou moins adéquats : la dérivation et P émanation ; mais ce dernier est plus tardif. Deux termes sont très impropres à la pensée de Plotin : la création ou mieux la « creatio ex nihilo », qui est une idée judéo-chrétienne, et la fabrication qui évoquerait l’idée d’un démiurge artisanal, utilisant du matériau préexistant.

Pour Plotin, tout être parvenu à la perfection de sa maturité engendre, nécessairement, naturellement (Επη. V, 1,6 et V, 4,1). La procession nécessaire est une effusion de surabondance, une spontanéité pure et a-temporelle, sans fatigue et inépuisable. Il est significatif de concevoir que l’Un donne ce qu’il n’a pas : être, vie, pensée. Car, pour pouvoir donner une chose, il faut être au-delà de ses dons. L’Un ne donne rien de lui. Pas d’amour, ni de volonté, ni d’intérêt, ni de délibération pour ajuster les moyens mécaniques aux fins. Sinon il ressemblerait à un pauvre artisan. Plotin a une boutade : « Même la laideur d'un être humain est plus belle que la beauté d'une statue » (Επη. VI, 7,12). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que l’Un constitue l’Intellect, que l’Intellect constitue l’Âme et que l’Âme constitue les corps matériels. (Επη. Ill, 9,9 ; V, 1,1 ; VI, 7,7).

Plotin utilise une variété d’images ou de métaphores pour rendre compte du système de la procession métaphysique47 : tantôt des images sociales (ex. le cortège du Roi : Επη. V, 5,3), tantôt des images mathématiques ou physiques (ex. le cercle et le soleil : Επη. I, 7,1 ; IV, 3,17 ; V, 1,6), tantôt des images biologiques (ex. l’engendrement ou la génération : Επη. V, 1,6 ; V, 4,1), et tantôt même une image naturaliste ou écologiste : la source inépuisable (Επη. Ill, 8,10 ; VI, 9,5). Ne perdant rien de ce qu’elle

Cf. P.-J. ABOUT, op. cit., pp.56-61.

donne, gardant son intégrité et son identité inaltérables, cette Source de Plotin doit être une Source absolue, qui passe tous les absolus.

Les trois hypostases plotiniennes sont, selon Jean-Marc Narbonne, comme trois vasques (bassins) supérieures d’une fontaine qui coule régulièrement. Chacune d’elles

« s'abreuve à celle qui est immédiatement supérieure et ne peut alimenter, féconder, celle qui la suit qu'à partir de l'instant où elle est elle-même satisfaite, comblée par celle qui la précède, sans que l'on puisse dire à aucun

moment que la toute première source, réserve ultime de cet incessant flot de vie, reste étrangère à ce qui se

produit pourtant loin en-deçà d'elle, et qui ne peut l'affecter »48.

L’autre mouvement, celui de la conversion, est aussi une nécessité. L’être inférieur doit se tourner vers le Supérieur pour trouver et garder sa consistance d’être. Il le contemple afin d’en être inspiré. Le désir de l’unité et de la stabilité taraude les êtres multiples. Il faut un travail de purification, dont les principales exigences sont les suivantes : la fuite du monde, la recherche de la vertu et de l’intériorité, l’exercice de !’intelligence et de la contemplation (Επη. I, 1,6-9).

Il s’agit, en d’autres termes, de l’action la plus prenante de se rassembler, de se concentrer (retour en soi) et de fixer le regard sur l’Intellect et aller au-delà. Cette action peut se présenter parfois comme une lutte des plus rudes contre P« oubli » des origines, la dualité et l’éparpillement (Επη. I, 6,7 ; V, 1,1). Le but est d’aiguiser le désir de l’Un et de se rendre disponible pour le contacter. « Celui qui aura appris qui il est (apprendre à se connaître), connaîtra aussi d'où il vient » (Enn.VI, 9,7). L’être vivant humain, avec sa conscience et sa liberté, est le mieux placé. Il doit user de ses moyens naturels, de ses seules forces, en traversant les différents niveaux. Son nouvel essor et ses retrouvailles célestes ne seront pas le fruit d’une grâce fiée à une foi et n’exigeront aucun sacrifice rédempteur. Aussi l’Un est-il extrêmement impassible : pas de jubilation si l’âme réussit ; pas de regret si l’âme s’égare ! L’Un demeure le terme difficilement accessible de l’extase.

J.-M. NARBONNE, Plotin. Les deux matières [Ennéade II, 4 (12)]..., éd. J. Vrin, Paris, 1993, p.9.

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