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Partie 2 : L’intestin grêle

III- Innervation de l’intestin grêle

3) Motricité intestinale

Les fonctions digestives et absorptives de l’intestin grêle que nous venons de décrire dépendent de mécanismes permettant de mélanger les aliments avec les sécrétions digestives, de faciliter le contact du chyme avec la muqueuse et d’assurer la propulsion du contenu intestinal le long du tube digestif. Tout ceci va être permis par l’activité motrice de l’intestin grêle. Comme nous l’avons évoqué, Bayliss et Starling ont observé en 1899 que l’intestin grêle isolé, donc sans innervation extrinsèque, est capable de se contracter de façon polarisée dans le sens oro-anal [165].

Ceci démontre que cette contractilité intestinale est dictée uniquement par le SNE, et peut se produire indépendamment de l’activité du SNC, bien que celui puisse la moduler. Il est décrit plusieurs types d’activités motrices en fonction de l’état nutritionnel, c'est-à-dire en fonction des périodes inter-digestives ou des périodes postprandiales.

a) Période inter-digestive

Pendant les périodes de jeûnes inter-digestifs, l’intestin est soumis à des ondes lentes de contractions, se propageant de proche en proche en direction anale. Cette activité motrice est connue sous le nom de Complexe Moteur Migrant (CMM). Chaque cycle de CMM peut se décomposer en 3 phases [208]. La phase I dure environ 35-65 min, il s’agit d’une phase de quiescence, seules les ondes lentes sont présentes. Comme nous le verrons par la suite (voir point c)), celles-ci sont engendrées par les CIC, qui agissent comme des cellules pacemakers. La phase II dure 25-60 min, et correspond à une phase d’activité irrégulière, à savoir que des potentiels d’actions viennent surcharger les ondes lentes entraînant des contractions irrégulières de faibles amplitudes. Enfin la phase III dure 5-10 min, chaque onde lente est porteuse d’un potentiel d’action provoquant des contractions régulières. Chez l’Homme et le chien, la phase III de contraction a lieu périodiquement toutes les 90-120 min [209]. Les contractions spontanées de la phase III débutent pour la plupart dans l’estomac (71%), mais peuvent également être initiées dans la partie proximale de l’intestin grêle (29%) [210]. Les mécanismes déclenchant ce CMM ne sont pas à ce jour totalement élucidés, cependant la libération d’hormones GI, ainsi que des activations nerveuses semblent être impliquées. En effet, une phase III d’origine stomacale peut être induite chez l’Homme

via une administration iv de motiline, d’érythromicine ou de ghréline, alors que l’administration de

sérotonine ou de somastostatine induit une phase III d’origine duodénale. D’un point de vue nerveux, le rôle du nerf vague dans le contrôle du CMM semble être restreint à l’estomac, puisqu’une vagotomie transthoracique bilatérale chez le chien bloque le CMM dans l’estomac sans affecter celui de l’intestin grêle [211]. Cette dernière observation démontre également la contribution du SNE dans la mise en place du CMM au niveau de l’intestin grêle. En effet, les contractions observées lors des phases II et III du CMM ne sont possibles que lorsqu’une onde lente et la libération d’un neurotransmetteur excitateur par les motoneurones du SNE surviennent de façon simultanée [210]. De plus, des expériences menées par Sarna et al. ont permis de mesurer le CMM au niveau du jéjunum chez le chien, en réponse à une perfusion locale d’atropine (un antagoniste cholinergique muscarinique) ou d’hexaméthonium (un antagoniste cholinergique nicotinique) [212]. L’administration de ces 2 agents pharmacologiques juste avant l’arrivée de la

phase III au niveau du site de perfusion bloque complétement la propagation des contractions de cette phase III. Dès lors, il semblerait que les neurones cholinergiques entériques participent à l’établissement du CMM. Concernant les rôles fonctionnels du CMM, il contribue à débarrasser l’intestin des particules alimentaires non digérées et des sécrétions digestives non réabsorbées. De plus, chez des patients souffrant d’un défaut ou d’une absence de CMM, il est observé une pullulation microbienne de l’intestin grêle [208]. Ainsi, cette activité motrice permet également d’empêcher la colonisation bactérienne intestinale entre les repas. Pour résumer, le CMM a pour but de faire place nette afin de préparer le tube digestif au prochain repas. Enfin, le CMM est immédiatement stoppé par l’ingestion des nutriments [213] et est relayé par d’autres types de contractions intestinales propres à la période postprandiale.

b) Période postprandiale

L’arrivée des nutriments dans le tube digestif va entraîner l’apparition de 2 types d’activité motrice. Le plus connu étant le péristaltisme, qui permet la propulsion du contenu luminal dans le sens aboral. Cependant, l’activité motrice prédominante après un repas est l’activité dite de segmentation, permettant le mixage du chyme ainsi que son contact facilité avec la paroi digestive [214].

b.1) Activité péristaltique

Le réflexe péristaltique provoque une contraction de la couche musculaire circulaire en amont du bol alimentaire (côté oral), et une relaxation de celle-ci en aval (côté anal). Il se forme ainsi un segment d’amont propulsif et un segment d’aval réceptif, se reproduisant de proche en proche, permettant la progression du bol alimentaire dans le sens oro-anal. Le déclenchement du réflexe péristaltique fait suite à l’activation des IPANs. En effet, comme nous l’avons déjà détaillé (voir Partie 2, point III-1)b)), le stretch de la muqueuse intestinale et les sécrétions GI associées à l’arrivée du bol alimentaire vont entrainer une libération de sérotonine qui va être détectée par ces derniers. Ces neurones sensoriels vont alors activer les interneurones entériques ascendants et descendants. Les interneurones ascendants cholinergiques se projettent en direction orale sur les motoneurones excitateurs cholinergiques et tachykininergiques du plexus myentérique, provoquant ainsi la contraction en amont du chyme. Les interneurones descendants, eux, ont un codage neurochimique plus complexe (voir Partie 2, point III-1)b)) et se projettent en direction anale sur les motoneurones

inhibiteurs nitrergiques du plexus myentérique, générant la relaxation en aval du bol alimentaire [215] (Figure 15).

Figure 15: Péristaltisme.

Le déclenchement du réflexe péristaltique fait suite à l’activation des IPANs.Ces neurones sensoriels vont alors activer les interneurones entériques ascendants et descendants.Les interneurones ascendants se projettent en direction orale sur les motoneurones excitateurs cholinergiques et tachykininergiques du plexus myentérique, provoquant ainsi la contraction en amont du chyme. Les interneurones descendants se projettent en direction anale sur les motoneurones inhibiteurs nitrergiques, générant la relaxation en aval du bol alimentaire. Il se forme ainsi un segment d’amont propulsif et un segment d’aval réceptif, se reproduisant de proche en proche, permettant la progression du bol alimentaire dans le sens oro-anal.

b.2) Activité segmentaire

L’activité segmentaire, mise en évidence par Cannon dans les années 1900 [214], va provoquer des contractions régulières et stationnaires tout le long du chyme, divisant ainsi l’intestin en segments. Au niveau de chaque segment d’intestin formé entre 2 contractions de la couche musculaire circulaire, une troisième contraction va se déclencher au centre de celui-ci, afin de forcer

le chyme à se mélanger et à venir contre la paroi absorptive intestinale [216] (Figure 16). De plus, ces phases de contraction s’alternent avec des périodes de relaxation, ayant pour conséquence la division et la re-division du chyme, et donc un brassage maximal [217]. Les mécanismes responsables de ces ondes segmentaires sont encore très peu connus. Des évidences indiquent cependant que le SNE participe à l’établissement de ces contractions, puisque le blocage pharmacologique de la neurotransmission entérique abolit la segmentation intestinale induite par des acides gras intraluminaux [217]. De plus, cette activité segmentaire intestinale est également abolie par l’hexaméthonium, suggérant que les récepteurs nicotiniques cholinergiques soient impliqués dans les circuits neuronaux sous-jacents [217]. Enfin, des expériences ont montré que l’injection de sérotonine et de CCK sur des fragments de duodénum et de jéjunum entraînait l’apparition de ces contractions segmentaires [218]. Une hypothèse est donc que ces 2 hormones GI puissent être libérées en réponse à l’arrivée des nutriments, déclenchant dans un second temps l’activité segmentaire intestinale.

Figure 16: Activité segmentaire.

L’activité segmentaire provoque des contractions régulières et stationnaires tout le long du chyme, divisant ainsi l’intestin en segments. Au niveau de chaque segment d’intestin formé entre 2 contractions de la couche musculaire circulaire, une troisième contraction va se déclencher au centre de celui-ci, afin de permettre un brassage maximal du chyme.

c) Régulation de l’activité motrice

Dans un premier temps, la motricité digestive va essentiellement être dictée par l’alimentation. En effet, l’arrivée des nutriments va elle-même déclencher l’activation des contractions péristaltiques ou segmentaires. De plus, l’incidence relative de ces 2 types de contractions va dépendre de la quantité de nutriments dans la lumière intestinale [219, 220]. En effet, lorsque ceux-ci sont présents, les contractions segmentaires dominent à l’instar du péristaltisme. En revanche quand le contenu luminal est composé de substances non nutritives les contractions de propagations prennent le dessus sur les contractions segmentaires.

Les CIC jouent également un rôle déterminant dans le contrôle neuronal de la contraction musculaire. Comme nous l’avons mentionné, celles-ci sont responsables de l’activité pacemaker de l’intestin [215]. En effet, elles initient des dépolarisations partielles du potentiel de membrane (qui correspondent aux ondes lentes de propagation), dont la rythmicité est à l’origine du Rythme Electrique de Base (REB). Les ondes lentes entraînent rarement des contractions, mais lorsque la dépolarisation atteint le seuil d’excitation, via la libération concomitante d’un neurotransmetteur excitateur par les motoneurones entériques, un potentiel d’action se déclenche autorisant ainsi les contractions intestinales. Dès lors, en imposant le REB, les CIC coordonnent l’activité motrice intestinale. La fréquence de ce REB est décroissante le long du tube digestif, ainsi elle est de 12 pics de dépolarisation par min dans le duodénum et tombe à 8 pics par min dans la partie distale de l’iléon [216].

Enfin, même si l’apparition des contractions intestinales ne dépend pas de l’activité du SNC, celui-ci va permettre leur coordination. Par exemple, dans des segments d’intestins grêles ayant été dénervés extrinsèquement chez le chien, on observe une absence d’interruption du CMM en réponse à un repas [221]. De plus, le blocage des conductions vagales empêche la conversion de la motilité inter-digestive en motilité postprandiale dans n’importe quelle région du tractus digestif ayant subi une dénervation extrinsèque [222, 223]. Toutes ces observations soulignent le rôle de coordination du SNA dans la transition jeûne-digestion.