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Partie 3 : Axe « intestin-cerveau » : manger, détecter/informer et métaboliser

II- Communication intestin cerveau dans le contrôle de la prise alimentaire

1) Distension gastrique

Au fur et à mesure de l’ingestion, l’estomac doit recevoir une grande quantité d’aliments. Ceci est permis grâce à l’activation de mécanorécepteurs présents dans la paroi intestinale, qui vont permettre un relâchement progressif des muscles lisses, et donc une dilatation de l’estomac [224]. Ces mécanorécepteurs et ce phénomène de dilatation de l’estomac vont eux-mêmes jouer un rôle important dans la mise en place du signal de satiété durant la prise alimentaire. En effet, plusieurs études chez l’Homme se sont intéressées aux conséquences de la distension gastrique provoquée par l’insertion de ballons gonflables dans l’estomac de volontaires sains. Ces études ont reporté que cette distension gastrique entraînait, chez ces patients, une sensation de satiété pouvant aller jusqu’à une sensation désagréable de « trop plein » directement corrélée au volume de gonflage du ballon [225, 226]. De plus, cette même expérience chez des individus présentant une obésité sévère a également permis de réduire leur sensation de faim, bien que cet effet ne soit que transitoire [227].

Cette modification de l’appétit en fonction de la distension gastrique suggère donc un effet du tractus GI sur le SNC, ce dernier étant le siège de la régulation du comportement alimentaire. A ce titre, plusieurs études ont montré qu’une fois activés, les mécanorécepteurs de l’estomac relayaient l’information à différentes régions centrales, dont le tronc cérébral [228], via le nerf vague et les nerfs splanchniques [229]. De plus, une vagotomie chez le rat bloque la satiété induite par la distension gastrique, renforçant l’hypothèse que le nerf vague joue un rôle majeur dans cette communication intestin-cerveau pour la régulation de la satiété [230].

2) Hormones gastro-intestinales

Les sensations à court terme de faim et de satiété sont également régulées par la libération d’hormones GI. Parmi ces différents peptides GI, la ghréline, la CCK, et le GLP-1 sont les plus impliqués dans cet effet, ainsi que les mieux décrits.

a) Ghréline

La ghréline est un peptide de 28 acides aminés, produit et sécrété principalement par l’estomac et l’intestin [231]. Cette production est dépendante de l’état énergétique de l’organisme. En effet, les taux circulants de ghréline sont augmentés lorsque l’organisme manque d’énergie (lors de périodes de jeûnes ou en cas d’hypoglycémie par exemple). A l’inverse, ces taux vont diminuer

dans des conditions d’excès d’énergie (après une prise alimentaire, en cas d’hyperglycémie, ou encore en condition d’obésité) [232]. La ghréline a été identifié comme étant le ligand endogène du Récepteur Sécrétagogue de l’Hormone de Croissance (GHSR) [233]. Ce récepteur appartenant à la famille des RCPG est fortement exprimé en périphérie, et a notamment été retrouvé au niveau du pancréas, du tissu adipeux, de l’intestin et sur les afférences vagales GI [234, 235]. Il est également présent au niveau central, dans plusieurs noyaux de l’hypothalamus et plus particulièrement sur les neurones orexigènes à NeuroPeptide Y (NPY) du noyau arqué [236, 237].

Etant donnée la modulation des taux de ghréline en fonction de l’état énergétique de l’organisme, plusieurs études se sont intéressées à son rôle dans l’homéostasie énergétique. Ainsi, il a été mis en évidence que l’administration centrale ou périphérique de cette hormone GI, entrainait une augmentation de la prise alimentaire, que ce soit chez le rongeur ou chez l’Homme [238, 239]. De plus, l’administration d’antagonistes pour GHSR a pour effet de réduire la prise alimentaire chez les souris [240]. Par ailleurs, les souris déficientes pour le gène de la ghréline ou son récepteur sont résistantes à l’obésité induite par un régime riche en graisse et en sucre [240]. Aussi, des souris diabétiques invalidées pour la ghréline ont une hyperphagie diminuée [241], et la perte de la ghréline améliore le statut diabétique des souris ob/ob (souris rendues diabétiques suite à la délétion du récepteur à la leptine) [242]. L’ensemble de ces résultats démontrent que la ghréline est capable d’agir au niveau central afin d’induire un effet orexigène. A ce titre, la ghréline est à l’heure actuelle, le seul facteur GI décrit capable d’augmenter l’appétit. Cet effet vaut souvent l’appellation de cette hormone GI comme « hormone de la faim » [243].

A ce titre, il a été montré une augmentation de l’expression de c-Fos au sein du noyau arqué en réponse à une injection périphérique de ghréline [244]. Ces données ont été complétée par une étude rapportant une augmentation de l’activité des neurones orexigènes NPY et AgRP de ce même noyau, suite à l’injection icv de ghréline [245]. Bien que la ghréline circulante puisse traverser la BHE, il a été révélé que ce passage était très faible, suggérant ainsi que les effets centraux de cette hormone GI s’établissaient plutôt via une voie nerveuse afférente [246]. Confirmant cette hypothèse, il a été observé une diminution de l’activité du nerf vague en réponse à la ghréline, ainsi qu’une perte de son effet orexigène chez des rats vagotomisés [235]. Ainsi, la ghréline produite au niveau intestinal est capable de modifier l’activité du nerf vague, permettant une modulation de l’activité de neurones hypothalamiques impliqués dans la régulation du comportement alimentaire.

b) Cholécystokinine (CCK)

La CCK est une protéine produite au niveau intestinal, et plus particulièrement au niveau duodénal et jéjunal par les cellules I [247]. De plus, la CCK est également fortement exprimée au sein du SNC, notamment dans certains noyaux hypothalamiques [248]. Tout comme la ghréline, les taux plasmatiques de CCK vont dépendre de l’état énergétique de l’organisme. En revanche, à l’inverse de la ghréline, les taux de CCK sont augmentés suite à une prise alimentaire, et diminuent lors d’un jeûne [249]. Il existe 2 récepteurs à la CCK, CCK-1 et CCK-2, tout 2 appartenant à la famille des RCPG [250]. Ces 2 récepteurs sont largement distribués dans l’ensemble de l’organisme. Toutefois, CCK-2 est majoritairement retrouvé dans l’ensemble du SNC [251], alors qu’à l’inverse, CCK-1 est plutôt exprimé en périphérie. Ce dernier est notamment présent au niveau du pancréas [252], de l’estomac [253], des muscles lisses intestinaux [254], ainsi que sur les afférences vagales [255].

Les antagonistes de CCK-1 augmentent la prise alimentaire chez le rat et chez l’Homme [256]. De plus, des rats déficients pour ce récepteur sont hyperphagiques et développent une obésité [256]. Enfin, l’injection systémique de CCK permet de réduire la prise alimentaire chez le rat [257]. L’ensemble de ces résultats a permis de définir le rôle physiologique de la CCK dans le contrôle de la prise alimentaire en tant que facteur satiétogène.

Concernant les mécanismes impliqués, l’équipe de Smith et al. a montré qu’une vagotomie chez le rat permettait de supprimer l’effet anorexigène de la CCK [258]. Par la suite, il a été décrit une diminution de l’activité des neurones du tronc cérébral en réponse à la CCK, chez des animaux dont le nerf vague a été inhibé suite à un traitement à la capsaïcine [259]. Tout ceci suggère donc que la CCK, produite par l’intestin en réponse à une prise alimentaire, entraînerait une activation du nerf vague suite à sa fixation sur son récepteur CCK-1 présent au niveau des afférences vagales gastro- intestinales. L’information serait ainsi relayée au cerveau induisant la sensation de satiété. Néanmoins, les mécanismes s’établissant au niveau du SNC sont encore peu connus. Les seules informations disponibles sont une augmentation de l’expression de c-Fos au niveau du NTS, du PVN et du noyau supraoptique en réponse à une injection périphérique de CCK. De même, cette expression est perdue suite à une vagotomie ou à l’utilisation d’un antagoniste de CCK-1 [260, 261].

c) Glucagon Like Peptide- 1 (GLP-1)

Comme nous l’avons mentionné dans la première partie de ce manuscrit, le GLP-1 est un peptide produit par les cellules L intestinales en réponse aux nutriments. Une fois sécrété, le GLP-1

va d’abord se retrouver dans la circulation sanguine afin d’exercer son effet incrétine via une stimulation directe de la production d’insuline par le pancréas associée à une augmentation de la sensibilité à l’insuline [262]. De plus, comme nous le détaillerons dans la partie suivante, le GLP-1 va également pouvoir activer les neurones entériques et les terminaisons nerveuses afférentes innervant le tractus GI. De cette manière, cette hormone va activer l’axe intestin-cerveau afin d’exercer plusieurs rôles.

Parmi ceux-ci, il a été montré que l’administration de GLP-1, qu’elle soit centrale ou périphérique, réduisait drastiquement la prise alimentaire chez les rongeurs [262-264]. De plus, chez le rat, une administration icv aïgue d’exendine 9-39 (un antagoniste du récepteur au GLP-1) augmente la prise alimentaire et son administration chronique augmente la prise de poids [265]. Ainsi, il semble que la signalisation périphérique par le GLP-1 intervienne dans les mécanismes physiologiques qui réduisent l’appétit et la prise alimentaire suite à un repas. De plus, il a été montré que la réduction de la prise alimentaire après une administration périphérique de GLP-1 pouvait être abolie par une vagotomie [266]. Cette dernière observation suggère donc que l’effet du GLP-1 sur la prise alimentaire serait un effet paracrine, via l’activation des afférences vagales locales, plutôt qu’un effet endocrine.

d) Peptide YY (PYY)

Tout comme le GLP-1, le PYY est principalement produit par les cellules L intestinales dans l’iléon et le côlon. Sa sécrétion est augmentée suite à un repas et est réduite par le jeûne [267]. Il existe 2 formes de PYY, la forme entière PYY1-36 et la forme tronquée PYY3-36, cette dernière étant la

forme circulante majoritaire [268]. Ces 2 formes se lient aux récepteurs Y appartenant à la famille des RCPG. Il existe 4 sous-types de récepteurs (Y1R à Y4R) tous couplés à une protéine Gi, cependant

la forme tronquée PYY3-36 se lie préférentiellement au récepteur Y2R [268]. Celui-ci est retrouvé dans

l’hypothalamus, plus précisément au niveau des neurones orexigènes NPY de l’ARC [269].

Parmi les effets de ce peptide GI, il a été montré qu’une administration périphérique de PYY3- 36 réduisait significativement la prise alimentaire chez le rongeur et chez l’Homme [270]. Concernant

les mécanismes moléculaires, plusieurs hypothèses subsistent et ne sont toujours pas à l’heure actuelle totalement élucidées. Tout d’abord, il a été montré que les effets de PYY3-36 sur la prise

alimentaire étaient totalement abolis chez des souris déficientes pour Y2R [270]. Ainsi l’effet inhibiteur de la prise alimentaire de PYY3-36 serait médié par sa liaison sur le récepteur inhibiteur Y2R

exprimé par les neurones orexigènes NPY de l’ARC. Confirmant cette hypothèse, dans la même étude il a été montré qu’une administration périphérique de PYY3-36 augmentait l’expression du marqueur

c-Fos à ce niveau. En revanche, une autre étude a montré que tous ces effets de PYY3-36, que ce soit

sur la prise alimentaire ou sur l’activité neuronale hypothalamique, étaient abolis suite à une vagotomie chez le rongeur [266].