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2. SAVOIRS ET PRATIQUES INFIRMIERS DANS LE CADRE DU RÉSEAU

2.1 L E CADRE INSTITUTIONNEL

2.1.1 Motivations des infirmières à travailler au SSIRA

La première question posée aux professionnels concerne leurs motivations à travailler au SSIRA. Elles sont de deux ordres :

1. Les motivations interculturelles : les infirmiers expriment le souhait d’être en situation avec l’altérité et ainsi de réaliser un idéal de solidarité.

2. Les motivations professionnelles : ce qui intéresse ici les infirmiers, c’est le contenu de l’intervention professionnelle, à savoir une prise en charge globale des situations, une marge de manœuvre dans leur activité professionnelle ainsi que la possibilité d’acquérir de nouveaux savoirs, mais aussi de nouvelles compétences.

L’analyse permet de dégager que les infirmiers ne travaillent pas au SSIRA par hasard sans motivations précises. Ils y sont pour faire converger leurs intérêts personnels et professionnels en se confrontant aux problèmes parfois inextricables des requérants.

Motivations personnelles

Les raisons de cet intérêt marqué pour l’interculturalité sont très diversifiées, même si tous recherchent au SSIRA une plate-forme d’échanges entre soi et l’autre dans son altérité. Pour certains qui n’ont jamais vécu à l’étranger, il s’agit de diversifier leur quotidien et leurs référentiels culturels, en évitant de s’enfermer dans un monde trop étroit. Voilà comment une infirmière nous l’a évoqué :

Etre en contact avec des personnes de cultures différentes, de contextes différents, d’âges différents… ces différences, ça vous enrichit… ça vous donne l’occasion de rencontrer des gens qui ont des points de vue différents du vôtre et des valeurs différentes, mais aussi intéressantes que les vôtres.

Pour d’autres qui ont vécu à l’étranger soit durant leur enfance, soit pour exercer une activité professionnelle, il s’agit d’assurer une continuité entre leur passé et leur présent. Ayant pris goût à l’altérité, ils ne peuvent se résoudre à renoncer à partager le quotidien avec ces populations.

Pour d’autres encore qui ont choisi de rester en Suisse pour des raisons familiales (conjoint qui ne veut pas quitter la Suisse ou naissance d’un enfant), il s’agit de trouver un compromis entre leur désir de partir non réalisé et leur vie en Suisse. Le SSIRA représente « un tremplin avant de partir dans le Tiers-Monde », une sorte de préparation qui leur permet de ne pas se priver d’une expérience qui leur tient à cœur. Un infirmier l’exprime comme suit :

Le SSIRA, c’est un passage entre la Suisse et le futur départ pour le Tiers-Monde. Le travail au SSIRA, c’est en quelque sorte une bonne préparation pour la suite où il sera confronté à des

situations où il devra soigner des gens sans avoir forcément de médecin tout près pour résoudre des problèmes.

Pour certains infirmiers, l’interface avec les requérants a aussi une dimension plus collective et socio-politique. C’est l’opportunité, au travers des récits de vie des requérants, de se sentir en prise avec le monde dans sa diversité et sa globalité tel cet avis :

Le contact avec les requérants, c’est une ouverture sur le monde, elle (l’infirmière) remet ainsi à jour ses connaissances géopolitiques. Grâce aux requérants, elle se sent plus intégrée dans le monde et dans ce qui se passe ailleurs, elle a davantage le sentiment d’être une citoyenne du monde et de participer à ce qui se passe dans le monde.

En résumé, travailler avec des gens de cultures différentes est l’occasion de réaliser un idéal de solidarité, mais aussi une opportunité d’un enrichissement personnel. L’altérité représente une complexité qui exerce une attractivité supplémentaire.

Motivations professionnelles

Les motivations professionnelles des infirmiers à travailler au SSIRA et à y poursuivre leur activité sont en lien avec le contenu de l’intervention professionnelle et s’inscrivent souvent en opposition avec leur expérience du milieu hospitalier. A la différence des motivations personnelles, elles sont très hétérogènes et se déclinent en trois catégories :

▪ Une marge de manœuvre plus grande qu’en milieu hospitalier ou, de manière plus générale, que dans les milieux de soins,

▪ Une opportunité d’acquérir de nouveaux savoirs et compétences,

▪ Une prise en charge des situations dans une perspective bio-psycho-sociale.

Pour certains infirmiers, disposer d’une marge de manœuvre plus grande, c’est en quelque sorte échapper au monde hospitalier et à son fonctionnement hiérarchisé. Travailler au SSIRA permet un élargissement du pouvoir de décision, ce qui est dû, disent les infirmiers à la population marginalisée qu’ils desservent. Une infirmière s’exprime ainsi :

Les prestations aux marginaux offrent un pouvoir de décision plus large, plus étendu…

Une marge de manœuvre même dans un cadre très circonscrit « évite l’épuisement », dit un infirmier et permet de prendre de la distance par rapport aux médecins. Le niveau de décision attendu ou voulu par les infirmiers varie beaucoup d’une personne à l’autre.

La marge de manœuvre permet aux professionnels du SSIRA d’être créatifs, de mettre l’accent sur des objectifs qui leur sont propres, telle cette infirmière qui dit pouvoir :

Réaliser des objectifs professionnels qui lui sont chers comme de promouvoir l’indépendance et l’autonomie des gens, ce qui ne pouvait se faire dans le milieu hospitalier qu’elle a connu durant sa formation et qu’elle a peu apprécié.

Pour les professionnels qui ont eu d’importantes responsabilités dans le Tiers-Monde, le SSIRA représente un moindre mal : leur marge de manœuvre n’est pas aussi grande que celle qu’ils ont eue à l’étranger, mais plus grande que celle qu’ils auraient dans un autre milieu de

soins en Suisse. Au SSIRA, ils se sentent moins rivés à un rôle d’exécutant. Une des infirmières l’exprime ainsi :

Par rapport au CICR, on manque de liberté d’action, on n’a plus la liberté d’élaborer et de mener des projets, mais la liberté est tout de même plus grande qu’à l’hôpital où le principal de l’activité est défini à l’avance.

Pour une partie du personnel, l’intérêt principal du SSIRA est formatif. Ce qui motive, c’est d’apprendre de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences dans des domaines variés. Cet apprentissage s’inscrit parfois dans un projet commencé ailleurs et avant l’engagement au SSIRA, comme cet infirmier qui dit :

Je continue un projet de formation que j’avais commencé à l’école d’infirmières et qui consiste à travailler avec des populations exclues.

Pour bien des infirmiers, le SSIRA leur offre la possibilité de prendre en charge les patients dans un cadre bio-psycho-social et culturel, qui, à leurs yeux, représente un plus par rapport à l’hôpital dont ils disent que l’approche est surtout biomédicale. Ces infirmiers apprécient le temps relationnel que l’institution leur reconnaît tout en craignant que ce ne soit plus le cas à l’avenir.

Quelques professionnels apprécient le SSIRA parce qu’il est possible de privilégier les stratégies de négociation entre soignants et soignés et qu’ils ne sont pas comme à l’hôpital obligés d’imposer les choix des professionnels aux patients. Voilà ce qu’en dit quelqu’un :

Il n’est pas nécessaire comme à l’hôpital d’imposer des mesures thérapeutiques.

L’appartenance culturelle du requérant et ses spécificités sont plus faciles à prendre en compte qu’à l’hôpital où prendre en compte la dimension culturelle ne représente qu’une charge de travail supplémentaire…

ou encore :

On est davantage là pour accompagner le patient dans sa démarche de soins, pour l’amener à se soigner tout en le respectant.

En résumé, le SSIRA représente, pour ses membres, une interface avec l’altérité et une opportunité de concrétiser un idéal de solidarité, motivation qui est souvent première. Ces motivations interculturelles s’accompagnent souvent de motivations professionnelles dont l’apparition peut aussi être indépendante des motivations interculturelles. Ce que les infirmiers cherchent alors, c’est un espace de liberté qui leur permette de donner à leur activité professionnelle des contenus qui leur conviennent et une place différente au RA que celle donnée au patient dans une structure hospitalière. Au SSIRA, le requérant est davantage considéré comme sujet que comme objet de soins et la demande psychosociale a plus de place pour s’exprimer et être traitée. Quant aux infirmiers, leur rôle autonome prend le pas sur le rôle délégué, ce qui est souvent l’origine de l’attractivité des postes du SSIRA.

2.1.2 Perception des infirmiers de leurs différentes appartenances institutionnelles