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1. LE RÉSEAU DE SANTÉ FARMED ENTRE L’OFFRE ET LA DEMANDE

1.5 A PPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET DISPOSITIF DE L ’ ENQUÊTE

1.5.1 L’enquête auprès des infirmiers du SSIRA

Nous présentons en premier notre démarche méthodologique concernant l’enquête réalisée auprès des infirmiers du SSIRA. Dans un deuxième temps, la démarche auprès des RA sera décrite.

Tout le personnel du SSIRA, engagé dans ce service au 1er mai 2003, a été contacté pour un entretien en profondeur d’environ une heure trente. Dix-huit professionnels ont accepté l’entretien. Deux n’ont pas participé à l’enquête, l’un a refusé de nous répondre en raison d’une baisse d’intensité de son investissement et l’autre était en congé maternité à ce moment-là. Par ailleurs, le nombre de centres SSIRA étant restreint (trois), nous n’avons pas voulu mettre en exergue, dans l’analyse, ce qui était propre à l’un ou à l’autre pour éviter toute identification de personnes et toute stigmatisation, la confidentialité étant indispensable dans ce type d’étude.

Parmi les infirmiers interrogés, cinq sont des hommes et treize des femmes. Leur âge moyen et médian est de 39 ans, le plus jeune a 28 ans et la plus âgée 51 ans. Cinq infirmiers travaillent au SSIRA depuis moins d’un an, huit depuis 1-4 ans et cinq depuis 5 ans et plus10. Neuf d’entre eux n’ont aucune expérience du Tiers-Monde, quatre ont fait un stage de moins de six mois dans un pays du Tiers-Monde et cinq y ont vécu et travaillé pendant plusieurs années11.

Seize infirmiers ont une formation de base en soins généraux et deux en psychiatrie. Six n’ont suivi aucune formation post-diplôme, quatre ont une formation dans un domaine éloigné de la pratique du SSIRA (soins intensifs, sage-femme), quatre ont une formation en santé publique ou santé communautaire et les quatre derniers ont une formation en sciences humaines (sociologie), en médecine tropicale ou une formation spécifique à des populations migrantes ou du Quart-Monde.

Entre octobre 2002 et février 2003 l’équipe de recherche a rencontré, à plusieurs reprises, l’ensemble des infirmiers du SSIRA dans le but de présenter les objectifs de l’étude.

Egalement en septembre 2003, après la récolte des entretiens, deux des chercheurs ont à nouveau sollicité l’ensemble des infirmiers pour une toute première restitution d’une pré-analyse de l’enquête afin d’en vérifier la pertinence. L’équipe des chercheurs a eu le souci de restituer régulièrement les pré-analyses, ce qui a permis d’adapter si nécessaire et au fur et à mesure certaines hypothèses de la recherche. Enfin, pour compléter nos données et nous assurer toujours de la pertinence de certains de nos résultats, nous avons organisé un groupe de discussion focalisée d’environ une heure à une heure trente par centre en novembre 2003.

Deux à trois animateurs ont été présents à ces groupes et l’ensemble des discussions a été enregistré et retranscrit par écrit. Ces groupes ont eu lieu alors que les principales lignes directrices de la restructuration avaient été arrêtées et que les premiers changements dans les pratiques avaient été introduits.

Les entretiens ont été réalisés entre mai et juin 2003. Le moment de l’enquête correspond à une période de transition pour le SSIRA qui a changé d’appartenance institutionnelle et a passé de la tutelle de la FAREAS et de l’action sociale à la tutelle de la PMU et de l’action sanitaire au 1er janvier 2002. Les locaux et le personnel étaient restés les mêmes, l’organisation et les prestations n’avaient encore subi pratiquement aucun changement hormis la nomination d’un responsable infirmier pour chacun des trois centres. Autre fait marquant de cette période d’entretiens, l’infirmier chef du service a été licencié.

Durant cette même période, les infirmiers se sont organisés en groupes de travail pour penser la restructuration de leurs interventions sous la direction de la PMU. Les effets de cette restructuration sur les pratiques ne s’étaient donc pas encore fait sentir au moment où nous avons interrogé les infirmiers. Si nous avions réalisé notre enquête après l’introduction des changements, les réponses que nous aurions obtenues auraient probablement été différentes.

Malgré la restructuration, les infirmiers ont fait preuve d’engagement et de disponibilité à notre égard. Ils ont planifié eux-mêmes les rendez-vous à partir des plages horaires que nous leur avions désignées. Ils nous ont, pour la plupart, reçu à l’heure dite et se sont dits intéressés

10Dont trois depuis 5-9 ans et deux depuis 10 ans et plus.

11Dont trois sont partis pour le CICR.

par les différentes questions posées, celles-ci, ont-ils encore dit, leur permettant de réfléchir à leur activité sous un angle inhabituel, ce qui leur permettait d’adopter une position distanciée et une vue d’ensemble. Une seule personne s’est montrée réticente durant l’entretien, les autres ont été très disponibles et ont même accepté certains dépassements d’horaire, ce dont nous les remercions.

Pour la démarche méthodologique concernant les RA, l’approche anthropologique qui a présidé à l’orientation de cette recherche de terrain, imposait que soient placés au premier plan de l’analyse la perception et le discours de l’acteur social considéré. Autrement dit, son cheminement dans le réseau de santé, et d’accéder par le biais d’entretiens canalisés à la signification qu’il accorde à sa santé et à ce qui la concerne. Cette approche inductive qui donne la parole aux patients RA a requis un dispositif de recherche qui a nécessité la prise en compte d’un certain nombre d’éléments afin d’éviter de tomber dans des raccourcis interprétatifs.

En effet, si en regard des méthodes d’analyse statistiques, l’approche anthropologique considère le témoignage de l’acteur social individuel comme pertinent pour rendre compte d’une certaine réalité sociale, elle requière néanmoins le recoupement des différentes réalités singulières afin de constituer un corpus de données qualitatives et d’accéder à l’épaisseur théorique plus large d’un contexte donné. Contestant d’emblée la réalité de l’existence d’un collectif cohérent des RA, nous n’avions pas pour ambition de dégager une quelconque représentativité statistique des quelque 8’500 individus de 83 provenances différentes résidant dans le canton de Vaud au moment du lancement de cette enquête (Chiffres FAREAS, janvier 2003). Cela étant dit, il s’agissait quand même de tenir compte d’un certain nombre d’impératifs pratiques liés aux contraintes de temps et de moyens financiers forcément mesurés pour mener cette étude, qui imposaient de limiter le nombre d’entretiens envisagés.

Par conséquent, les critères retenus pour la constitution de l’échantillon des personnes que nous cherchions à rencontrer se sont basés sur le cumul des zones de provenance des RA et sur l’identification chez ceux-ci de facteurs qui complexifient la prise en charge infirmière, notamment des facteurs psychosociaux et des maladies de longues durées.

Une estimation pondérée entre le temps planifié pour mener les enquêtes et le nombre d’enquêteurs à disposition d’une part, l’envergure de la population considérée d’autre part, nous a amenés à nous déterminer pour un échantillon constitué d’une cinquantaine de RA (au final, 46 entretiens ont été réalisés). Estimant qu’il existe des habitudes culturelles liées aux pratiques de santé selon les lieux d’origine, nous avons tenu à rassembler dans cet échantillon des personnes provenant des principales zones d’émigration présentes dans le canton de Vaud, à savoir :

▪ Une douzaine de personnes en provenance des pays d’Afrique de l’Est (Erythrée, Ethiopie, Somalie).

▪ Une douzaine de personnes en provenance des pays d’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Congo, Cameroun, Angola).

▪ Une douzaine de personnes en provenance des pays du Proche Orient, Moyen Orient et Maghreb ( Turquie, Irak, Syrie, Yémen, Palestine, Afrique du Nord).

▪ Une douzaine de personnes en provenance des Balkans (pays d’ex-Yougoslavie et Kosovo)

▪ Deux personnes en provenance des pays du Caucase (Russie, Arménie).

Ayant le souci d’interroger des personnes dont le parcours thérapeutique est d’actualité, nous avons demandé aux infirmiers du SSIRA de nous référer les patients se présentant actuellement à leurs consultations, moyennant concordance avec les critères de provenances et de pathologie retenus et du consentement des personnes à répondre à nos questions. Dans la mesure de la possibilité d’effectuer un choix parmi les noms qui nous ont été présentés, nous avons également cherché à respecter une répartition de la population par genre et âge proportionnellement à leur présence respective dans la population globale faisant l’objet de cette analyse.

Outre l’actualité des situations qui nous étaient ainsi soumises, l’avantage de sélectionner nos informateurs par le biais du SSIRA était aussi l’assurance d’avoir pour interlocuteurs des personnes contactées sur la base de leur problème de santé et de se démarquer ainsi d’une possible confusion entre nos entretiens et les diverses enquêtes effectuées par l’Office fédéral des réfugiés auxquelles les RA sont soumis au cours de la procédure de demande d’asile. En procédant de la sorte, nous constituions aussi les infirmiers du SSIRA comme réels partenaires du terrain – condition méthodologique requise par le Fonds DORE qui a financé cette recherche – puisque nous nous engagions à nous intéresser à des usagers de leur réseau de santé et à des problématiques de santé avec lesquelles ils sont aux prises dans leur quotidien et qu’eux-mêmes jugeaient utiles d’investiguer. C’est pourquoi la phase des entretiens a été précédée par une phase exploratoire au cours de laquelle la pertinence des thèmes à investiguer a été contrôlée auprès du personnel infirmier du SSIRA.

Cette méthode d’investigation nous a été dans un premier temps reprochée par la Commission d’éthique de la recherche du CHUV, dont l’aval12 était requis car que cette recherche entendait interroger des patients d’un service des Hospices vaudois. La Commission s’est étonnée que l’on demande à nos informateurs du premier groupe – les infirmiers du SSIRA – de nous choisir les sujets du deuxième groupe – les RA, un « biais de sélection » faisant fi de la constitution aléatoire d’un échantillonnage. Or, si l’aspect aléatoire de la constitution de l’échantillon est pertinent dans une recherche épidémiologique, elle ne nous est pas apparue appropriée pour une recherche inductive qui vise à donner la parole aux acteurs en les amenant à s’exprimer sur des thématiques prédéterminées et qui les concernent à un titre ou un autre. L’objectivité scientifique dans ce cas-ci découle de la capacité des chercheurs à dégager et à analyser le point de vue des acteurs interrogés, en repérant les préoccupations convergentes et récurrentes et en les interprétant afin d’être à même de suggérer, le cas échéant, des aménagements en vue d’une meilleure adaptation du système de santé destiné à une population migrante, ou de reconnaître la validité du modèle existant. S’il y a eu inconvénient dans cette démarche, cela a été de dépendre de la disponibilité des infirmiers pour identifier les RA susceptibles d’intéresser notre recherche et pour obtenir de ces derniers leur consentement à répondre à nos questions.

Non seulement il était pertinent de procéder de façon ciblée et non aléatoire, mais pour aborder le plus finement possible la situation de vie des RA dans toute sa complexité, il aurait fallu aussi tenir compte dans la constitution de l’échantillonnage de plusieurs autres paramètres influant la santé des personnes, outre ceux de l’origine (liée à des situations conflictuelles, de répression politique ou de pauvreté plus ou moins accentuées vécues dans le pays) et des pathologies de longue durée. Le facteur logement – en abri PC, en centre d’hébergement, en appartement FAREAS ou appartement loué par le requérant lui-même – a

12L’avis positif de la Commission d’éthique de la recherche du CHUV a été donné le 9 mai 2003.

des incidences notoires sur le sentiment de bien-être de la personne, comme nous avons pu le constater tout au long des entretiens tenus dans ce cadre. La situation familiale – famille disloquée ou réunie, célibataire sans soutien familial, personne âgée sans ses proches – joue également un grand rôle sur l’état d’angoisse ou le sentiment de confiance du requérant. Par ailleurs, la durée du séjour en Suisse, l’arrivée récente, suppose plus de fraîcheur des traumatismes à l’origine du départ, moins d’accoutumance aux pratiques locales, mais peut-être plus d’espoir de voir la requête d’asile aboutir, alors qu’un séjour prolongé suppose plus de familiarité avec les institutions en charge de l’asile, mais plus de déstabilisation face au prolongement de la précarité de la situation. Sans avoir pu choisir nos entretiens en fonction de ces facteurs, parmi les cas qui nous ont été soumis toutes ces situations ont néanmoins été rencontrées. Les 46 entretiens que nous avons eus nous ont permis de juger l’importance de ces conditions de vie grâce aux récits que nous ont fait les RA interviewés, même si tous ces cas de figure n’étaient pas vécus par les uns et les autres au moment des entretiens.

Fidèles à notre projet initialement déclaré, nous avons donné la parole dans cette recherche aux acteurs sociaux et nous nous faisons les rapporteurs de leurs témoignages au sujet de leur santé. Nous n’avons pas nous-mêmes observé leurs pratiques en matière de santé, n’ayant pas pour visée de confirmer ou compléter les propos recueillis par des informations relevant de notre propre observation. Nous nous référons là à une méthode d’analyse connue en sciences humaines sous le nom d’ethnométhodologie, laquelle pose la subjectivité des acteurs sociaux sur un pied d’égalité avec l’objectivité pour accéder à la réalité sociale que l’on désire éclairer. L’acteur social est ici considéré comme un être agissant sur sa réalité, « capable dans le cours de ses activités quotidiennes, de raisonnement, de compréhension et d’interprétation de ses actions » (Coulon, 2002:50), notre rôle étant de rassembler ce qui est rapportable et descriptible et de dégager de ces différents témoignages le sens qui autorise l’interprétation.

Par conséquent, nous allons dans ce chapitre illustrer nos analyses par des propos tenus par nos interlocuteurs au cours des entretiens et soutenus par les retranscriptions que nous en ont fait nos enquêteurs. La matière récoltée dans les 46 entretiens tenus pour cette enquête nous permet de vérifier et de documenter les hypothèses que nous avons soutenues, lesquelles reposent sur le schéma explicatif de la santé des migrants dans une perspective globale et dynamique, tenant compte des processus pré et post-migratoires. Nous sommes cependant conscients que ces témoignages sont à prendre avec précaution. Les relations de soin analysées ici ne sont pas une description complète de tout ce que les patients RA entreprennent pour se soigner et se maintenir en santé. Ce que font les personnes en dehors du réseau de santé déborde du cadre de cette enquête. C’est là une question essentielle si l’on ambitionne d’étudier en détail les articulations entre santé et migration. Cette lacune reflète donc une limite de cette recherche13.