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Motifs proches et cycles évanescents

Dans ce paragraphe nous nous proposons d’étudier le lien entre le formalisme des motifs proches de [5, Chap. 3], et le formalisme des cycles évanescents de [18, Expo. I] et [12, Expo. XIII]

à l’aide de la réalisation étale construite dans les Sections 5 et 9. Nous commençons d’abord par des rappels et des compléments sur le formalisme des motifs proches.

SoitS un schéma de base. (Plus tard,S sera le spectre d’un anneau de valuation discrète.) On notei:S ,→A1S la section nulle et j:GmS ,→A1S l’immersion ouverte complémentaire.

Rappellons d’abord la construction du foncteur « partie unipotente du motif proche ». Elle repose sur unS-schéma cosimplicialAS. Il est donné parAS(n) =(Gm)nS+1pourn∈∆, les faces sont induites par le morphisme diagonal∆: GmS // (Gm)2S et la section unité 1 : S ,→GmS, et des dégénérescences sont les projections partielles. Pour la description exacte du diagramme de S-schémas (AS,∆), nous renvoyons le lecteur à [5, Déf. 3.4.4]. Nous disposons d’un morphisme canonique de∆-diagrammes de schémas

θA : (AS,∆) // (GmS,∆). (89)

Il est donné enn ∈ ∆par la projection sur le premier facteur de (Gm)nS+1. Étant donné un mor-phisme deS-schémas quasi-projectifs f :X // A1S, on forme le diagramme commutatif à carrés cartésiens :

(Af,∆) θ

Af //

fη

(Xη,∆)

fη

j //(X,∆) f

(Xσ,∆)

fσ

oo i p// Xσ

fσ

(AS,∆) θA //(GmS,∆) j //(A1S,∆) (S,∆)ioo p //S.

On définit alors le foncteurΥf :DAét(Xη,Λ) // DAét(Xσ,Λ) par

Υf =(p)]ijAf )Af )p. (90) On obtient ainsi un système de spécialisation pseudo-monoïdalΥau-dessus de (A1S,j,i) au sens de [5, Déf. 3.1.1 et Déf. 3.1.12]. Les foncteursΥf sont appelés les foncteurs « partie unipotente du motif proche ». Par construction, on a un morphisme de systèmes de spécialisation pseudo-monoïdaux χ // Υ où χ est le système de spécialisation canonique donné par χf = ij. Le S-schéma cosimplicialAS est spécialement désigné pour que le résultat suivant soit vrai.

Proposition10.1 — Appelons p:A1S // S et q= p◦j:GmS // S les projections canoniques.

Alors, la composition de

id'ip η // ijjpid◦q // Υid◦q est un2-isomorphisme.

Demonstration Il s’agit d’un cas particulier de [5, Prop. 3.4.9].

Le résultat suivant est désormais possible grâce à la pureté absolue pour les motifs étales.

Theoreme 10.2 — Soient S un schéma de base et Λun anneau de coefficients. On suppose que l’Hypothèse 7.3est satisfaite. On se donne un morphisme de S -schémas quasi-projectifs f : X // A1S avec X régulier. On suppose que(Xσ)redest régulier et que les longueurs des anneaux locaux de Xσen ses points génériques sont inversibles dansΛ. Alors, la composition de

ΛXσ // χfΛXη // ΥfΛXη (91) est un isomorphisme dansDAét(Xσ,Λ).

Demonstration Quitte à remplacerS parX, on peut supposer que le schéma de baseS est régulier.

Soitt : X // W une immersion fermée dans unA1S-schéma lisseg : W // A1S. Le morphisme de changement de basegσΥid // Υggη est inversible puisquegest lisse et queΥest un système

de spécialisation (cf. [5, Déf. 3.1.1]). D’après la Proposition 10.1, le théorème est donc vrai pour W. Autrement dit, la composition de

ΛWσ // χgΛWη // ΥgΛWη

est un isomorphisme. Pour conclure, il suffira alors de montrer que le morphisme naturel tσΥgΛWη // ΥftηΛWη

est inversible. En revenant à la définition du morphisme de changement de basetσΥg // Υftη, on voit qu’il suffit de montrer que le morphisme naturel

tjAg )Λ // jAf )tηΛ

est inversible. Il s’agit là d’un morphisme deDAét((X,∆),Λ) et pour montrer qu’il est inversible il suffit de le faire après application des foncteursn :DAét((X,∆),Λ) // DAét(X,Λ) pourn ∈N. Vu queθgA(n) :Wη×S(Gm)nS // Wηest la projection sur le premier facteur, on a une identification canonique

Ag (n))Λ'(Λ⊕Λ(−1)[−1])⊗n

et le morphisme naturel tηAg )Λ // (θAf )tηΛ est inversible. Les propriétés basiques des dé-rivateurs algébriques et notamment l’axiome DerAlg 3dde [4, page 441], nous ramène alors à vérifier que le morphismetjΛ(r) // jtηΛ(r) est inversible pour toutr ∈Z. Ceci découle de la Proposition 10.3 ci-dessous et du 2-triangle distingué de localité de [4, Prop. 1.4.9].

Proposition 10.3 — Soient S un schéma de base etΛun anneau de coefficients satisfaisant à l’Hypothèse 7.3. Supposons donné un carré cartésien de S -schémas quasi-projectifs

Z0 g

0 //

t0

Z t

X0 g // X

tel que X, X0, Z et(Z0)redsont réguliers, t et t0sont des immersions fermées partout de codimension 1, et les longueurs des anneaux locaux aux points génériques de Z0 sont égales à r ∈ N− {0}.

Supposons aussi que les idéaux des immersions fermées t : Z ,→ X et tred0 : (Z0)red // X0 sont libres engendrés respectivement par f ∈Γ(X,O)et f0∈Γ(X0,O). Alors, la composition de

ΛZ0(−1)[−2]'g0∗t!ΛX // t0!gΛXZ0(−1)[−2]

est la multiplication par r dansDAét(Z0,Λ). (Ci-dessus, les isomorphismes t!ΛXZ(−1)[−2]et t0!ΛX0Z0(−1)[−2]sont ceux duCorollaire 7.5.)

Demonstration Considérons le morphismeα:tΛZ // ΛX(1)[2] donné par la composition de tΛZ 'tt!ΛX(1)[2] // ΛX(1)[2]

(l’isomorphismeΛZ ' t!ΛX(1)[2] étant celui du Corollaire 7.5) ainsi que le morphisme analogue α0:t0ΛZ0 // ΛX0(1)[2]. Il suffit de prouver que la composition de

t0ΛZ0 't0g0∗ΛZ'gtΛZ

α // gΛX(1)[2]'ΛX0(1)[2] (92) est égale àr·α0.

Le Lemme 10.4 ci-dessous fournit une description explicite du morphismeα. On en déduit aus-sitôt que la composition de (92) s’identifie canoniquement à laT-suspension infinie du morphisme de préfaisceaux

X0⊗Λ (X0−Z0)⊗Λ

f◦g// A1X0⊗Λ

(A1X0−0X0)⊗Λ. (93)

Par ailleurs, on a une relation f ◦g = u · f0r avec u ∈ Γ(X0,O×). En utilisant la Proposition 2.6, en fait sa version homologique, on obtient que laT-suspension infinie de (93) est égale dans DAét(X0,Λ) à laT-suspension infinie de la somme (cf. la Remarque 10.5 ci-dessous) de (94) est la flèche nulle. Une seconde application du Lemme 10.4 ci-dessous permet alors de

conclure.

Lemme 10.4 — Soient S un schéma régulier et Λ un anneau de coefficients satisfaisant à l’Hypothèse 7.3. Soit s : T ,→ S une immersion fermée partout de codimension 1 avec T un schéma régulier. On suppose que l’idéal de l’immersion s est libre engendré par f ∈ Γ(S,O).

Alors, la composition de

sΛT(0)'ss!Λ(1)[2] // ΛS(1)[2],

avecΛT ' s!Λ(1)[2]l’isomorphisme de pureté duCorollaire 7.5, s’identifie canoniquement dans DAét(S,Λ)à la T -suspension infinie du morphisme

Demonstration D’après le Théorème 7.4 et la construction de l’isomorphisme de pureté du Co-rollaire 7.5, il suffit de traiter la cas oùS = A1T ets :T ,→A1T la section nulle. (Bien entendu, on prendra pour f l’indéterminéeπtelle queA1T =Spec(OT[π]).)

Notons p : A1T // T la projection canonique. AlorsΛ(1)[2] = p]sΛ(0) est canoniquement isomorphe à laT-suspension infinie deA1T⊗Λ/(A1T−0T)⊗Λ. (Ceci résulte du triangle de localité de [4, Lem. 1.4.6].) On cherche à déterminer le morphisme de counitésΛT // pp]sΛT modulo cette identification. En retournant à la construction des opérations p]etp, on voit qu’il s’agit de laT-suspension infinie du morphisme de préfaisceaux

A1T⊗Λ (A1T −0T)⊗Λ

// (A1T×TA1T)⊗Λ ((A1T −0TT A1T)⊗Λ

induit par le le morphisme diagonal∆:A1T // A1T ×T A1T. Le lemme est démontré.

Remarque 10.5 — Le lecteur attentif a peut-être remarqué un usage abusif de la Proposition 2.6 dans la preuve de la Proposition 10.3 ci-dessus. En effet, le cas où 2 n’est pas inversible dans Λn’est pas couvert par la Proposition 2.6 (à moins queS ne soit unF2-schéma). Heureusement, pour les catégoriesDAét(−,Λ) on peut s’en sortir grâce au Théorème B.1. En effet, on a besoin de savoir que laT-suspension infinie du morphisme

(A1S ×S A1S)⊗Λ (GmS ×S GmS)⊗Λ

m−p1−p2// A1S ⊗Λ GmS ⊗Λ

est nulle dansDAét(S,Λ). (Bien entendu,mest la multiplication etpiest la projection sur lei-ième facteur.) Il suffit de faire cela pourS le spectre d’un sous-anneau deQet on peut donc supposer queS est régulier. Grâce au Théorème B.1, il est suffisant de montrer que

Ztr(A1S ×S A1S)

est nul. Cette propriété découle aussitôt du fait que le morphismeZtr(GmS,1) // O×est inver-sible dansDMeff(S,Z). Une preuve de cela s’obtient en calquant la preuve de [30, Th. 4.1] (ce qui ne présente pas de difficulté en supposantS régulier).

Passons maintenant à la construction des foncteurs « partie modérée du motif proche ». Nous disposons d’un diagramme de S-schémas (ES,N×) défini de la manière suivante. La catégorie N× est l’ensemble N− {0} ordonné par l’opposé de la relation de divisibilité. Pour n ∈ N× on a ES(n) = GmS et si m | n, le morphisme ES(n) // ES(m) est l’élévation à la puissance nm−1

Notons N le sous-ensemble ordonné de N× formé des entiers inversibles sur S. Soient ES0 etRS0 les restrictions deES etRS à N et∆×N respectivement. Nous déduisons de (95) un morphisme de (∆×N)-schémas

θR0 : (RS0,∆×N) // (GmS,∆×N). (96) Étant donné un morphisme deS-schémas quasi-projectifs f :X // A1S, on forme le diagramme commutatif à carrés cartésiens On obtient ainsi le système de spécialisation pseudo-monoïdalΨmod au-dessus de (A1S, j,i). Les foncteursΨmodf sont appelés les foncteurs « partie modéré du motif proche ». Par construction, on a une chaîne de morphismes évidentsχ // Υ // Ψmod. On a le résultat suivant.

Theoreme 10.6 — Soient S un schéma de base et Λ un anneau de coefficients. On suppose que l’Hypothèse 7.3est satisfaite. On se donne un morphisme de S -schémas quasi-projectifs f : X // A1S tel que X et (Xσ)red sont réguliers. On suppose que f = u·ge avec u ∈ Γ(X,O×), g∈Γ(X,O)un générateur de l’idéal de définition du sous-schéma fermé(Xσ)red ⊂X et e∈N−{0}.

Soit d le plus grand diviseur de e qui soit dansN(i.e., qui soit inversible sur S ). Il existe alors un isomorphisme canonique dansDAét(Xσ,Λ):

Ψmodf ΛXη 'n

Xσ[v]/(vd−u)→Xσo

Λ.

Demonstration On commence d’abord par des considérations générales. Pourn ∈ N, on note κn :N // Nle foncteur qui envoiem∈Nsurm·n. On note aussiκnl’endofoncteur id×κn

avecenl’élévation à la puissancensurGmS. On note aussienl’élévation à la puissancensurA1S. On pose alorsXn=X×

A1S,enA1S le changement de base duA1S-schémaXsuivanten. La projection sur le second facteur fournit le morphisme fn :Xn // A1S. Comme dans [5, Prop. 3.5.9], le carré commutatif (98) induit un isomorphisme canonique Ψmodf

n (idX ×en)η ' Ψmodf . Il suffit donc de construire un isomorphisme canonique

Ψfmodd Λ'n

Xσ[v]/(vd−u)→Xσo

Λ.

NotonsXd0 la normalisation deXd,r :Xd0 // Xdle morphisme canonique et fd0= fd◦r. Puisque (Xd)η est étale au-dessus deXη, il est normal. Il s’ensuit querηest un isomorphisme. On a alors une chaîne d’isomorphismes canoniques

Ψfmodd Λ'Ψfmodd rη∗Λ'rσ∗Ψmodf0

d Λ.

Par ailleurs, on a Xd ' X[t]/(td − u·ge). Puisqued divise e, un calcul immédiat montre que Xd0 'X[v]/(vd−u). Le morphismeXσ[v]/(vd−u)→Xσs’identifie ainsi àrσ. Il est donc suffisant de construire un isomorphisme Ψfmod0

d Λ ' Λ. Pour cela, remarquons que X[v]/(vd −u) est étale sur X. Il s’ensuit que Xd0 et ((Xd0)σ)red sont des schémas réguliers, et que le sous-schéma fermé ((Xd0)σ)red ⊂ Xd0 est défini par l’annulation de la fonctiong vue comme élément deΓ(X0d,O). De plus, nous avons la relation fd0 = t = v ·ge/d dans Γ(Xd0,O). Nous sommes donc ramenés au casd = 1 du théorème. Dans ce cas, on a un résultat plus précis décrit dans le Théorème 10.7

ci-dessous.

Theoreme 10.7 — Soient S un schéma de base et Λun anneau de coefficients. On suppose que l’Hypothèse 7.3est satisfaite. On se donne un morphisme de S -schémas quasi-projectifs f : X // A1S tel que X et (Xσ)red sont réguliers. On suppose que f = u ·ge avec u ∈ Γ(X,O×), g∈Γ(X,O)un générateur de l’idéal de définition du sous-schéma fermé(Xσ)red ⊂X et e∈N−{0}.

Si e est premier à tout élément deN, la composition de ΛXσ // χfΛXη // Ψmodf ΛXη

est un isomorphisme dansDAét(Xσ,Λ).

Demonstration Remarquons d’abord queeest inversible dansΛpuisque aucun de ses diviseurs premiers n’est inversible sur S. On a un diagramme commutatif de diagrammes de S-schémas (cf. [5, Lem. 3.5.4])

(AS,∆) τn //

θA

(RS0,∆×N)

θR0

GmS

en //GmS

(99)

avec τn le morphisme déduit de l’inclusion ∆ ' ∆ × {n} ,→ ∆ × N et en l’élévation à la puissancen sur GmS. Comme dans la preuve ci-dessus, on pose Xn = X ×

A1S,en A1S et on note fn:Xn // A1S la projection sur le second facteur. Le carré commutatif (99) induit un morphisme Υfn(idX ×en)η // Ψmodf . De plus,Ψmodf Λs’identifie à la colimite homotopique suivantn ∈N

desΥfn(idX×en)ηΛ. Ainsi, il suffira de montrer que la composition de Λ(Xn)σ // χfnΛ(Xn)η // ΥfnΛ(Xn)η

est inversible.

NotonsX0nle normalisé deXnetr:X0n // Xle morphisme évident. On aXn 'X[t]/(tn−u·ge). Il s’ensuit que (Xn)ηest normal et querηest inversible. Choisissons une relation de Bézouta·n+b·e= 1 avec (a,b)∈Z2. Un calcul facile montre queXn0 =X[s]/(sn−ub·g). Le morphismerenvoietsur ua·se. En fait, le schémaX[s]/(sn−ub·g) est régulier puisque l’ouvert (Xn)η'X[s,s−1]/(sn−ub·g) est régulier et son complémentaire est un diviseur de Cartier régulier. Ce diviseur de Cartier est défini par l’annulation deset il est canoniquement isomorphe à (Xσ)red.

Il est à présent facile de conclure. En effet, on vient de voir querηest un isomorphisme et que rσest inversible à nil-immersions près. Il est donc suffisant de montrer que la composition de

Λ(Xn0)σ // χfn0Λ(Xn0)η // Υfn0Λ(X0n)η

est inversible avec fn0 = fn◦r. Or, le morphisme fn0 : X0n // A1S satisfait aux conditions

d’appli-cation du Théorème 10.2.

À partir de maintenant,S =Spec(R) sera le spectre d’un anneau de valuation discrète excellent et hensélien R d’idéal maximal m. On fixe une uniformisante π ∈ m qui définit un morphisme π:S // A1S. On noteηetσau lieu deSη etSσde sorte queηest le point ouvert deS etσest son point fermé.

Definition10.8 — Soit f : X // S un S -schéma quasi-projectif. Lorsque cela n’entraîne pas confusion, on notera Υf et Ψfmod : DAét(Xη,Λ) // DAét(Xσ,Λ) au lieu de Υπ◦f et Ψπ◦modf les foncteurs « motif proche partiel » définis ci-dessus. Il nous arrivera aussi de noterΥX etΨXmodces foncteurs.

Le résultat suivant montre que nos foncteursΥf etΨfmodsont raisonnables lorsque les bonnes conditions sont assurées.

Theoreme10.9 — Supposons donné un S -schéma quasi-projectif f :X // S .

(i) Le foncteurΨmodf :DAét(Xη,Λ) // DAét(Xσ,Λ)préserve les objets constructibles lorsque l’Hypothèse 7.3est satisfaite.

(ii) Le foncteurΥf :DAét(Xη,Λ) // DAét(Xσ,Λ)préserve les objets constructibles lorsqueΛ est uneQ-algèbre.

Demonstration On démontre uniquement la propriété (i). La preuve de (ii) est la même en plus simple. En effet, pour (i) nous aurons besoin d’utiliser la version `-primaire due à Gabber de la résolution des singularités par altérations de de Jong [28] alors que pour (ii) la version originale de de Jong est suffisante.

Il suffit de montrer queΨmodf Λest constructible pour tous lesS-schémas quasi-projectifsX. En effet, pourXfixé, la Proposition 3.19 et [4, Lem. 2.2.23] entraînent que la catégorieDAét(Xη,Λ) est compactement engendrée par les motifs de la forme (gη)Λ(n) avecg:Y // XunS-morphisme projectif etn∈Z. (Ces objets sont constructibles d’après la Proposition 8.5, (b).) Il suffit donc de prouver queΨmodf (gη)Λest constructible. Or, le morphismeΨfmod(gη) // (gσ)Ψfmod◦g est inver-sible et (gσ)préserve les objets constructibles. Il suffit donc de prouver queΨmodf◦gΛest construc-tible, ce qui établit la réduction souhaitée.

Pour montrer queΨmodf Λest constructible nous allons raisonner par induction sur la dimension de Krull de la fibre génériqueXη. Supposons d’abord que cette dimension est nulle. On ne restreint pas la généralité en remplaçantXpar l’adhérence deXηet ensuite par son normalisé. On peut donc supposer queXest le spectre d’un anneau de valuation discrète hensélien fini surS. On peut alors utiliser le Théorème 10.6 pour conclure.

Supposons maintenant que krdim(Xη) ≥ 1. Fixons un nombre premier ` inversible sur S. D’après le Corollaire 8.4, il suffit de montrer qu’il existe un entier e ∈ N premier à ` tel que Ψmodf (Λ[e1]) est constructible dans DAét(Xσ,Λ[e1]). Un dévissage standard (utilisant l’hypo-thèse d’induction) nous ramène au cas oùXest intègre et plat surS. D’après [24, Expo. X, Th. 2.4], il existe un carré commutatif

X0 p //

f0

X f

S0 r //S

avec S0 le spectre d’un anneau de valuation discrète hensélien, X0 un schéma intègre qui est à réduction semi-stable au-dessus deS0 (au sens affaibli de [5, Déf. 3.3.33]),r un morphisme fini et p une altération de degré générique premier à `. La condition de semi-stabilité sur X0 est la

suivante. Localement pour la topologie étale, X0 est isomorphe àS0[t0,· · ·,tn]/(ta00· · ·tarr − π0) avecπ0une uniformisante deS0(cf. [5, Lem. 3.3.37 et 3.3.38]). Dans la suite, on prendra pourele degré générique dep. Quitte à remplacerΛparΛ[e−1], on peut supposer queeest inversible dans Λ. C’est ce qu’on fera dans la suite.

Pour démontrer queΨmodf Λest constructible, il suffit par l’hypothèse d’induction de montrer queΨmodf u!Λest inversible avecu:U,→Xηl’inclusion d’un ouvert dense au-dessus duquelpest la composition d’un revêtement étale suivi d’un morphisme fini totalement inséparable. Notons U0 = p−1(U), u0 : U0 ,→ Xη0 l’inclusion évidente etq : U0 // U le morphisme déduit de p.

D’après [4, Lem. 2.1.165] et puisqueeest supposé inversible dansΛ, le morphismeΛU // qΛU0

admet une rétraction. Vue la chaîne d’isomorphismes

(pσ)Ψmodf◦pu0!ΛU0modf (pη)u0!ΛU0modf (pη)!u0!ΛU0modf u!q!ΛU0modf u!qΛU0

on déduit queΨmodf u!Λest isomorphe à un facteur direct de (pσ)Ψmodf◦pu0!Λ. Il est donc suffisant de montrer queΨmodf◦pu0!Λest constructible. En utilisant une deuxième fois l’hypothèse de récurrence, on se ramène à prouver queΨr◦fmod0Λest constructible. Cette propriété est locale pour la topologie étale sur Xσ0. Le résultat recherché est maintenant une conséquence de [5, Th. 3.3.48] et du cas d’un S-schéma fini, i.e., celui où la dimension de Krull de la fibre générique est nulle. (Pour se débarasser dans [5, Th. 3.3.48] du cas desbmn, on utilise que, modulo un revêtement pseudo-galoisien de degré inversible dans Λ et localement pour la topologie étale, le morphisme bmn : S0[U,U−1][T]/(Tn−Um·π0) // S0est isomorphe àbn:S0[T]/(Tn−π0) // S0.) Pour faire le lien avec les constructions correspondantes en cohomologie étale, nous avons besoin d’introduire un autre système de spécialisationbχ. Il est défini à partir du diagramme de S-schémas (ES0,N). (Rappelons que ce dernier s’identifie à la restriction de RS0 à 0 × N.) Étant donné un morphisme deS-schémas quasi-projectifs f :X // A1S, on forme le diagramme commutatif à carrés cartésiens

(Ef0,N)

θEf 0

//

fη

(Xη,N)

fη

j //(X,N) f

(Xσ,N)

fσ

oo i pN//Xσ

fσ

(E0S,N) θE

0//(GmS,N) j //(A1S,N)oo i (S,N) pN //S.

On définit alors le foncteurbχf :DAét(Xη,Λ) // DAét(Xσ,Λ) par bχf =(pN)]ijEf0)Ef0)p

N. (100)

Par construction, on a une suite de morphismes de systèmes de spécialisation pseudo-monoïdaux χ //

bχ // Ψmod. Comme avant, le choix de l’uniformisante π ∈ m permet de restreindre le système de spécialisation pseudo-monoïdalbχau-dessus de la base (S,j : η ,→ S,i : σ ,→ S).

Ainsi, si f :X // S est unS-schéma quasi-projectif, nous écrironsbχf au lieu debχπ◦f.

Theoreme10.10 — Supposons que l’anneau de coefficientsΛest de torsion et qu’il satisfait à l’Hypothèse 7.3. Soit f :X // S un S -schéma quasi-projectif. Alors, le morphismebχf // Ψmodf est un isomorphisme.

Demonstration La preuve que nous présenterons dépend, elle aussi, de la version`-primaire due à Gabber de la résolution des singularités par altérations de de Jong [28].

Il suffit de montrer quebχfΛ // Ψmodf Λest inversible pour tous lesS-schémas quasi-projectifs X. En effet, pourX fixé, la Proposition 3.19 et [4, Lem. 2.2.23] entraînent que DAét(Xη,Λ) est compactement engendrée par les motifs de la forme (gη)Λ(n) avecg:Y // XunS-morphisme projectif etn ∈Z. Puisque les foncteursbχf etΨmodf commutent aux sommes infinies, il est donc

suffisant de montrer quebχf(gη)Λ // Ψmodf (gη)Λest inversible. Puisquegest projectif, les mor-phismesbχf(gη) // (gσ)f◦getΨmodf (gη) // (gσ)Ψmodf◦g sont inversibles. Ceci nous ramène à prouver quebχf◦gΛ // Ψmodf◦gΛest inversible, ce qui établit la réduction souhaitée.

On ne restreint pas la généralité en supposant queΛest de caractéristique une puissance d’un nombre premier ` inversible surS. On montrera quebχfΛ // Ψmodf Λest un isomorphisme par induction sur la dimension de Krull deXη. On divise la preuve en deux parties. Dans la première, nous établirons le cas où krdim(Xη)=0.

Partie A : On suppose ici que Xη est de dimension nulle. On ne restreint pas la généralité en remplaçant X par l’adhérence de Xη et puis par son normalisé. Autrement dit, on peut supposer queX=T est le spectre d’un anneau de valuation discrèteQfini surR. Soit$une uniformisante deQet supposons queπ=u·$eavecuinversible dansQ.

Soitdle plus grand diviseur deequi est dansN. D’après le Théorème 10.6, on a un isomor-phisme canonique :

ΨTmod(Λ)'n

Tσ[v]/(vd−u)→Tσo

Λ.

Nous prouverons une formule similaire pourbχS0Λet nous laisserons au lecteur le soin de vérifier que modulo ces identifications, le morphisme qui nous intéresse est l’identité.

En remplaçant «R0 » et « Ψmod » par «E0 » et «bχ » dans la preuve du Théorème 10.6 on obtient une réduction au casd=1. Pour traiter ce cas, nous montrerons que la composition de

ΛTσ // χTΛTη //

TΛTη (101)

est un isomorphisme.

Pourn ∈N, on poseTn0 = T[$1/n]. Vu quenetesont supposés premiers entre-eux,Tn0 est le normalisé deT ×S S[π1/n]. De plus, on a une identification canonique (Tn0)σ ' Tσ. Modulo cette identification, la composition de (101) est donnée par :

Λ // hocolimn∈N χTn0Λ. (102)

Or, puisque Tn0 est le spectre d’un anneau de valuation discrète, on a χTn0Λ(Tn0)η = ijΛ(Tn0)η ' ΛTσ ⊕ΛTσ(−1)[−1]. D’après la Proposition 10.3, le morphismeχTm0Λ // χTn0Λ, pourmdivisant n, est donné par la matrice

1 0

0 nm−1

! .

Puisque`∈Net qu’une puissance de`est nulle dansΛ, on voit aussitôt que (102) est inversible.

Partie B :On suppose ici que krdim(Xη) ≥ 1. Par un dévissage standard, on peut supposer queX est intègre et plat surS. D’après [24, Expo. X, Th. 2.4], il existe un carré commutatif

X0 p //

f0

X f

S0 r //S

avec S0 le spectre d’un anneau de valuation discrète hensélien, X0 un schéma intègre qui est à réduction semi-stable au-dessus deS0 (au sens affaibli de [5, Déf. 3.3.33]),r un morphisme fini et p une altération de degré générique premier à `. La condition de semi-stabilité sur X0 est la suivante. Localement pour la topologie étale, X0 est isomorphe à S0[t0,· · ·,tn]/(ta00· · ·tarr −π0) avecπ0une uniformisante deS0(cf. [5, Lem. 3.3.37 et 3.3.38]).

Pour démontrer quebχfΛ // Ψmodf Λest inversible, il suffit par l’hypothèse d’induction de mon-trer quebχfu!Λ // Ψmodf u!Λest inversible avecu : U ,→ Xη l’inclusion d’un ouvert dense au-dessus duquel p est la composition d’un revêtement étale suivi d’un morphisme fini totalement inséparable. Notons U0 = p−1(U),u0 : U0 ,→ Xη0 l’inclusion évidente etq : U0 // U le mor-phisme déduit de p. D’après [4, Lem. 2.1.165] et puisque le degré deq est inversible dansΛ, le

morphismeΛU // qΛU0 admet une rétraction. On a un carré commutatif

où les flèches horizontales sont inversibles. Il est donc suffisant de montrer que le morphisme bχf◦pu0!Λ // Ψmodf◦pu0!Λest inversible. En utilisant une deuxième fois l’hypothèse de récurrence, on se ramène à prouver quebχf◦pΛ // Ψmodf◦pΛest inversible. Or, cette propriété est locale pour la topologie étale sur X0σ. Le résultat recherché est alors une conséquence de [5, Th. 3.3.45] et du cas d’un S-schéma fini, i.e., celui où la dimension de Krull de la fibre générique est nulle.

(Pour se débarasser dans [5, Th. 3.3.45] du cas des bmn, on utilise que, modulo un revêtement pseudo-galoisien de degré inversible dansΛet localement pour la topologie étale, le morphisme bmn :S0[U,U−1][T]/(Tn−Um·π0) // S0est isomorphe àbn:S0[T]/(Tn−π0) // S0.) Rappelons queS = Spec(R) avecRun anneau local hensélien de corps de fractionK. On note eRla normalisation deRdans l’extensionKe=K[π1/n|n∈N] deK. On pose alorseη=Spec(K) ete

SoitJ⊂Λun idéal tel queΛ/Jest de caractéristique non nulle et inversible surS. On définit alors des foncteurs

Ψfmod:Dét(Xη,Λ/J) // Dét(Xσ,Λ/J) et Ψmodf :Dét(Xη,Λ/J) // Dét(Xσ,Λ/J) par la formuleΨmodf (A) =eiejA

eη. C’est les foncteurs « cycles proches modérés » en cohomologie étale. Il est facile de voir que le second foncteurΨfmodenvoie la sous-catégorie ˆDét(XηJ) dans Dˆét(XσJ) induisant ainsi un foncteur « cycles proches modérés »

Ψfmod: ˆDét(XηJ) // Dˆét(XσJ).

Le résultat suivant est immédiat.

Theoreme10.11 — On suppose que l’Hypothèse 6.5est satisfaite. Soit f :X // S un S -schéma quasi-projectif. Il existe alors des faces carrées inversibles (de foncteurs pseudo-monoïdaux)

DAét(Xη,Λ) Rét // qui sont compatibles aux morphismes de changement de base associés aux S -morphismes.

Demonstration On traite uniquement le cas des coefficients dansΛ/J. Vus le Théorème 10.10 et la construction de la réalisation étale, on est ramené à construire des faces carrées inversibles

DAét(Xη,Λ) −⊗ΛΛ/J//

La première face ci-dessus est la composition de 2-morphismes de typeγetξ, comme dans la Proposition 6.2, associés à des morphismes de diagrammes (au lieu de morphismes de schémas),

et d’un isomorphisme de commutation de− ⊗ΛΛ/Javec la colimite homotopique suivant∆×N.

et d’un isomorphisme de commutation de− ⊗ΛΛ/Javec la colimite homotopique suivant∆×N.