• Aucun résultat trouvé

La réalisation étale des motifs étales (suite)

Dans cette section, on étend la réalisation étale construite dans la Section 5 aux motifs construc-tibles à coefficients rationnels. On commence par des préliminaires catégoriques.

Étant donnée une catégorie additiveC, on noteC⊗Qla catégorie ayant pour objets ceux deC et telle que homCQ(A,B) = homC(A,B)⊗Z Qpour tout A, B ∈ C. La composition dansC⊗Q est déduite de celle deCpar linéarité. La catégorieC⊗Qest additive et on a un foncteur additif évidentC // C⊗Qqui est un isomorphisme de catégories siCestQ-linéaire. Le résultat suivant est certainement bien connu.

Proposition 9.1 — Soit T une catégorie triangulée. On noteTtor la sous-catégorie pleine de Tformée des objets A ∈ Ttels que n·idA = 0pour un certain n ∈ N− {0}. Alors,Ttor est une sous-catégorie triangulée deTet le foncteur évidentT // T⊗QidentifieT⊗Qavec le quotient de VerdierT/Ttor. En particulier,T⊗Qest naturellement une catégorie triangulée.

Demonstration La catégorieTtorest clairement stable par les foncteurs de suspension et de désus-pension. Supposons donné un triangle distingué dansT:

A // B // C // A[1].

Sim·idA =0 etn·idB =0, la multiplication parmndans le triangle distingué ci-dessus est nulle sur les deux premiers sommets. Il vient que (mn)·idCse factorise parC // A[1] etB // C. Il en découle aussitôt que son carré est nul. Autrement dit, on a (mn)2·idC =0 etC∈Ttor. Ceci montre queTtorest une sous-catégorie triangulée deT.

Par ailleurs, pour toutM∈Tetn∈N− {0}, on peut former un triangle distingué M id// M // Qn(M) // M[1].

Par construction, le morphismen·idQn(M)composé avec Qn(M) // M[1] est nul. Il se factorise donc par M // Qn(M). Or, le n-ième multiple de cette flèche est nulle. On en déduit que n2· idQn(M)=0 et donc queQn(M) est dansTtor. Il s’ensuit aussitôt queV=T/TtorestQ-linéaire. Le foncteur évidentT // Vinduit alors un foncteurT⊗Q // Vqui est l’identité sur les objets. Il reste à montrer que ce foncteur est pleinement fidèle.

D’après la construction du quotient de Verdier, une flècheα : A // BdansVest une classe d’équivalence de diagrammes de la forme

Aoo u A0 a //B

avec Cône(u)∈Ttor. Sin·idCône(u)=0, le morphismen·idAcomposé avecA // Cône(u) est nul.

Il se factorise donc paru. Autrement dit, il existe une flèchev:A // A0telle queu◦v= n·idA. On peut donc supposer queA0 = A etu = n·idA. Dans ce cas,n·α = a. Ceci montre que le foncteurT⊗Q // Vest plein.

D’autre part, pour montrer que homT(A,B)⊗ZQ // homV(A,B) est injectif il suffit de voir que le noyau de homT(A,B) // homV(A,B) est un sous-groupe de torsion. Soitb∈ homT(A,B) une flèche et supposons qu’elle devient nulle dansV. D’après la construction du quotient de Verdier, il existe une flècheu:A0 // Atelle que Cône(u) ∈Ttor etb◦u= 0. Comme ci-dessus, on peut trouver une flèchev:A // A0telle queu◦v=n·idA pour un certainn ∈N− {0}. Il en découle

alors quen·b=0. La proposition est démontrée.

Par ailleurs, on a le fait suivant.

Proposition 9.2 — Soient S un schéma etΛ un anneau de coefficients. Le foncteur − ⊗Q : DAétct(S,Λ) // DAétct(S,Λ⊗Q)induit un foncteur triangulé

DAétct(S,Λ)⊗Q // DAétct(S,Λ⊗Q) (86) Si de plus l’Hypothèse 3.17 et satisfaite, le foncteur (86) induit une équivalence de catégories entreDAétct(S,Λ⊗Q)et l’enveloppe pseudo-abélienne deDAétct(S,Λ)⊗Q.

Demonstration Remarquons que− ⊗Qpréserve les objets constructibles. La première partie de l’énoncé découle formellement du fait queDAétct(S,Λ⊗Q) estQ-linéaire. On passe à la seconde partie. Notonsa : DAét(S,Λ) // DAét(S,Λ⊗Q) le foncteur − ⊗Qetason adjoint à droite.

PourA, B∈DAét(S,Λ), on a

homDAét(S,ΛQ)(aA,aB)'homDAét(S,Λ)(A,aaB).

D’après le Lemme A.4, on voit queaaB=B⊗Qvu comme un objet deDAét(S,Λ). C’est donc la colimite filtrante du système (B)n∈N× où les morphismes de transition associés àmdivisantn

sont donnés par mn ·idB. Or, siAest constructible il est compact par la Proposition 8.3 et on obtient des identifications canoniques

homDAét(S,Λ)(A,aaB)'colimn∈N×homDAét(S,Λ)(A,B)'homDAét(S,Λ)(A,B)⊗Q.

Ceci montre que le foncteurDAétct(S,Λ)⊗Q // DAétct(S,Λ⊗Q) est pleinement fidèle. De plus, c’est un foncteur triangulé par la Proposition 9.1. Par ailleurs, l’image de ce foncteur contient des générateurs deDAétct(S,Λ⊗Q) comme catégorie triangulée stable par facteurs directs (cf. la Définition 8.1). Il en découle que tout objet deDAétct(S,Λ⊗Q) est un facteur direct d’un objet de l’image deDAétct(S,Λ)⊗Q. Ceci termine la preuve de la proposition puisqueDAétct(S,Λ⊗Q) est

pseudo-abélienne.

Definition9.3 — Soient S un schéma,Λun anneau et J ⊂ Λun idéal. On noteDˆétct(S,ΛJ)la sous-catégorie pleine deDˆét(S,ΛJ)dont les objets sont les complexes de préfaisceaux deΛ/J -modules K tels que pour tout s ∈ N, le complexe sK est constructible au sens suivant. Les fais-ceaux étales deΛ/Js-modulesaét(Hn(s(K)))sont constructibles au sens de[3, Expo. IX, Déf. 2.3]

et ils sont nuls pour|n|suffisamment grand. On définit alorsDˆétct(S,ΛJ ⊗Q) comme étant l’enve-loppe pseudo-abélienne deDˆétct(S,ΛJ)⊗Q. LorsqueΛ⊂Z(`)et J =(`), pour un nombre premier

`, on note simplementDˆétct(S,Q`)la catégorie ainsi définie.

Remarque 9.4 — Remarquons que ˆDétct(S,ΛJ⊗Q) est naturellement une catégorie triangulée. En effet ˆDétct(S,ΛJ)⊗Q, est une catégorie triangulée d’après la Proposition 9.1. De plus, l’enveloppe pseudo-abélienne d’une catégorie triangulée est encore une catégorie triangulée d’après [9].

Proposition 9.5 — Soient S un schéma, Λ un anneau et J ⊂ Λ un idéal. On suppose que l’Hypothèse 5.1est satisfaite. Alors, la réalisation étaleRétS :DAét(S,Λ) // Dˆét(S,ΛJ)envoie la sous-catégorieDAétct(S,Λ)dansDˆétct(S,ΛJ). Elle induit donc un foncteur

RétS :DAétct(S,Λ) // Dˆétct(S,ΛJ). (87) Demonstration D’après [4, Lem. 2.2.23],DAétct(S,Λ) est la plus petite sous-catégorie triangulée de DAét(S,Λ) stable par facteurs directs et contenant les motifs de la forme fΛX(n) avecn ∈ Z et f : X // S un morphisme projectif. Or, il est immédiat que RétXX(n)) ' (Λ/J)(n) est dans ˆDétct(X,ΛJ). D’autre part, l’opération f commute à la réalisation étale d’après le Théorème 6.9. Il est donc suffisant de montrer que l’opération f préserve les sous-catégories ˆDétct(−,ΛJ).

Ceci revient à montrer que fpréserve les complexes constructibles de faisceaux étales deΛ/Js -modules. Puisque f est projectif, ceci découle facilement de [3, Expo. XIV, Th. 1.1].

Definition 9.6 — Soient S un schéma, Λ un anneau et J ⊂ Λ un idéal. On suppose que l’Hypothèse 6.5est satisfaite. Le foncteur(87)induit un foncteur triangulé entreDAétct(S,Λ)⊗Q etDˆétct(S,ΛJ)⊗Q. En passant aux enveloppes pseudo-abéliennes et en utilisant laProposition 9.2, on obtient un foncteur triangulé, monoïdal symétrique et unitaire

RétS :DAétct(S,Λ⊗Q) // Dˆétct(S,ΛJ⊗Q). (88) Ce foncteur est laréalisation étaleà coefficients uniquement divisibles.

Theoreme 9.7 — Soient S un schéma de base excellent,Λun anneau de coefficients et J ⊂ Λ un idéal tel queΛ/J est de torsion (en tant queZ-module). On suppose que l’Hypothèse 7.3est satisfaite. Alors, les foncteurs de réalisations étalesRét:DAétct(−,Λ⊗Q) // Dˆétct(−,ΛJ⊗Q) com-mutent aux six opérations de Grothendieck pour les S -schémas quasi-projectifs. Plus précisément, les propriétés(A)et(B)duThéorème 6.6sont satisfaites pour ces foncteurs.

Demonstration On a des foncteurs triangulésRét⊗Q : DAét(−,Λ)⊗Q // Dˆét(−,ΛJ)⊗Qqui commutent aux six opérations de Grothendieck d’après le Théorème 6.9. Or, les six opérations de Grothendieck préservent les sous-catégories des objets constructibles d’après les Théorèmes 8.10 et 8.12. Il suffit alors de passer aux enveloppes pseudo-abéliennes et d’utiliser la Proposition 9.2

pour conclure.