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Motifs de préjugés implicites au sujet des « jeunes qui se tiennent dehors »

6. L ES GRANDS DÉFIS : P RÉJUGÉS ET DISCRIMINATION (D ÉFI 2)

6.5 Motifs de préjugés implicites au sujet des « jeunes qui se tiennent dehors »

En lien avec le sentiment de sécurité, nous avons abordé le phénomène des « jeunes qui se tiennent dehors » (voir la section 5.5). Ces personnes font l’objet d’une perception négative relativement généralisée dans le quartier. Seulement quelques personnes avec qui nous avons échangé et dont certains ont l’habitude de se tenir dehors nuancent le portrait à leur égard. Elles soulèvent notamment l’hétérogénéité des profils des personnes qui sont associées à ce groupe, en termes d’âge et d’occupation ainsi que les motifs qui peuvent amener les personnes à se tenir dehors.

Nonobstant, la majorité des personnes avec qui nous avons échangé ont une perception négative des « jeunes qui se tiennent dehors » et les associent à des activités ou comportements divers, dont la vente de drogues, la consommation de drogues et d’alcool, la criminalité, le bruit, l’occupation des rues et des espaces communs, l’oisiveté, la prostitution et le proxénétisme. Certains craignent l’influence négative que ces personnes peuvent avoir sur les enfants.

Chacun de ces comportements ou activités peut justifier une perception négative d’une personne ou d’un groupe précis. Dans le même registre, lorsqu’un citoyen se plaint d’un groupe de jeunes qui vend de la drogue ou qui fait du bruit, nous ne sommes pas dans le domaine des préjugés. On tombe dans le domaine du préjugé lorsqu’il y a généralisation, lorsqu’il y a une perception négative généralisée qui associe directement le fait de se tenir dans la rue à la vente de drogue ou à d’autres activités perçues comme dérangeantes, stigmatisant ainsi ces personnes.

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Or, dans les propos recueillis, la perception négative et l’association aux activités et comportements ci-mentionnés sont souvent généralisées aux « jeunes », aux « gens dehors », etc. Nous avons recueilli une seule citation qui réfère à ces personnes par une origine (Haïti), et cette citation provient d’une personne elle-même originaire d’Haïti. Un seul commentaire raciste en lien avec les gangs de rue a été recueilli. Non seulement l’origine de ces personnes, mais même leurs activités et comportements restent souvent implicites dans les propos que nous avons recueillis, comme le reflètent des phrases du type :

« Ce qui me dérange c’est les jeunes, ça me dérange beaucoup ».

Ce type de phrase est prononcé fréquemment et ne semble pas offusquer. Si on remplaçait le mot « jeunes » par « aînés », « femmes » ou « immigrants », ce serait sans doute perçu comme inacceptable. Est-ce parce que les jeunes ont généralement une connotation positive que ces propos ne sont pas considérés comme discriminatoires par les citoyens ? Serait-ce un euphémisme ? Ou bien les jeunes sont-ils si fortement associés à des comportements répréhensibles que de telles déclarations semblent justifiées ?

Il est important de noter, comme l’illustre le schéma ci-dessous, que la plupart des propos concernant les « gens dehors » sont basés sur des perceptions. Très peu de personnes nous parlent d’expériences effectives négatives avec les jeunes qui se regroupent dans la rue.

Graphique 6 : Propos sur les « jeunes qui se tiennent dehors »

Source : Auteurs.

Il y a beaucoup de propos sur les effets secondaires de la présence des « jeunes qui se tiennent dehors » qui ne sont pas toujours de l’ordre des préjugés. Par exemple, des incivilités comme le bruit et le fait de laisser des déchets sur les terrains privés semblent incommoder beaucoup les voisins. Certains disent qu’ils ont de la difficulté à dormir le soir. D’autres mentionnent les « chicanes » entre les personnes qui se tiennent à l’extérieur. Plusieurs se plaignent aussi de la fumée de marijuana qui monte dans les logements, en particulier l’été, ce qui empêcherait certains d’ouvrir les fenêtres. D’autres reprochent à ces jeunes leur apparence « inconvenable »

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qui risque de constituer un mauvais modèle pour les enfants du quartier. À l’opposé, quelques individus témoignent de comportements courtois à leur égard, venants de « personnes qui se tiennent dehors ».

Nous le voyons, la perception envers les personnes qui se tiennent dans la rue est très largement négative. Les motivations de cette perception étant souvent implicites, elle est rarement basée sur des arguments qui permettent d’associer ces personnes aux gangs de rue, par exemple. Cependant, cette perception négative quasi générale est à nuancer par la volonté des citoyens d’aider ces personnes stigmatisées à « s’en sortir ». Nous verrons dans la section sur les pistes d’action que beaucoup de citoyens sont prêts à agir pour améliorer cette situation. Ainsi, ceux qui ont une attitude ouvertement hostile envers ces jeunes sont minoritaires.

6.6 Discussion et résumé

Nous remarquons que la discrimination vécue par les citoyens du Nord-Est se manifeste avant tout dans le domaine de l’emploi et dans les interactions entre citoyens. Nous relevons également que l’origine ethnique constitue le facteur le plus important des préjugés dans le quartier, suivi du lieu de résidence et du statut professionnel.

D’un côté, nous avons soulevé les préjugés des gens qui n’habitent pas le secteur envers ceux qui l’habitent. C’est ainsi que les propos des citoyens du Nord-Est nous révèlent que le seul fait d’habiter le Nord-Est donne à se justifier auprès des proches ou à être stigmatisé par l’employeur, étant donné la mauvaise image du secteur. De l’autre côté, il y a les préjugés ou les discriminations des habitants du Nord-Est, les uns envers les autres, basés sur l’origine ethnique ou le statut professionnel. Quant à la perception négative des « jeunes » et des « gens qui se tiennent dans la rue », elle est largement répandue et est renforcée par des préjugés dont les motifs restent implicites.

Notre analyse fait par ailleurs ressortir que les citoyens sont à la fois producteurs et victimes de préjugés et discriminations : cela traverse les âges et l’origine ethnique et semble comme une donne évidente dans le quartier. En effet, tous les profils de citoyens sont porteurs de préjugés et ceux-ci concernent pratiquement toutes les communautés. Néanmoins, cette culture de stigmatisation est à nuancer, car il y a autant de gens qui valorisent la diversité culturelle du quartier qu’il y en a qui entretiennent des préjugés sur la base de la différence ethnique.

Sur un autre plan, nous avons soulevé que les personnes issues de l’immigration subissent les conséquences de préjugés à caractère raciste par l’employeur. Cela se traduit en termes de difficultés d’accès au marché de l’emploi et de conditions désavantageuses de travail. La discrimination dans l’accès au marché du travail dépasse cependant les préjugés des employeurs. Il s’agit d’une discrimination systémique ancrée dans les politiques entourant la reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquise à l’étranger. Enfin, les différentes manifestations de racisme et de discrimination soulevées par les citoyens contribuent à reproduire les inégalités vécues par les groupes qui en sont victimes.

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