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Des motifs d’engagement dans l’islamisme radical qui se composent à l’infini des processus de subjectivation

Dans le document Radicalisations et jeunesses (Page 69-71)

Une partie des auteurs ont entrepris d’affiner les motifs d’engagement des jeunes djihadistes et d’en retracer différentes typologies pouvant se différencier selon le sexe des individus enquêtés, telles Dounia Bouzar et Marie Martin (2016) qui identifient sept principaux motifs d’engagement dans le djihad relevant d’une recherche d’idéal et/ou d’une fuite du monde réel vers un « ailleurs » supposé meilleur. Ces motifs peuvent s’énoncer à l’infini, et dépendre de la subjectivité propre à chaque individu spécifique et à son histoire, ce qui rend difficile d’en retirer des déterminants individuels clairs. Néanmoins, nous allons présenter trois auteurs qui tentent de cerner, sans prétendre à l’exhaustivité, ce qui pousse individuellement des jeunes à s’engager dans l’islamisme violent. En raison de l’absence de cette grille de lecture pour des jeunes engagés dans d’autres espaces radicaux violents, notre focale se portera donc sur le djihadisme.

Farhad Khosrokhavar (2015) décrit trois profils de jeunes djihadistes et tente de cerner leurs différentes subjectivités : les « désaffiliés » djihadistes des banlieues ; les djihadistes des classes moyennes, les jeunes filles djihadistes. La subjectivité des jeunes « désaffiliés », qui ont connu le plus souvent une trajectoire de délinquance ainsi qu’un passage en prison et qui embrassent l’islam radical, est marqué par la haine d‘une société qu’ils jugent injuste à leur égard. « L’islamisme radical opère une inversion magique qui transforme le mépris de soi en mépris de l’autre » (Khosrokhavar, 2015, p. 35). Il offre aux jeunes le statut du héros absolu, revêtu du prestige du martyr du combattant. Les jeunes sont prêts à endosser le statut du « héros négatif » par la fascination malsaine que ce dernier exerce sur les médias. Ils se sentent supérieurs aux autres car ils n’ont pas peur de mourir. Les jeunes issus de classes moyennes, « souvent des adolescents attardés », n’ont pas de haine envers la société mais s’engagent dans le djihadisme car ils ont un problème avec l’autorité et les normes. Enfants d’une autorité diluée par les familles recomposées et le droit de l’enfant, ils recherchent dans le djihadisme des normes claires où l’interdit se décline avec clarté, où la place de la femme et celle de l’homme sont restées dans des rôles traditionnels, souhaitant ainsi réhabiliter le patriarcat. Khosrokhavar les qualifie d’anti- Mai 68. Dans des logiques humanitaires, cette jeunesse djihadiste est également en quête de justice pour la Syrie. Pour les combattantes, majoritairement issues de classes moyennes et converties, des raisons humanitaires, un désenchantement à l‘égard du féminisme de leur mère et grand-mère, une idéalisation de la virilité, un vécu de la précarité des liaisons conjugales de leurs parents et d’un nivellement de la condition masculine dans le divorce pour certaines d’entre elles, souhaitant une « bonne inégalité » entre hommes et femmes, une fascination pour la violence guerrière constituent leurs principales motivations à s’engager dans l’engagement radical violent. Ces trois figures de jeunes djihadistes s’unifient dans la mort qui devient la catégorie directrice de leur psyché tourmentée (Khosrokhavar, 2015).

JEUNESSES ET RADICALISATIONS

Pour Fethi Benslama (2016b), l’offre radicale se saisit des impasses du passage juvénile à l’âge adulte. Dans un état de fragilité identitaire, la radicalisation est une voie de guérison pour le sujet. Son symptôme est effacé par l’effet d’une saturation de l’idéal qui le place dans une mission divine. Sept idéaux opèrent une séduction narcissique chez les jeunes : 1) la justice identitaire qui repose sur une théorie de l’« idéal islamique blessé » et du tort fait aux musulmans où le jeune fusionne avec un groupe de pairs pour former une communauté de cœur ; 2) la dignification et l’accès à la toute-

puissance que confère à des jeunes manquant d’estime de soi le fait de devenir un « surmulsuman ».

Le surmusulman est dans une logique de surenchère à être le plus musulman qu’il soit, établissant des frontières entre purs et impurs, même dans sa propre famille biologique ; 3) le repentir et la purification où tuer et se sacrifier par l’attentat-suicide relève pour le jeune de la purification atténuant sa culpabilité de vivre et de désirer. Elle lui permet également d’accéder à une jouissance paradisiaque absolue ; 4) la restauration du sujet de la communauté contre le sujet de la société où des jeunes préfèrent l’ordre rassurant d’une communauté aux normes contraignantes qui les libèrent de l’injonction actuelle à la responsabilité individuelle ; 5) l’effacement de la limite entre la vie et la mort. Benslama souligne que « le discours des prédicateurs pénètre les fantasmes inconscients des adolescents » dans leur remaniement psychique autour de la vie et de la mort à la sortie de l’enfance. Les jeunes qui souhaitent mourir dans le djihad ont l’impression que cette mort leur permettra de se réveiller de la vie ; 6) la théorie du mal et de la régénération : au moment où le jeune dans sa période adolescente a une vision du monde adulte comme une tromperie et où il doit s’adapter au jeu social, l’offre djihadiste est vue comme un nettoyeur d’hypocrites, celle-ci lui présentant le monde comme corrompu et injuste ; 7) l’achèvement du sens et du jugement dernier. La transition juvénile est une période de sentiment d’absurdité de l’existence et de montée d’un flot d’émotions. Daech répond ainsi au besoin de sens des jeunes. Par le rétablissement du califat, le jeune a le sentiment de participer à la fin du monde, à l’apocalypse, pour l’avènement du règne de l’autre monde.

Gérard Mauger (2016) distingue, quant à lui, deux cas de figures djihadistes : tout d’abord, celle d’intellectuels de la première génération issue de l’immigration maghrébine qui, par la réaffiliation religieuse, connait une certaine promotion culturelle palliative d’un échec scolaire relatif en maitrisant les aspects lettrés d’une culture millénaire. L’entrée dans le djihadisme permet de revaloriser des jeunes qui auraient fréquenté l’université pour en intérioriser suffisamment certaines aspirations culturelles, et qui auraient un certain ressentiment vis-à-vis de celle-ci de ne pas y avoir été reconnus. Ensuite, celle de jeunes en échec scolaire, au départ dans la délinquance, qui trouvent dans le djihadisme, une conversion morale de bonne conduite ; ayant accumulé un capital agonistique, seul capital qu’ils détiennent, ils endossent le statut de « héros négatif » (Khosrokhavar, 2014) dans une communauté djihadiste qui les reconnait et valorise leurs propriétés guerrières.

INJEP NOTES & RAPPORTS/ REVUE DE LITTÉRATURE

L’apport de l’articulation d’une sociologie de la jeunesse à la

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