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Les jeunes filles et femmes comme actrices dans le processus de radicalisation : un impensé récurrent

Dans le document Radicalisations et jeunesses (Page 33-35)

La présence actuelle de femmes engagées dans la cause djihadiste questionne également les pouvoirs publics comme les chercheurs. Elles seraient 500 sur les 5 000 djihadistes européens à être parties en Syrie et en Irak depuis 2015 (Benslama, Khosrokhavar, 2017). Khosrokhavar (2015, p. 41) a constaté que depuis le début de la guerre en Syrie, un « nouveau type de jihadisme féminin » est apparu, composé d’adolescentes, de post-adolescentes et de jeunes femmes d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, qui sont le plus souvent des converties, issues majoritairement des classes moyennes. Ce phénomène d’une adhésion des femmes à des causes qui utilisent les répertoires d’actions violentes est loin d’être nouveau. D’autres travaux ont retracé la présence des femmes en Europe au sein de l’organisation armée irlandaise IRA (Felices-Luna, 2008) ou d’Action directe et de la

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Ce centre, sous statut d’association de loi 1901, a été créé en 2014 par Dounia Bouzar. Il vient en aide aux familles qui signalent que leur enfant est dans un processus de radicalisation. Son équipe est composée de professionnels pluridisciplinaires. Ce centre a été l’objet de critiques, autant de la part des politiques que des scientifiques. Il a connu des rapports conflictuels avec les pouvoirs publics. Mandaté par le ministère de l’intérieur en 2014, il est sorti de son mandat public en 2016 lors de la proposition du gouvernement d’établir la déchéance de nationalité pour les individus radicalisés, le centre étant fortement opposé à cette orientation gouvernementale.

JEUNESSES ET RADICALISATIONS

Fraction armée rouge (Bugnon, 2015), ou au sein de l’organisation armée basque ETA (Lacroix, 2011). Dans Penser la violence des femmes, somme de 442 pages, Coline Cardi et Geneviève Pruvost (2012, p. 20) témoignent dans une riche et longue introduction, du « déni d’antériorité » (reprenant le concept de Delphine Naudier sur les femmes écrivains) de cette violence des femmes, faisant le plus souvent l’objet d’un « non-récit » et d’un « sous-enregistrement et d’une requalification des faits ». Les femmes violentes interrogent car elles transgressent l’ordre social par l’illégalité de leurs activités ; elles transgressent également « l’ordre sexué » parce qu’elles brouillent les frontières des normes de genre en mettant à mal le stéréotype de la femme pacifique et douce. Comme d’autres travaux l’ont déjà souligné avant, dans différents groupes radicaux et notamment ceux armés, les femmes ont toujours été présentes, mais elles ont souvent été mises dans l’ombre, par les chercheurs et enquêtés interviewés masculins (Lacroix, 2011). Dernièrement, en France, un groupe de jeunes filles djihadistes a tenté de commettre un attentat à Notre-Dame de Paris. C’est le fait qu’elles soient actrices du projet qui a le plus interpellé les médias. Mais elles ont d’autant plus intrigué la presse que Daech prône des rôles sexués figés. Les filles étaient jusque-là cantonnées à être les épouses des combattants. Pour autant, au-delà de l’aspect idéologique conservateur de cette organisation, dans des organisations d’extrême gauche, les femmes ont également longtemps été dans les coulisses, dans une « division sexuelle du travail violent » (Cardi, Pruvost, 2011 ; 2012).

Les femmes engagées dans la violence ont le plus souvent été appréhendées comme étant sous emprise mentale et naïves. La rationalité de leur choix leur est bien souvent déniée. Dans le cas des djihadistes, comme dans d’autres types d’engagements radicaux, c’est sous la figure de l’épouse, de l’amoureuse que ces femmes-là apparaissent. Elles n’auraient pas de motivations politiques. Nous y reviendrons de façon plus approfondie dans la deuxième partie sur notre recension des causes et processus qui conduisent des jeunes à la radicalisation violente, mais des auteurs comme Géraldine Casutt montrent qu’idéologiquement les jeunes filles djihadistes se positionnent contre les valeurs du féminisme occidental. Dans sa thèse de doctorat en cours à l’EHESS et à l’université de Fribourg, et en conversant avec ses enquêtées essentiellement par le biais des réseaux sociaux, elle montre que loin d’être naïves, celles-ci sont plutôt amères, selon elle, vis-à-vis du féminisme occidental qui n’a rien apporté aux femmes si ce n’est un certain épuisement ; elles rejoignent les hommes dans un discours argumenté que Géraldine Casutt (2014) qualifie de « féminislamisme ». Elles assurent qu’elles sont plus libres que les femmes occidentales en adhérant et en vivant une division des rôles très claire au sein de leur couple. Mohammed Ilyas (2014), a interrogé quatre femmes musulmanes britanniques, originaires du Pakistan et du Bengale, affiliées aux groupes politiques islamistes Muslims against

Crusades (interdit en 2011) et Women4Shariah. Il s’est attaché à comprendre leur entrée dans ce type

d’organisation et les effets que cela a eus dans leur vie. Il montre que « l’éveil religieux, les problèmes personnels, les préoccupations relatives au sentiment d’identité » (Ilyas, 2014, p. 125) ont joué un rôle majeur. Les liens affectifs, la fraternité entre femmes qui se constituent en y entrant, valorisant une ambiance dans laquelle l’étude de l’islam et de la politique est attrayante, les ont fortement maintenues dans leur engagement, payant, pour certaines d’entre elles, le prix fort d’une exclusion définitive de leur famille d’origine. Le rapport québécois, L’engagement des femmes dans la

radicalisation violente, rédigé par le Conseil de statut de la femme et le Centre de prévention de la

INJEP NOTES & RAPPORTS/ REVUE DE LITTÉRATURE

des québécoises à s’engager dans des formes de radicalité violente auprès de groupes djihadistes de Syrie et d’Irak. De même, Fethi Benslama, psychologue clinicien et psychanalyste et Farhad Khosrokavar sociologue, croisent leur regard dans un nouveau livre Le Jihadisme des femmes (2017) pour établir 4 types de femmes engagées dans le djihad. Quant à Cindy Duhamel et Alexandre Ledrait (2017, p. 430) dans un point de vue de psychologie clinique, ils s’interrogent sur l’adolescence djihadiste au féminin et affirment que « la radicalisation et le projet du djihad viennent en écran à la question du pubertaire ». Cet engagement serait « l’une des solutions défensives qui permettrait l’économie du travail psychique lié à cette période de développement » (ibid.).

Dans un autre contexte idéologique, Stéphane François (2017) constate également une féminisation récente des jeunes skinheads dans l’Aisne, sans être en mesure d’en fournir pour le moment une explication. Il en est de même au Québec : Simon Tanner et Aurélie Campana (2014) n’ont interrogé que des hommes du milieu skinhead et appartenant à d’autres groupes d’extrême droite, mais ils constatent que les femmes semblent être très actives dans certains groupes, bien qu'elles y soient minoritaires. Leur engagement mériterait néanmoins d'être analysé. Des travaux américains notamment ceux de Kathleen Blee (2005) ont pu montrer l’implication grandissante des femmes dans des groupes terroristes raciaux visant à établir une suprématie blanche aux États-Unis, du milieu du

XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Même si leur implication est plus souvent indirecte dans les actions

terroristes en tant que telles, ces femmes ont pour ces groupes à la fois une fonction de légitimation donnant un semblant de normalité, de cohésion et de soutien lors du passage en prison de militants.

Les adolescents radicalisés : nouvelle catégorie de jeunes pris en

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