En effet, on note dans les quartiers d’habitat non réglementaire l’empressement que la population éprouve de construire une mosquée, souvent à la hâte et sans autorisation préalable. La présence d’une mos-‐
quée au milieu d’un habitat illégal crée du coup un espace sacré (horm) censé le protéger. Souvent les autorités sont prises de court devant le fait accompli et les spéculateurs sur les terrains trouvent au contraire l’occasion idoine pour multiplier les lotissements clandestins. Et l’on a pu écrire, non sans ironie, que l’habitat non réglementaire s’étire à l’ombre des minarets.
« Ce n’est donc pas par hasard qu’avec l’aggravation des conditions de vie dans les villes aux périphéries étendues et sous-‐équipées, on voit les populations prendre l’initiative de construire des mosquées même dans les bidonvilles les plus misérables... Il s’agit d’un mouvement impétueux et irréversible qu’on ob-‐
serve partout au Maghreb et dans des villes de toutes dimensions » (14).
Il n’est pas étonnant que nombre de recherches indiquent que le secteur de l’habitat populaire périphérique offre un champ favorable à la pénétration de diverses influences religieuses et politiques. Et c’est cette perméabilité, conju-‐
guée à une structure spatiale où la mosquée offre un point d’appui, qui a permis au mouvement islamiste de s’implanter dans plusieurs villes maghrébines.
« C’est dans les villes et plus particulièrement dans les quartiers à forte con-‐
centration de population modeste que l’on note l’ancrage urbain de l’islam et que s’installe, s’organise et se propage la contestation islamiste avec pour objectif l’exercice du droit de regard sur la cité » (Driss 2005).
Et encore :
« Il y a une correspondance entre un mode de production d’habitat et le mou-‐
vement islamiste. Ce dernier s’insère parmi les couches urbaines d’origine néo-‐
citadine et parmi les exclus de la ville et qui ont une conscience aiguë de leurs aspirations à des conditions de vie meilleures » (Naciri 1985).
Et enfin :
« Nous insisterons ici sur l’enjeu de la mosquée dans les territoires en cons-‐ architecture entre rapports sociaux et hiérarchies spatiales. Des institutions reli-‐
gieuses comme les AWQAF (fondations pieuses) permettaient d’assurer la ges-‐
tion de la cité en même temps qu’elles organisaient la solidarité et la redistribu-‐ du vendredi par contre rassemblait les habitants de plusieurs quartiers, c’est-‐à-‐
dire de toute une partie de la cité ou de sa totalité, selon la taille de la ville en
Il faut se rendre à l’évidence et admettre que le Maghreb, à l’instar du reste du monde arabo-‐islamique, traverse aujourd’hui un moment historique de tur-‐
bulence, marqué par une haute tension entre l’idéal et le réel, l’archétype et l’actuel. La cité, haut lieu d’ordre et de vertu, est devenue au fil de transforma-‐
tions rapides et traumatisantes, un espace de désordre et d’iniquité. Un tel ren-‐
versement normatif interpelle aujourd’hui les métropoles du Maghreb (Hadj-‐Ali 1994).
Il faut faire preuve d’inventivité, car le temps presse et la violence qui éclate dans les villes en devenir – attestée à maintes reprises par des chercheurs appar-‐
tenant à des horizons divers – est manifeste et risque de devenir chronique et d’entraîner des conséquences incontrôlables, en ce qu’elle pourrait à terme re-‐
mettre en cause un avenir de progrès pour cette région du monde.
« Ce qui est remarquable dans la civilisation islamique, c’est le fait que le sacré imprègne les rapports du religieux et du politique. Et à chaque fois que la syn-‐
thèse est rompue entre les éléments qui composent ce système, le désordre s’installe » (Ansary 2003).
L’Algérie nous a offert un exemple tragique de l’illustration de cette remarque:
« ...Progressivement la mosquée est devenue un lieu stratégique dans le pro-‐
cessus de la violence urbaine qui ne cesse de se répandre... Des groupuscules se disputent la mainmise sur les mêmes espaces (Oct 1988) ; lorsque les jeunes des quartiers s’opposent, ils le font à partir des mosquées. C’est parce que celles-‐ci ne tardent pas à devenir un magasin-‐arsenal et le siège même de la violence. En mai 1991, les quartiers de Kouba et Belcourt à Alger livrent bataille au quartier de Bachjarah. Et l’enjeu est le contrôle d’une mosquée » (Moussaoui 1994).
Et le même chercheur d’ajouter:
« Notons que cette violence socialisée se déploie à partir de foyers privilégiés, qui sont les quartiers mal intégrés des grandes villes, fruits de l’exode rural et de la démographie galopante. Les aspirations déçues de ceux qui y habitent pour-‐
raient expliquer en partie l’intensité de leur haine vis-‐à-‐vis d’un pouvoir cou-‐
pable de promesses non tenues et d’iniquité » (Moussaoui 1998 : 255).9
Il est clair que le doute n’est plus permis. Le temps de l’imagination créatrice a sonné, pour restaurer ce qui a été disloqué afin d’offrir un avenir de renais-‐
sance à des peuples dont l’histoire a pendant longtemps renoncé à aller de l’avant.
9 Voir aussi Moussaoui 1998a.
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