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Mondialisation: un contexte favorable aux membres hautement qualifiés

Partie III. Retour ou éloignement? Vingt-cinq ans d’incertitude

I. L'élite diasporique mauritanienne sous une optique transnationale

2. Mondialisation: un contexte favorable aux membres hautement qualifiés

a. Internet et NTICs

L'avènement de l'Internet et des NTICs dans les années 1990, coïncide avec les expulsions, l’émigration, et l'exil des individus qui composent la majorité de la diaspora mauritanienne politisée. L’Internet devient une plateforme privilégiée de communication et de discussion; un lieu de rencontre virtuel et de débats passionnés, où se fait une relecture constante de l'histoire de la Mauritanie. Par exemple, le rappel des faits majeurs en rapport avec les “Événements”, ce qui ne manque pas de raviver des sentiments qui n'ont pas été traités adéquatement sur le plan émotionnel (N'Gaidé 2013, 715).

Selon N’Gaidé, l’Internet est un outil tangible pour la diaspora, en tant qu’acteurs politiques et sociaux incontournables, car ils font valoir leurs opinions politiques dans un contexte mondial aux frontières floues: “[les forums] forment avec d'autres forces l'ossature d'une société civile exilée et constituent des supports pour les partis politiques et les différents mouvements à l'extérieur et à l'intérieur du pays” (N'Gaidé 2013, 727). Ce phénomène d'hyper- connectivité de la diaspora invisible mais présente, est nuisible au point que l'État mauritanien tente en vain de rehausser son image extérieure qui est véhiculée, négativement et précisément, par ses propres ressortissants. Sur le plan interne, face au manque de volonté d'être tenu responsable pour les maux du pays, l'État se résout à bloquer cet afflux d’information, et à défaut, de resserrer le contrôle sur les autres sources d'information (N'Gaidé 2013, 708). De fait, “la censure des journaux étouff[e] l'information avant qu'elle puisse se diffuser sur la scène nationale et internationale. Mais l'Internet a permis de diffuser des informations inédites, de contrecarrer les actions du gouvernement et/ou de relativiser les informations officielles" (N'Gaidé 2013, 724). L’Internet et les NTICs sont donc des moyens à la disposition des émigrants qui leur permettent s’organiser, de se mobiliser, et faire pression sur l'État malgré la distance. Dans ce contexte de mondialisation, ils ont la possibilité d’agir comme acteurs non- étatiques de poids égal à l'État, en ce qui concerne la circulation d’information. Nous pouvons nuancer ces propos par le fait que l’Internet garantit aussi une forme d’anonymat qui sied à la

tenue de blogues d’ “opposition électronique”, soit l’expression et la diffusion d'opinions consolidés, qui sont amplement disponibles. Par la participation active sur ces plateformes, on démontre une catégorie d’opposants infatigables et acharnés, parfois sans égard à la témérité de leurs actions ou à l’imprudence de leur propos. C’est précisément cet anonymat qui leur permet d’utiliser des mots acerbes et un discours démesuré, ce qui est contraire à la formation de critiques constructives.

Enfin, au-delà de l'épaulement de l'identité de cyber-opposant, ce sont les flux d'information qui sont intéressantes, dans ces forums de discussion. L’Internet favorise la création puis le maintien des liens sociaux, communautaires, et identitaires; soit, il permet de renforcer le sentiment d'appartenance des individus issus de la diaspora à un groupe. Dans une optique transnationale, l’utilisation de cette interface améliore (en théorie) les relations entre Mauritaniens de la société d’origine et les membres de la diaspora. De fait, non seulement la dimension temps et espace n’est plus un obstacle à la communication, mais un lien solide se crée suite à un échange d’informations.

b. Compétences nationales au service du développement de la Mauritanie

Le contexte de mondialisation permet aux cadres hautement qualifiés de mettre à la disposition de leurs correspondants locaux la totalité d’un réseau professionnel et social international dense, développé au fil du temps. En multipliant les liens entre acteurs internationaux et nationaux, ils sont souvent les instigateurs de projets commerciaux ou axés sur le développement, en Mauritanie. La promotion de la coopération par les cerveaux confirme une fois de plus, le fait que différentes formes de retour sont possibles; un retour qui ne requiert pas obligatoirement leur présence physique, imminente et définitive dans la société d’origine. De fait, selon la théorie économique, la concurrence dans le marché du travail international devrait permettre la libre circulation de l’information “parfaite” (acquise à moindre cout et immédiate), du savoir et des compétences. Au détriment de tous, la création et le maintien de ces réseaux n'ont pas été encouragés par les autorités mauritaniennes, pour créer un pont entre la diaspora et la société d’origine. Néanmoins, le transfert de compétences de manière fluide et efficace est le

mandat de certains individus (ou groupe d’individus), comme les membres du Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME).

Crée en 2006, le CCME “agit par l'assistance en matière de conseil technique, l'aide à la mobilisation des ressources et la participation active de ses experts dans le but d'accompagner les efforts des Mauritaniens à lutter contre la pauvreté et pour prétendre au développement économique et social”. Il comporte plus ou moins 300 membres, dont des “économistes, médecins, ingénieurs, professeurs d'université, chercheurs et autres domaines d'expertises”. Ces membres ont pour objectifs de “stimuler l'échange d'informations avec les organisations gouvernementales, politiques et de la société civile engagées dans le développement de la Mauritanie pour l'épanouissement des populations et la défense de leurs droits fondamentaux”; de “contribuer efficacement au rapprochement de la diaspora mauritanienne avec le pays d'origine et mettre en relief les atouts et les réalisations de la diaspora mauritanienne”; et enfin de “participer aux activités et instances de niveau local et international dont les objectifs sont en adéquation avec les objectifs du CCME" (Site Web CCME).

Les mesures pro-actives avancées par ce groupe prouvent qu'il est possible de travailler discrètement en tant qu’acteurs de développement, tout en sachant qu’ils doivent contourner les difficultés issues de la relation tendue avec l'État, de même que de se tenir à leur vocation “apolitique et indépendante”. Leur capacité d’influencer les acteurs locaux en s’appuyant sur un stock de crédibilité sociale, et en fusionnant leurs compétences multidisciplinaires, leur a permis de mener à bien plusieurs projets. Ceci inclut la réhabilitation de l'École 1 de Rosso en 2014, un établissement d’enseignement qui date de la période coloniale, en partenariat avec les fondations Hoffman et FIBA. Les membres du CCME ont étés actifs dans toutes les étapes de ce processus, allant de l'étude de faisabilité à la levée de fonds propres de 53 millions d'Ouguiyas (approximativement 150 000 USD). Certains membres se sont impliqués directement dans le lancement et le suivi des travaux, jusqu'à la remise des clés de l'École 1 au maire de la ville, en temps voulu (CCME 2014). La seule motivation exprimée par les membres du CCME a été de contribuer au “développement économique et social” du pays, et de réhabiliter une école qui, curieusement, a été le lieu de la formation primaire d'une génération de cadres mauritaniens proéminents, expatriés ou non.

Ce genre de succès à petite échelle, démontre que le fait de “promouvoir et renforcer la fraternité, l'entraide et la solidarité de ses membres” crée une synergie, et que les associations de la diaspora (ici hautement qualifiées) sont des forces à ne pas sous-estimer, malgré leur nombre modeste. Le CCME permet de mettre un peu de lumière, non pas sur l'identité de ces membres (aucune information n’est publiquement disponible à ce propos sur le site web), mais sur le profil, les motivations et la capacité financière de ces individus. Par exemple, dans le cas de la Mauritanie, nous pouvons réfuter l’hypothèse de Faini (2007) selon laquelle le salaire élevé des émigrants qualifiés impacte négativement les transferts de fonds, à cause de la probabilité élevée qu’ils ont eu recours au regroupement familial. Les cadres de ce Collectif constituent un contre- exemple, car ils sont prêts à disposer de leur temps, leur revenu et leurs compétences sans profiter directement du résultat. Le surplus social (ou bien-être) généré par les projets de ce genre est avantageux pour la famille éloignée, les habitants de leur ville d'origine ou dans ce cas, pour une nouvelle génération d’élèves. Ces actions comportent une dimension altruiste qui confond une fois de plus les fondements de la théorie néoclassique, selon laquelle les individus sont des êtres au comportement rationnel et prévisible.