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Caractéristiques de la diaspora mauritanienne

PARTIE II: La crise de la diaspora

I. Formation de la diaspora mauritanienne

3. Caractéristiques de la diaspora mauritanienne

a. Emigrés mauritaniens, partie intégrante de la diaspora africaine.

Diaspora vient du mot grec diaspeirein qui veut dire disperser; soit, il évoque la dispersion d'individus qui ont un trait commun (tel qu’une histoire, un pays d’origine) à travers le monde. Dans le cadre de ce travail de recherche qui privilégie une optique transnationale, nous allons avancer deux autres définitions. Selon l’OIM, la diaspora inclut “les émigrants et leur descendance qui vivent hors de leur pays natal ou du pays de leurs parents, sur une base temporaire ou permanente, tout en conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d’origine” (2013, 1). De même, l'Union Africaine stipule que “la Diaspora Africaine se compose des peuples d'origine africaine vivant en dehors du continent, indépendamment de leur

nationalité et de leur citoyenneté et qui sont disposés à contribuer au développement du continent et à la construction de l'Union africaine” (BAD 2011, 1).

En ce qui concerne la diaspora africaine dans son ensemble, les membres partagent certains points communs, tels que le choix du pays des anciens colonisateurs en tant que destination d’émigration privilégiée, les difficultés d’insertion dans la société d’accueil, les transferts de fonds effectués envers la société d’origine, etc… Mais enfin, malgré leurs différences d'origines et de destinations, les Africains ne se distinguent pas des autres immigrants du monde entier quand il s'agit des raisons, et des motivations qui poussent un individu à migrer. De fait, ce mouvement de population peut être généralement justifié par la recherche d'une meilleure situation future, donc une amélioration de la situation économique, qui commence généralement par la recherche d'emploi. Dans la société d’accueil, une attention particulière est accordée au migrant africain, et à certaines catégories de migrants, comme les réfugiés, les individus en situation irrégulière, ou ceux occupant un emploi précaire. Pourtant, les faits montrent que les profils socio-économiques des immigrants sont multiples et que leurs trajets dans l'Afrique et dans le monde sont complexes (Bredeloup 2009): il est estimé que 20 000 étudiants, travailleurs qualifiés, cadres, etc… quittent l'Afrique chaque année (Vérez 2009). Ce sont des cerveaux dont la “fuite” de leur société d’origine à le potentiel de servir à la société d’accueil, qui bénéficie de leurs compétences.

Enfin, nous pouvons voir qu’au-delà du phénomène de dispersion hors d’un territoire national ou d’un continent, dont les membres ne sont que trop conscients, le maintien de liens d'intensité variable, de nature politique, religieuse, économique, culturelle et affective est inhérent au concept de diaspora. Outre mesure, le maintien de ces liens, le rappel constant de l’événement déclencheur (tel que le conflit de 1989), l’élaboration inlassable de projets liés au retour a la possibilité d’exacerber un sentiment d’aliénation envers la société d’accueil, quel que soit le niveau d’intégration dans celle-ci. La perception du concept de diaspora peut varier pour chacun de ces membres, qui peuvent s’identifier à un construit politique, historique, symbolique à des degrés différents; cette hétérogénéité peut avoir un effet sur le niveau de mobilisation individuel et collectif des membres de la diaspora, en ce qui concerne les enjeux des mauritaniens à l’étranger. Ainsi, il n’est pas surprenant que N’Gaidé évoque la “pluralité de la

diaspora mauritanienne”; les statuts juridiques différents des individus, les modalités de leur départ de la société d’origine, leur situation dans la société d’accueil… tout ceci affecte la composition du stock d’émigrés. Que se soit la léthargie de l'économie et du marché de l’emploi mauritanien, ou l’activisme politique et les persécutions qui s’en suivent, tous ces éléments ont contribué à créer une diaspora mauritanienne diverse et multi-ethnique. Des liens sociaux et de solidarité étroits se tissent entre ces membres, qui partagent certaines valeurs communes; tout ceci favorise leur sentiment d’appartenance à la même société d’origine, au-delà de la dimension ethnique. Dès lors, il est intéressant de voir que ce sont les individus qui demeurent au dehors des frontières nationales de la Mauritanie qui aspirent et oeuvrent le plus afin d’atteindre l'unité nationale du pays.

b. Diaspora et Mauritanie: un lien affectif unilatéral?

Selon nos observations, le degré d’attachement des membres de la diaspora envers la Mauritanie est persistant, profond et unilatéral. Le besoin de proximité ou de contact envers les acteurs de la société d’origine est vivement et constamment exprimé; la question du retour définitif est le sujet de tergiversations perpétuelles; les sentiments de nostalgie et de mélancolie ne diminuent pas avec le temps. Au contraire, les raisons du départ, qu’il ait été conditionné par les “Événements” ou motivé par d’autres facteurs, sont ruminés, ressassés, revisités. Ce lien affectif est relativement constant, en dépit de la relation assez ambivalente entre les membres de la diaspora et certains acteurs de la société d’accueil, tel que nous allons élaborer ultérieurement. L’attitude hostile de l'État mauritanien envers la diaspora, qui s’est exacerbé dans les décennies suivant les “Événements”, n’a pas manqué d’influencer la manière dont ils sont perçus par les différents acteurs de la société d’origine (issus du réseau familial, social, professionnel et académique).

D’une part, nous soulignons que c’est précisément à cause des défaillances de l’État, quand il s’agit de la protection et du bien-être de ses citoyens, que les membres de la diaspora se raccrochent à leur citoyenneté, qu’ils défendent leur droits à tout prix, et qu’ils maintiennent des liens divers avec les acteurs non-étatiques de la société d’origine. À cela s’ajoute la perception que leur identité est menacée par le simple fait de résider hors des frontières nationales de la

Mauritanie. Afin d’atténuer les effets néfastes de longues étendues de temps sans retour, il semble primordial pour les membres de la diaspora de continuer à s’identifier comme faisant partie intégrante de la Mauritanie, et de maintenir de liens de toutes nature, quoique non satisfaisants et souvent unidirectionnels.

D’autre part, nous avançons que cet attachement tenace provient, possiblement, des débris de ferveurs nationalistes qui ont été recyclées, réorientés, réajustés en des sentiments patriotiques durant les périodes de séparation involontaire avec la Mauritanie. Si nous sommes dans l'impossibilité de mesurer ce dévouement, il est évident qu’il reste une force motrice impérieuse qui influence la majorité des actions menées par les membres de la diaspora. Les transferts de fonds sont délimités dans le cadre du patriotisme économique, selon la définition de Delaite et Poirot:

De fait, nous allons voir que certaines actions d’investissement sont entreprises sans égard pour le profit, ou le rendement espéré; et que plus le revenu de l’investisseur est élevé, plus ses actions recèlent un caractère altruiste, comme s’il s’agissait de diminuer une dette symbolique envers le pays d’origine. Par ailleurs, notons que ce désintéressement n’est pas toujours aussi évident au sein des membres de la deuxième ou troisième génération, issue de la diaspora mauritanienne.