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La diaspora vue par la société d’origine

PARTIE II: La crise de la diaspora

II. La communauté diasporique mauritanienne face à ses défis

2. La diaspora vue par la société d’origine

a. Conséquences imprévues de l’exil ou de l’émigration

Quelles que soient les raisons qui ont poussé un individu à quitter la société d’origine, nous observons une rupture entre les résultats anticipés ou espérés de cet événement, et les conséquences imprévues qui en découlent, soient-elles positives ou négatives. Une situation qui a certainement affecté la première génération de la diaspora mauritanienne, avec moins d’expérience de migration dans un contexte de mondialisation accrue.

En effet, la majorité des membres de la diaspora qui nous intéresse dans cette étude, a quitté leur pays entre 1986 et 1992, quoique la durée moyenne du séjour à l’étranger varie selon les profils; une biographie rétrospective de ces individus aurait l’intérêt de faire ressortir les événements marquants ainsi que les caractéristiques de leurs différentes trajectoires. Un point commun majeur qu’ils partagent est le fait qu’ils surveillent de près la situation en Mauritanie, pour reconnaître les opportunités élusives de retour. En considérant que la seule constante dans la situation politique, économique et sociale de la Mauritanie est le fait qu’elle ne s’améliore pas, les uns, au comble de l’impatience et de l’exaspération décident de rentrer malgré tout. Les autres repoussent toujours le retour à une date ultérieure, et se cristallisent ainsi dans cet éloignement pour un nombre de temps qui n'a clairement pas été prévu.

En contrepartie, cet éloignement est paradoxalement une forme de liberté individuelle (ainsi que d’anonymat, hors de la Mauritanie) quoiqu’acquise à un coût élevé, car elle distance la diaspora du collectif. Étant donné que le temps est un facteur d'importance en ce qui concerne l'attachement, il s’en suit le risque crédible d’observer une aliénation subtile mais progressive par rapport aux enjeux du pays d’origine, ainsi qu’une réduction des opportunités d'influence de la diaspora. Ceci concerne surtout les membres de la diaspora issus de la deuxième génération, qui sont nés ou ont vécu une grande majorité de leur vie à l’étranger. Au grand dam de leurs parents, ils sont plus susceptibles à être sujet à un certain degré de désolidarisation, surtout s’ils observent les liens assez unidirectionnels que les premiers entretiennent avec les acteurs de la société d’origine.

La crispation des relations entre la société d’origine et les membres de la diaspora n’est pas seulement d’ordre temporelle. Malgré le volume et le flux d'interactions rendu possible par le développement et l’accessibilité des NTICs, la distance creuse un fossé idéologique entre ces acteurs, qui à son tour engendre un dialogue de sourd. C'est donc sans vraiment comprendre les difficultés réelles de l'émigration et de la problématique du retour, que les membres de la diaspora sont tantôt admonestés par leur entourage de mettre fin à un exil futile, tantôt dissuadés par l’attitude négligente des autorités étatiques. Un défaut de communication active entre tous ces acteurs résulte en l’isolement accru de la diaspora, de même qu’une impossibilité de se défendre contre les préjugés perpétués depuis des décennies par un régime notoirement soucieux de son image (Ould Ahmed Salem 2010, 11). Par exemple, les membres de la diaspora sont implicitement accusés de “lâchage”, soit de marquer intentionnellement une distance. Une source de rancoeurs, cet abandon est particulièrement ressenti par les acteurs de la société d’origine quand la situation économique, sociale, politique du pays d’origine laisse à désirer (Messamad 2012, 65). De plus, l'image de la diaspora en tant qu’opposants ou de perturbateurs semble se confirmer à leurs yeux: ces derniers arrivent souvent à susciter une agitation dans les frontières nationales (par leurs appels à la mobilisation), sans en subir directement les conséquences en vivant en dehors de celles-ci.

b. Nature et fréquence du contact entre la diaspora et les acteurs de la société d’origine

Un des moyens de communication préférés des membres de la diaspora envers les représentants de l'État sont les lettres ouvertes. Ces missives sont envoyées directement aux autorités concernées par le biais des représentations diplomatiques, des organisations internationalement reconnues (tels que Amnesty International et la FIDH); sinon, elles sont publiées dans les journaux locaux ou internationaux, de même que sur les sites populaires d'actualités (comme cridem.org). La radio (privée) reste un autre moyen utile dans la transmission de leurs messages. Ces activités soulignent le fait que la diaspora suit de près la situation en Mauritanie, qu’elle cherche à faire valoir son opinion publiquement; à susciter et à faire part d’un dialogue sur une multitude des sujets d’intérêts; et à lutter contre leur

marginalisation en tant qu’acteurs de la société civile extra-nationale. Enfin, puisque les membres de la diaspora se retrouvent toujours sans représentants officiels, ils établissent des liens avec les députés, les sénateurs et autres élus en Mauritanie, dont les plus attentifs se trouvent souvent dans l’opposition; ces derniers soulèvent les questions qui les intéressent, tel que par procuration (Mohamed-Saleh 2009, 13).

Au-delà du lien politique, le fait de maintenir des liens avec famille, amis, et anciens collègues est primordial et fait l’objet d’un effort constant. Ces derniers ont le potentiel supérieur d’être des intermédiaires entre les membres de la diaspora et la société d’origine, car ils sont une source d’information précieuse et diversifiée, de même qu’un réseau sur lequel se baser en cas de retour ponctuel ou définitif. S’il est évident que les NTICs permettent d’établir des contacts, de même que la diffusion rapide de l’information, nous pouvons nous demander si le manque de coordination de la diaspora, visible dans la pluralité des moyens utilisés et des messages envoyés, reste le moyen le plus efficace de combler un fossé idéologique entre tous ces acteurs, et d’établir un rapport solide fondé sur la confiance.

c. Enjeux liés au marché de l’emploi

Le lien entre l’emploi et l’intégration sociale est positivement corrélé; en Mauritanie, depuis la fin de la colonisation, le statut social privilégié que confère un emploi “moderne” est l’objet d’une constante compétition. Si, selon Ould Ahmed Salem, le taux de chômage s'explique en partie “par l'incapacité de l'économie à absorber les candidats potentiels à l’emploi”, il n’est pas surprenant que les étudiants, par exemple, dans une position peu enviable à l’aube de leur carrière sont allés chercher des opportunités à l’extérieur des frontières nationales. Certains membres de la diaspora font partie de la première génération d’étudiants a qui ont étés octroyés des bourses, et “dont la formation a coûté les yeux de la tête au contribuable mauritanien”; de par leur éloignement ils font incessamment face à la rhétorique qu'ils ont une dette envers leur pays, qu'il est de leur devoir de mettre leur compétences à son service (Ould Ahmed Salem 2010, 3, 8). Néanmoins, ceux qui ont tenté le retour rencontrent des difficultés liées à une inexistence de dispositifs d'aide au retour ou d’autres conditions favorables à la rétention des cerveaux. Certains se retrouvent même dans une position déconcertante qui consiste à justifier leur longue absence,

d’exposer les motivations “réelles” de leur retour, et de subir des doutes sur leur nationalité. Une forme d’exclusion sociale subtile, tous ces éléments contribuent à miner leurs aspirations en ce qui concerne les postes de haut niveau, ce qui à son tour exacerbe le sentiment de non appartenance, et motive à nouveau le départ des cerveaux.

Ce paradoxe s’illustre parfaitement dans la réticence des entreprises et des individus à accueillir les membres qualifiés de la diaspora dans le marché du travail, car “très peu d'entreprises par exemple, sauf dans des cas exceptionnels, iraient chercher dans la communauté immigrée qualifiée, des compétences spécifiques et pour elles-mêmes” (Ould Ahmed Salem 2010, 5); de plus, “les nominations à des fonctions publiques a été mise au second plan des critères de qualification neutres et impersonnels” (Ould Ahmed Salem 2010, 5). En d'autres termes, les détenteurs de postes acquis sur des bases autres que la qualification voient avec appréhension le retour de ceux qui ont acquis de l’expérience à l’étranger, dans le contexte d’un marché de l’emploi déficitaire, en demande de main d’oeuvre qualifiée. En plus, ces individus ont tendance à bouleverser un environnement de travail statique, de par leurs compétences et leurs méthodes de travail acquises dans un contexte différent. Selon nos observations sur le terrain, l’hostilité qui en résulte est à peine dissimulée.