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I. Organisation anatomo-fonctionnelle du système olfactif

2.4. Les nouveaux neurones, acteurs privilégiés de la plasticité fonctionnelle du bulbe olfactif ?

2.4.1. Modulation de la neurogenèse par l’entrée sensorielle

La survie des neurones néoformés dans le BO est fortement régulée par l’expérience sensorielle. En effet, la réduction de la stimulation olfactive (Yamaguchi and Mori, 2005; Mandairon et al., 2006b), l’enrichissement olfactif (Rochefort et al., 2002) ou encore certains apprentissages olfactifs (Alonso et al., 2006; Mandairon et al., 2006e; Mouret et al., 2008; Moreno et al., 2009; Sultan et al., 2010) modulent la neurogenèse indiquant un lien étroit entre activité du réseau et survie des neurones néoformés.

2.4.1.1. Effet de la privation olfactive

La privation sensorielle par occlusion d’une narine réduit le nombre de neurones néoformés âgés de 15 à 30 jours (Yamaguchi and Mori, 2005; Mandairon et al., 2006b) et limite le détachement des neuroblastes de leur chaîne de migration en diminuant l’expression de la Tenacin-R (Saghatelyan et al., 2004). La privation sensorielle olfactive diminue aussi le nombre d’épines dendritiques portées par les nouveaux neurones (Kelsch et al., 2009). Enfin, l’activité sensorielle aurait un rôle majeur sur le développement et l’expression de phénotypes dopaminergiques et GABAergiques des interneurones périglomérulaires (Bastien-Dionne et al., 2010).

2.4.1.2. Effet de l’enrichissement olfactif Enrichissement et mémoire olfactive à court terme

L’enrichissement olfactif, selon le protocole qui consiste en une exposition quotidienne à une odeur nouvelle pendant 40 jours induit une augmentation du nombre de nouveaux neurones dans le BO (Rochefort et al., 2002). L’enrichissement n’ayant aucun effet sur le taux de prolifération dans la ZSV, l’augmentation de la neurogenèse est attribuée à une augmentation de la survie des neurones néoformés. Cette augmentation de neurogenèse s’accompagne d’une amélioration des performances de mémoire à court terme. Les effets de l’enrichissement olfactif sur la neurogenèse et sur les performances de mémoire sont spécifiques de la sphère olfactive puisque l’enrichissement olfactif ne modifie pas le taux de neurogenèse hippocampique, et n’induit aucune amélioration des performances de mémoire spatiale. Inversement, l’enrichissement environnemental classiquement pratiqué pour stimuler la neurogenèse et la plasticité fonctionnelle dans l’hippocampe est sans effet sur la neurogenèse bulbaire (Brown et al., 2003). L’augmentation de survie des nouveaux neurones induite par enrichissement olfactif est temporaire : 30 jours après la fin de l’enrichissement, la densité de cellules néoformées et les performances de mémoire retrouvent leur niveau basal (Rochefort and Lledo, 2005).

L’amélioration de la survie des nouveaux neurones bulbaires et des performances olfactives passerait par une activation du système noradrénergique, en lien avec la nouveauté des stimulations quotidiennes (Veyrac et al., 2009). En effet, les conséquences bénéfiques de l’enrichissement sur la neurogenèse et les performances mnésiques ne s’observent que lorsque l’on expose quotidiennement les animaux à une nouvelle odeur, et non lorsque les animaux sont exposés à un même lot d’odeurs chaque jour. Seule la nouveauté des stimulations journalières entraînerait une libération accrue de NA dans le BO. Cette hypothèse est confirmée par l’augmentation du taux de NA bulbaire observée au terme de la période d’enrichissement, et le blocage des effets mnésique et neurogénique de l’enrichissement par l’administration pendant l’enrichissement d’un antagoniste mixte des récepteurs noradrénergiques Į 1 et ȕ.

Enrichissement et discrimination (apprentissage perceptif)

Un enrichissement d’une durée de 10 jours par deux odeurs proches sur le plan perceptif et non discriminées spontanément permet de les discriminer, grâce à des mécanismes de plasticité siégeant dans le BO (Mandairon et al., 2006c; Mandairon et al., 2006a). Cette augmentation des performances de discrimination représente un apprentissage perceptif qui intervient suite à la stimulation sensorielle, sans renforcement. L’apprentissage perceptif

cohérente, on observe aussi une augmentation de l’inhibition bulbaire qui serait à l’origine de l’amélioration des performances de discrimination (Moreno et al., 2009).

2.4.1.3. Effet de l’apprentissage associatif

Chez la souris, le paradigme le plus communément utilisé dans le contexte de l’étude de la neurogenèse est l’apprentissage d’une association entre une odeur et une récompense alimentaire. L’apprentissage associatif module de manière importante la neurogenèse bulbaire en modifiant le taux de survie des neurones granulaires néoformés (Alonso et al., 2006; Mandairon et al., 2006e; Mouret et al., 2008; Valley et al., 2009; Sultan et al., 2010). L’effet bénéfique de l’apprentissage est soumis à une période critique. La survie des neurones âgés de 15 à 30 jours est augmentée lors de l’apprentissage, selon une distribution au sein de la couche granulaire qui est spécifique de l’odeur apprise (Sultan et al., 2010), tandis que les neurones de plus de 30 jours voient leur survie réduite (Mandairon et al., 2006e; Mouret et al., 2008). De plus, les néoneurones sont sollicités au moment du rappel de la tâche, tant que l’animal montre de bonnes performances de rétention de la tâche (Sultan et al., 2010). Ces données suggèrent fortement que les nouveaux neurones contribuent aux réseaux qui sous-tendent la mémoire à long terme de l’association odeur/récompense.

2.4.2. Blocage de la neurogenèse et perception olfactive

Pour étudier plus directement le rôle des néo-neurones dans la perception olfactive, plusieurs études ont testé l’effet d’un blocage de la neurogenèse sur la fonction olfactive.

Un traitement de la ZSV par la cytosine arabinoside (AraC), un antimitotique qui permet de bloquer l’apport en nouveaux neurones bulbaires pendant l’apprentissage associatif, produit une altération de la rétention à long terme de la tâche associative, sans altération de son acquisition (Sultan et al., 2010). Des résultats allant dans le même sens ont été obtenus après réduction de la neurogenèse par irradiation (Lazarini et al., 2009). Une approche transgénique récemment développée permet d’induire la mort des cellules souches chez la souris (Imayoshi et al., 2008). Contrairement aux résultats obtenus après antimitotique ou irradiation, la suppression définitive de la neurogenèse dans ce modèle n’induit aucun déficit olfactif de discrimination, d’association ou de rétention. La mise en place de mécanismes compensatoires à long terme permettant le rétablissement d’une perception olfactive proche de la normale ne peut pas être exclue dans ce modèle. Enfin, une dernière étude ne reporte aucun effet du blocage par AraC de la neurogenèse sur la discrimination ou la mémoire olfactive à long terme, mais seulement sur la mémoire de reconnaissance à court terme (Breton-Provencher et al., 2009). Ces contradictions pourraient s’expliquer par des différences

dans les modalités des tests comportementaux dans le mode de suppression de la neurogenèse.

Dans un modèle transgénique de souris déficientes pour la NCAM, la neurogenèse est diminuée de 40% par défaut de migration des neuroblastes. Dans ce modèle, des altérations de performances de discrimination sont observées, sans qu’il n’y ait de troubles de mémoire de reconnaissance (Gheusi et al., 2000). En accord avec ces données, le blocage de la neurogenèse pendant l’apprentissage perceptif (enrichissement par paires d’odeurs proches) bloque l’amélioration de la discrimination, indiquant que les nouveaux neurones bulbaires sont responsables de l’amélioration des performances de discrimination lors de l’apprentissage olfactif perceptif (Moreno et al., 2009).

Le rôle des nouveaux neurones n’est donc pour le moment pas complètement établi. Ceux-ci pourraient intervenir dans la rétention de certaines tâches associatives, dans l’acquisition de l’apprentissage perceptif, dans la discrimination spontanée fine et la rétention olfactive à court-terme.

En résumé de cette première partie, nous pouvons conclure que le bulbe olfactif est une structure corticale relativement simple qui bénéficie d’une très grande plasticité en lien avec l’expérience sensorielle et la mise en mémoire de l’information olfactive, contrôlée par les systèmes neuromodulateurs. Ces éléments font du bulbe olfactif un modèle très intéressant pour l’étude des bases cellulaires et moléculaires de la perception. Nous avons choisi d’utiliser ce modèle pour étudier les altérations perceptives et certaines de ses bases cellulaires au cours du vieillissement normal ou pathologique. L’importance vitale du système olfactif chez les rongeurs, ainsi que les grandes similitudes dans son organisation et son fonctionnement avec le système olfactif chez l’homme, en font un modèle d’autant plus pertinent pour accéder aux mécanismes cellulaires et moléculaires des troubles liés au vieillissement.

Très prolixe sur les troubles olfactifs liés au vieillissement chez l’homme, la littérature reste très pauvre en ce qui concerne les mécanismes cellulaires sous-tendant le vieillissement olfactif, faute d’études expérimentales. Dans la suite de cette introduction, nous dressons un bilan des données disponibles chez l’homme en matière de vieillissement olfactif et les mettons en relation avec celles disponibles chez l’animal.

II. Vieillissement normal du système olfactif

1. Chez l’homme

1.1. Altérations fonctionnelles

Les troubles de l’olfaction liés à l’âge affectent les personnes atteintes de maladies neurodégénératives (voir chapitre IV) mais également les personnes âgées saines. Plus de 75% de la population de plus de 80 ans présente des signes d’altérations olfactives majeures (Boyce and Shone, 2006), dont environ 5 % d’anosmie (Landis et al., 2004) même si bien souvent, les sujets ne sont pas conscients de leurs troubles. Les troubles des sens chimiques altèrent le goût des aliments et la prise alimentaire (Hummel and Nordin, 2005), les statuts nutritionnels et immunitaires et peuvent conduire à une perte de poids. De plus, les altérations des sens chimiques placent les personnes âgées dans des situations à risque au vu de la difficulté à détecter des produits toxiques, avariés ou des fumées en cas d’incendie (Schiffman, 1997). Enfin, ces altérations peuvent entraîner des troubles de l’humeur, des syndromes dépressifs et peuvent conduire à un isolement social et à des troubles de l’hygiène. Les pertes sensorielles liées à l’âge altèrent donc la santé, l’autonomie et la qualité de vie en général.

Figure 12 : Fréquence de l’anosmie au cours du vieillissement. D’après (Landis et al., 2004).

Plus précisément, les déficits olfactifs liés à l’âge chez l’homme peuvent concerner les capacités de détection, d’identification, de mémoire et de discrimination, ainsi que les jugements hédonique, d’intensité, de familiarité, ou encore de comestibilité des odeurs.