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V. Bases cellulaires et moléculaires de la maladie d’Alzheimer : apport des modèles animaux

3. Apport des modèles animaux à la théorie amyloïde de la maladie d’Alzheimer

La découverte de mutations causales de la MA affectant le gène de l’APP ou de la préséniline qui contribue au clivage de l’APP, combinée à l’envahissement du cerveau par les plaques séniles ont conduit à l’idée selon laquelle le peptide ȕ amyloïde serait au cœur du processus pathogène. Les modèles animaux transgéniques reproduisant les dépôts amyloïdes et les déficits mnésiques observés dans la MA ont été largement étudiés dans le but de mieux comprendre l’origine et le rôle du peptide ȕ amyloïde, dans la physiologie et dans la pathologie.

Le peptide ȕ amyloïde peut être constitué de 36 à 43 amino-acides. Ces peptides résultent du clivage de l’APP, protéine transmembranaire ubiquiste concentrée au niveau des synapses neuronales. Le mécanisme de clivage de la protéine est bien connu et peut mettre en jeu deux voies distinctes (pour revue, (Chow et al., 2010)). La voie non amyloidogène consiste en un clivage de l’APP par l’secrétase qui libère la partie N-terminale de l’APP, la protéine Į-sAPP. Le fragment C-terminal résultant de ce clivage est la protéine CTF83 qui est ensuite clivée par la Ȗ-sécrétase libérant les fragments AICD50 (facteur de transcription) et P3. Le processus amyloïdogène est initié par la ȕ-sécrétase ou BACE (ȕ-site APP cleaving enzyme) qui clive l’APP au niveau N-terminal du domaine du peptide ȕ amyloïde. Ainsi, une protéine soluble ȕ-sAPP et un peptide C99 membranaire sont formés. Le segment CTF 99 est ensuite clivé par la Ȗ-sécrétase libérant le peptide ȕ amyloïde (Figure 21). Ce peptide s’agrège spontanément sous diverses formes qui coexistent : des oligomères de 2 à 6 peptides, des fibrilles (Jarrett et al., 1993; Bitan et al., 2003) et des feuilles qui constituent les fibres insolubles des plaques séniles (pour revue, (Querfurth and LaFerla, 2010)). L’activité neuronale module le métabolisme de l’APP : la stimulation de l’activité neuronale accroît la production de peptide ȕ amyloïde tandis que le blocage de l’activité neuronale produit les effets inverses (Kamenetz et al., 2003; Cirrito et al., 2005).

Les rôles de l’APP et des différents éléments résultant de son clivage ne sont pas bien connus mais font l’objet de recherche intense qui dépasse le propos de notre travail (pour une revue sur ces questions (Chow et al., 2010)).

Figure 21 : Schéma des voies amyloïdogènes et non amyloïdogènes d’après (Chow et al., 2010)).

Ext : milieu extracellulaire ; Cyt : cytosol ; DR6 : Death Receptor 6

3.2. Toxicité synaptique et cellulaire du peptide ȕ amyloïde

Des études récentes chez la souris puis confirmées chez l’homme montrent une corrélation robuste entre le niveau d’oligomères du peptide ȕ amyloïde et l’étendue des troubles cognitifs et des pertes synaptiques (Lue et al., 1999; McLean et al., 1999; Wang et al., 1999; Naslund et al., 2000; Klein et al., 2001; Caughey and Lansbury, 2003; Savonenko et al., 2005; Chiti and Dobson, 2006; Ferreira et al., 2007; Haass and Selkoe, 2007; LaFerla et al., 2007; Selkoe, 2008). Les formes de peptide ȕ amyloïde dimériques et trimériques sont les plus toxiques, induisant des dysfonctions cellulaires sévères (pour revue voir (Sakono and Zako,

2010)) altérant la plasticité synaptique (Klyubin et al., 2008; Selkoe, 2008) et plus particulièrement la LTP (Lambert et al., 1998; Kirkitadze et al., 2002; Walsh et al., 2005; Jacobsen et al., 2006; Lesne et al., 2006; Selkoe, 2008). Cette toxicité est variable suivant le type cellulaire (Kim et al., 2003), et la taille des oligomères (Ono et al., 2009).

L’augmentation synaptique d’oligomères de peptide ȕ amyloïde perturbe la transmission glutamatergique (Selkoe, 2002; Hsieh et al., 2006) et la LTP, en réduisant l’activation des récepteurs NMDA, favorisant les processus de dépression à long terme au détriment de la LTP (Selkoe, 2008). Ces altérations de la transmission glutamatergique proportionnelles à la concentration en peptide ȕ amyloïde et en oligomères, sont dans les premiers temps fluctuantes et très légères, et pourraient expliquer les altérations mnésiques très discrètes qui surviennent en tout début de maladie (Selkoe, 2002). Cette théorie synaptique de la MA rend bien compte du tableau clinique et de sa progression et permet de mieux comprendre la difficulté rencontrée pour corréler la densité en plaques séniles aux troubles cognitifs. Le critère pertinent serait donc plus la concentration en oligomères que les plaques qui reflèteraient plutôt le taux de peptide ȕ amyloïde neutralisé par son agrégation en fibrilles. Enfin, le peptide ȕ amyloïde pourrait contribuer à la mort cellulaire par différents mécanismes comme par exemple l’induction de radicaux libres, entrainant un accroissement du stress oxydatif cellulaire (Butterfield and Bush, 2004), l’inhibition de la respiration mitochondriale (Casley et al., 2002), la modification du transport du cholestérol (Yao and Papadopoulos, 2002) ou l’accroissement de l’influx de calcium (Lin et al., 2001).

A l’appui d’un rôle majeur voire causal de l’accumulation du peptide ȕ amyloïde, les traitements chez l’animal par vaccination anti-peptide ȕ amyloïde ou par l’injection d’anticorps monoclonaux anti-peptide ȕ amyloïde protègent des dépôts et limitent les pertes cognitives, voire les annulent (Dodart et al., 2002; Kotilinek et al., 2002; Morgan, 2006; Klyubin et al., 2008; Bach et al., 2009; Foster et al., 2009; Cribbs, 2010; Wang et al., 2010b). Les études menées chez l’animal semblent donc plutôt positives mais devront attendre confirmation de leur potentiel thérapeutique chez l’homme (pour revue voir (Wisniewski and Boutajangout, 2010).

3.3. Peptide ȕ amyloïde et neuroinflammation

La neuroinflammation s’observe essentiellement autour des plaques séniles ((Delacourte, 1990; Heneka et al., 2006; Zilka et al., 2006; Eikelenboom et al., 2008; Wisniewski and Boutajangout, 2010); pour revue (Heneka et al., 2010a)) et est associée à une surexpression

cellules microgliales phagocytent et dégradent le peptide ȕ amyloïde. Dans un second temps, l’activation chronique de ces cellules conduit à la libération de molécules pro-inflammatoires telles que les chémokines et de cytokines (Akiyama et al., 2000).

Des études in vitro ont montré que le peptide ȕ amyloïde induit l’expression de cytokines telles que l’IL-1ȕ, TNF-ȕ, et IL-6 également par les astrocytes (Gitter et al., 1995; Mehlhorn et al., 2000). Des injections intra-corticales de ȕ amyloïde induisent une réponse inflammatoire microgliale (iNOS et IL-1ȕ) et astrocytaire (Weldon et al., 1998; Heneka et al., 2002) et IL-6 est détectée dans les stades précoces de la formation de plaques séniles (Luterman et al., 2000; Mehlhorn et al., 2000). Or les cytokines pro-inflammatoires sécrétées par les cellules microgliales et les astrocytes en réponse à la présence de dépôts amyloïdes régulent à la baisse les gènes intervenant dans la clairance du peptide ȕ amyloïde, et favorisent son accumulation (Hickman et al., 2008). De plus, l’augmentation du taux de libération de certaines interleukines favorise la phosphorylation de la protéine Tau (Quintanilla et al., 2004). Ainsi, astrocytes et cellules microgliales participeraient non seulement à l’enrichissement en dépôts amyloïdes, mais également à l’accroissement du taux de protéine Tau hyper phosphorylée. Le processus inflammatoire contribuerait par ces actions à la dysfonction neuronale et à la mort cellulaire dans la MA (Akiyama et al., 2000).

3.4. La cascade amyloïde : révision de la théorie

La théorie de la cascade amyloïde domine actuellement les hypothèses sur l’origine et le développement de la MA. Elle est soutenue par les nombreuses données que nous venons d’exposer (Price and Sisodia, 1998; Hardy and Selkoe, 2002). Certaines données cependant s’intègrent mal ou sont peu prises en compte par cette théorie comme la présence de plaques séniles chez certains sujets sains (Villemagne et al., 2008), l’apparition relativement tardive des dépôts amyloïdes dans les stades de Braak, la meilleure corrélation des altérations cognitives avec les dégénérescences neurofibrillaires qu’avec les dépôts amyloïdes (Braak and Braak, 1998; Gosche et al., 2002; Giannakopoulos et al., 2003; Josephs et al., 2008), ainsi que certains essais thérapeutiques dirigés contre la protéine amyloïde aux résultats incertains ((Wisniewski and Boutajangout, 2010) pour revue). De plus la théorie amyloïde n’explique pas la susceptibilité des systèmes cholinergique et noradrénergique dans la MA. Ainsi, la théorie amyloïde proposée dans les années 90 (selon laquelle la production accrue et la diminution de la clairance du peptide ȕ amyloïde est la cause de la MA) a évolué (Pimplikar, 2009). Les formes insolubles de la protéine amyloïde ne seraient pas responsables de processus pathologiques (Caughey and Lansbury, 2003). Par contre les formes solubles du peptide ȕ amyloïde seraient des agents toxiques, les plaques représentant peut être une forme de stockage du peptide (Klein et al., 2001; Walsh and Selkoe, 2004; Glabe, 2005).

Enfin, le peptide ȕ amyloïde s’accumulerait d’abord en intracellulaire pour un effet toxique encore à élucider (Gouras et al., 2000; Knobloch et al., 2007; LaFerla et al., 2007) (Figure 22). Cette hypothèse est compatible avec les effets limités observés dans les thérapies immunologiques (Pimplikar, 2009).

Figure 22: La théorie amyloïde (schéma d’après (Querfurth and LaFerla, 2010)). L’hypothèse

amyloïde repose sur l’idée première selon laquelle le peptide Aȕ serait la première cause de la maladie d’Alzheimer. (1) La première proposition fut que la production accrue de Aȕ conduit à la formation de plaques, qui conduit à la maladie. Les observations de forme familiale de la maladie avec augmentation de formation de Aȕ 42 ont conduit à une seconde hypothèse (2) : L’accroissement de Aȕ 42 serait la cause pathogène de la MA. Une variation de cette hypothèse (3) propose que ce soit le ratio Aȕ 42/40 qui serait à prendre en compte, plutôt que la quantité absolue de Aȕ42. Enfin, les données récentes ont conduit à l’hypothèse privilégiée selon laquelle ce sont les formes solubles de Aȕ (oligomères) qui seraient responsables de la pathologie (4).