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III. La maladie d’Alzheimer

3. Signes cognitifs

4.3. Atteinte des systèmes neuromodulateurs

4.3.1. Système cholinergique

Les travaux pionniers sur les cerveaux de patients décédés de la MA ont mis en évidence une perte de neurones cholinergiques dans le noyau de Meynert (de 30 à 90%) (Whitehouse et al., 1982; Wilcock et al., 1983) et une baisse de l’activité de la ChAT, corrélée à la sévérité de la maladie (Davies, 1999). La baisse d’activité de la ChAT, sévère aux stades avancés de la maladie, est précédée par une hausse d’activité lors des stades les plus précoces (préclinique et MCI). En effet, certaines études plus récentes ont montré une activation de la ChAT aux

stades précoces de la maladie, peut être en compensation d’une perte débutante de neurones cholinergiques (DeKosky et al., 2002; Frolich, 2002; Ikonomovic et al., 2007). Les atteintes cholinergiques ont suscité beaucoup d’intérêt car d’une part la diminution de l’activité de la ChAT se corrèle dans certains travaux au degré de démence, et d’autre part en raison du rôle bien connu depuis longtemps de l’ACh dans les processus mnésiques et cognitifs (Frolich, 2002). Ces observations ont donné naissance à la théorie ‘cholinergique’ de la MA selon laquelle le déficit cholinergique jouerait un rôle majeur dans l’apparition des signes cognitifs de la maladie. Confirmée par de nombreuses études (Frolich, 2002), cette dégénérescence cholinergique dans la MA a conduit à la mise en place de traitements qui visent à augmenter le niveau d’ACh en inhibant l’activité de l’acétylcholine estérase (AChE) dont le rôle est de dégrader l’ACh synaptique. Toutefois, les différentes drogues utilisées (tacrine, donepezil, rivastigmine et galantamine) n’améliorent que de façon modeste et transitoire les symptômes (Davis et al., 2001; Doody et al., 2001; Silvestrelli et al., 2006), suggérant que le déficit cholinergique ne permet pas d’expliquer l’ensemble des symptômes et n’est pas le seul mécanisme pathogène mis en jeu.

Parmi les mécanismes possibles de la dégénérescence cholinergique figurent celui impliquant le NGF. En effet, les neurones cholinergiques adultes conservent une dépendance pour leur survie vis-à-vis de la fourniture en NGF par leur cible. Or, une baisse de l’expression des récepteurs au NGF est observée dans le cortex au stade précoce de la MA et l’infusion de NGF pourrait contrer la dégénérescence des neurones cholinergiques (pour revue (Tapia-Arancibia et al., 2008)).

La MA se caractérise par des altérations de nombreux autres systèmes neurochimiques. Ainsi, des modifications des taux de NA, glutamate, sérotonine, somatostatine et substance P sont également observées (Marien et al., 2004).

4.3.2. Système noradrénergique

Le système noradrénergique subit une dégénérescence profonde avec disparition des neurones noradrénergiques du LC (Chan-Palay, 1991; Forno, 1992; German et al., 1992; Forstl et al., 1994; Hoogendijk et al., 1995; Busch et al., 1997; Burke et al., 1998; Hoogendijk et al., 1999; Lyness et al., 2003; Zarow et al., 2003; Marien et al., 2004) (Figure 20), et des projections ascendantes conduisant à des niveaux de NA et d’expression de la dopamine ȕ hydroxylase (DBH), enzyme de synthèse de la NA, anormalement bas (Iversen et al., 1983; Palmer et al., 1987b; Palmer et al., 1987a; Matthews et al., 2002). La mort neuronale dans le

Figure 20 : Atteinte du LC dans la MA. Reconstitution du LC humain au cours du vieillissement normal et lors de la MA. A: témoin de 55 ans. B: témoin de 78 ans. C: patient atteint de MA 78 ans. D:

patient très sévèrement atteint de MA 77 ans. R: rostral; C: caudal (rapporté dans (Marien et al., 2004)).

Les pertes neuronales dans le LC sont majeures dans la partie centrale de ce noyau qui projette préférentiellement vers le cortex frontal et l’ensemble du lobe temporal (Marcyniuk et al., 1986). Ces pertes neuronales ont lieu très précocement puisqu’on les observe déjà chez des patients au stade MCI (Grudzien et al., 2007). Il semble bien que la perte des neurones du LC ne soit pas due à un processus de dégénérescence rétrograde résultant de la mort neuronale corticale car elle la précède (German et al., 1992).

D’après la littérature, la dégénérescence noradrénergique serait aussi présente plus précocement que celle du système cholinergique dans la MA et se corrèle mieux avec la sévérité de la maladie que les altérations cholinergiques (Forstl et al., 1994; Zarow et al., 2003).

Les pertes neuronales dans le LC pourraient contribuer de différentes manières à la MA (pour revue, voir (Weinshenker, 2008)). Nous savons que la NA corticale intervient de manière critique dans diverses formes d’apprentissage et de mémoire qui sont altérées dans la MA (Dluzen et al., 1998; Shang and Dluzen, 2001; Berridge and Waterhouse, 2003; Murchison et al., 2004; Marino et al., 2005)). Sa déplétion pourrait donc jouer un rôle dans l‘apparition des signes cognitifs de la maladie. La NA est également connue pour ses propriétés anti-inflammatoires, supprimant l’expression de gènes pro-anti-inflammatoires, et augmentant celle des molécules anti-inflammatoires (Feinstein et al., 2002; Heneka et al., 2003; Marien et al., 2004). Ainsi les pertes noradrénergiques observées dans la MA pourraient être responsables

d‘une neuroinflammation et de mort cellulaire accrues. Enfin, les neurones du LC synthétisent, en plus de la NA, de nombreux autres neuromodulateurs (ATP, Neuropeptide Y, galanine, enképhaline, BDNF, et d’autres types de neurotrophines) (Morita et al., 1990; Castren et al., 1995; Conner et al., 1997; Numan et al., 1998; Xu et al., 1998; Koylu et al., 1999), dont la diminution pourrait contribuer au processus pathogène (Morse et al., 1993; Pringle et al., 1996; O'Meara et al., 2000; Elliott-Hunt et al., 2004).

Tout comme dans le vieillissement normal, certaines données laissent penser qu’au cours de la MA des mécanismes compensatoires se mettent en place afin de maintenir le taux de NA corticale : une augmentation de l’expression de la TH est observée dans le LC de patients traduisant une augmentation de la capacité de synthèse de NA par ces neurones (Szot et al., 2000; Szot et al., 2006). De plus, le niveau de métabolites de la NA est fortement augmenté dans le liquide céphalorachidien (LCR) des patients tout comme le ratio MHPG/NA (MHPG : 3-Methoxy-4-hydroxyphenylglycol, métabolite de la NA) (Raskind et al., 1984; Nyback et al., 1987; Palmer et al., 1987b; Palmer et al., 1987a; Tohgi et al., 1992) qui est inversement corrélé au nombre de neurones noradrénergiques restant dans le LC (Hoogendijk et al., 1999). Des compensations noradrénergiques semblent également se manifester au niveau des projections noradrénergiques: les projections noradrénergiques pourraient s’étendre et ré innerver certaines régions cérébrales (Szot et al., 2006, 2007).

4.3.3. Système sérotoninergique

Les troubles cognitifs observés dans la MA sont souvent accompagnés de problèmes psychiatriques comme la dépression ou les hallucinations. Or ces troubles sont souvent associés à des altérations du système sérotoninergique (Lanctot et al., 2001) et une dégénérescence des neurones sérotoninergiques a été très souvent rapportée dans la MA (Wilcock et al., 1988; Burke et al., 1990; Aletrino et al., 1992; Halliday et al., 1992; Forstl et al., 1994; Chen et al., 2000a; Ouchi et al., 2009). Une étude récente en PET scan décrit une réduction importante de la liaison du radiotraceur avec les récepteurs sérotoninergiques présynaptiques chez des patients non dépressifs, suggérant que les altérations sérotoninergiques pourraient précéder le syndrome dépressif (Ouchi et al., 2009). Enfin, la sévérité des symptômes psychiatriques observés dans la maladie semble être liée à la gravité de la dysfonction sérotoninergique (Ouchi et al., 2009).

4.3.4. Système dopaminergique

Des pertes de neurones dopaminergiques ont également lieu au cours de la MA (Forstl et al., 1994). Toutefois, les taux de dopamine chez des patients après autopsie ou lors de biopsies ne diffèrent pas des sujets sains (Palmer et al., 1987b; Palmer et al., 1987a), et la substance noire subit les pertes neuronales moins marquées que celles touchant les autres noyaux de systèmes neuromodulateurs (Lyness et al., 2003).

4.3.5. Système glutamatergique

Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du système nerveux central intervenant dans tous les circuits fonctionnels (fonctions cognitives, boucles sensori-motrices, régulations autonomes), et dans le développement cérébral (neurogenèse, migration cellulaire et synaptogenèse). L’excès de glutamate est toxique car il déclenche une entrée massive de calcium dans les neurones, entraînant leur mort par apoptose (Sims and Zaidan, 1995). Cette excitotoxicité semble intervenir dans de nombreuses pathologies (Dong et al., 2009). Dans la MA, un dysfonctionnement de la neurotransmission glutamatergique a également lieu : le nombre de boutons présynaptiques glutamatergiques augmente chez les patients MCI puis diminue ensuite au fil de la maladie (Bell et al., 2007), et le peptide ȕ amyloïde induit des modifications d’expression des récepteurs glutamatergiques qui conduisent à une excitotoxicité (Parameshwaran et al., 2008). L’hypothèse selon laquelle l’altération de la transmission glutamatergique pourrait participer au déclin cognitif observé dans la MA a donné lieu à la mise au point d’un traitement ciblant les récepteurs NMDA par la mémantine. Cet antagoniste non compétitif des récepteurs glutamatergiques NMDA inhibe l'influx prolongé d'ions calcium responsable de l'excitotoxicité neuronale (Robinson and Keating, 2006; Thomas and Grossberg, 2009). Chez les patients fortement atteints, la mémantine semble avoir des effets bénéfiques sur les fonctions cognitives mais donne des résultats mitigés chez les patients moins sévèrement atteints (Thomas and Grossberg, 2009).