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2. La stéatose hépatique des palmipèdes

2.2. Modifications associées à la stéatose hépatique

Les modifications structurales, d’expression de gènes, et de compositions protéique et lipidique induites par la stéatose hépatique, bien que très importantes, ne détériorent pas les fonctions hépatiques (métabolismes glucidiques, lipidiques et protéiques, détoxification, stockage).

La mise en place de la stéatose hépatique dépend de nombreux facteurs. Néanmoins, certaines modifications structurales, biochimiques ou associées à l’expression de gènes sont observées de façon constante en réponse à l’apport massif de glucides dans l’alimentation des palmipèdes.

2.2.1. Modifications structurales associées à la stéatose hépatique

La production de foies gras de palmipèdes résulte d’une augmentation pondérale du foie très importante. Le poids de foie peut être multiplié par 10 après gavage, pour représenter jusqu’à 10% du poids corporel total de l’animal.

La mise en place de la stéatose hépatique au cours du gavage des oies a été étudiée par tomographie, une méthode qui permet de reconstituer le volume du foie à partir d’une série de mesure ‘par tranches’ (Locsmándi et al., 2005 et 2007). Les résultats indiquent que le gavage induit une modification de la densité du foie aux rayons X, en lien avec l’hypertrophie du foie correspondant à la surcharge des hépatocytes en lipides, principalement des triglycérides, sous forme de gouttelettes lipidiques.

Le développement de la stéatose hépatique induite par le gavage suit une évolution centripète : l’engraissement débute dans la région périportale pour s’étendre vers la région centrolobulaire (Labie et Tournut ; 1970). En fin de gavage, toutes les cellules présentent des inclusions lipidiques de plus ou moins grande taille.

Chez l’oie, des observations histologiques ont été réalisées selon une cinétique de gavage (Bénard et Labie, 1998 ; Locsmándi et al., 2007) (Figure 7). A la mise en gavage, les hépatocytes sont de petite taille, sans inclusion lipidique et présentent un noyau en position centrale (Figure 7-(1)). Dès le début du gavage, la taille des cellules augmente, et les premières gouttelettes lipidiques sont observées. Rapidement, les gouttelettes lipidiques sont nombreuses et le noyau est à la périphérie de la cellule. Les hépatocytes situés en région péri- portale présentent un engraissement de type micro-vacuolaire sur environ 70-80% de la

cellule ; le reste du tissu montre un début d’engraissement de type micro-vacuolaire (Figure 7- (2)). Après la mi-gavage, l’engraissement tend vers un type macro-vacuolaire, c’est-à-dire que les hépatocytes contiennent des inclusions lipidiques de taille égale ou supérieure à 1/10 de la surface cellulaire (Figure 7-(3)). Cet état se confirme et se développe (Figure 7-(4)), jusqu’à ce que la très forte accumulation de lipides rende les observations au niveau de la cellule difficile par la suite (Figure 7-(5)). Cependant, Locsmándi et al., (2007) n’ont observé aucune rupture membranaire, contrairement à Bénard et Labie (1998) qui notent la présence de quelques unes. Dans les deux cas, le tissu est inclus en paraffine, mais les colorations utilisées diffèrent et peuvent expliquer les différences observées en termes d’intégrité des membranes.

Dans tous les cas, la stéatose hépatique induite par le gavage des palmipèdes est réversible, un retour à des structures identiques à celles d’animaux non gavés est observé en histologie (Babilé et al., 1996, 1998 ; Bénard et al., 1996) et par tomographie (Locsmándi et

al., 2005).

Jusqu’à présent, les méthodes employées en histologie du foie gras (Blum et Leclercq, 1973 ; Bénard et Labie, 1998; Bouillier-Oudot et al., 2006 et 2008; Locsmándi et al., 2007) reposaient sur l’utilisation de solvants qui éluaient les lipides et ne permettaient donc pas leur observation au sein du tissu. Les résultats portaient essentiellement sur la caractérisation de la stéatose en micro ou macro-vacuolaire, selon la relation entre la taille des gouttelettes lipidiques et la taille des hépatocytes. A notre connaissance, aucune étude n’a été réalisée à l’échelle des gouttelettes lipidiques, que ce soit en microscopie optique ou électronique.

2.2.2. Modifications de la composition biochimique associées à la

stéatose hépatique

De nombreuses études ont porté sur la caractérisation biochimique du foie gras de palmipèdes. A notre connaissance, la plus exhaustive en termes de composés étudiés est celle réalisée par Baudonnet (1993). Il s’agit d’une cinétique de la composition biochimique du foie à différents stades de gavage (0, 3, 6, 9 et 12 jours), réalisée chez le canard de Barbarie. Dès le premier stade de gavage, le poids de foie augmente significativement et est multiplié par un facteur d’environ 2,5. En parallèle des mécanismes d’accrétion de constituants biochimiques, la teneur en eau évolue également au cours du gavage (Baudonnet, 1993). Dès les trois premiers jours de gavage, elle montre une très forte élévation, et explique majoritairement

l’augmentation pondérale du foie. La teneur en eau se stabilise dans les jours suivants, puis augmente faiblement en toute fin de gavage.

L’augmentation pondérale du foie correspond principalement à une accumulation de lipides, notamment des triglycérides. L’accroissement de la teneur en lipides traduit une activation intense de la lipogenèse dans le foie. Dans le cadre de cette même cinétique de gavage, l’évolution du profil en acides gras du foie a été étudiée. Les acides oléique, palmitique et palmitoléique sont les principaux acides gras montrant une augmentation dès les trois premiers jours de gavage ; cette augmentation se poursuit jusqu’à la fin du gavage pour ce qui est de la teneur en acide oléique. En revanche, une forte diminution relative des acides linoléique et linolénique (acides gras essentiels) ainsi que de l’acide stéarique est observée, du début à la fin du gavage. Cette évolution du profil en acides gras informe sur l’activité des enzymes responsables de la formation des acides gras. En effet, il semble que l’action des ∆9 désaturases précède celle des élongases, ce qui favoriserait donc la synthèse des acides oléique et palmitoléique aux dépens de l’acide stéarique.

Enfin, les teneurs en phospholipides et cholestérol augmentent également tout au long du gavage (Leclercq et Blum, 1975 ; Baudonnet, 1993). Il s’agit de constituants des membranes cellulaires et des lipoprotéines plasmatiques. Leur évolution signe donc également des mécanismes d’adaptation à l’accumulation de lipides au niveau hépatique, en termes d’hypertrophie cellulaire et transport des lipides synthétisés. Au cours du gavage, une accumulation d’acides gras néo-synthétisés, particulièrement de l’acide oléique, au niveau des phospholipides membranaires a été observé (Cazeils et al., 1999b). Ces auteurs ont également observé une diminution du rapport des phospholipides et du cholestérol aux protéines et une augmentation du rapport du cholestérol aux phospholipides. Ces résultats suggèrent que l’accumulation d’acides gras insaturés préférentiellement pourrait induire une fluidification des membranes, compensée par l’accumulation de cholestérol.

La composition lipidique de la membrane des hépatocytes de foie gras de canard a été étudiée avant et après gavage (Molee et al., 2005). Seuls les deux phospholipides majeurs des membranes plasmiques des hépatocytes montrent une évolution significative au cours du gavage : la proportion de phosphatidyléthanolamine augmente aux dépens des phosphatidylcholines.

Dans une moindre proportion que les lipides, la teneur en protéines augmente elle aussi au cours du gavage mais sa proportion ramenée au poids de foie total diminue en faveur

des lipides (Baudonnet, 1993 ; Bax et al., 2011). La synthèse de protéines dès les premiers jours de gavage répond au besoin d’adaptation de stockage massif des lipides dans les hépatocytes. De la même façon, Baudonnet (1993) et Leprettre (1998) observent une accumulation de composés glucidiques (glucose et glycogène) dans les premiers stades de gavage. Il semble que la réponse du foie en termes de dégradation des glucides massivement apportés par l’alimentation ne soit pas suffisante au tout début du gavage.

2.2.3. Modifications d’expression de gènes associées à la stéatose

hépatique

Récemment, plusieurs études ont porté sur l’évolution du profil d’expression génique au cours de la stéatose hépatique des palmipèdes induite par le gavage. Après gavage, les gènes impliqués dans la synthèse des triglycérides et des acides gras sont surexprimés, et ceux impliqués dans la β-oxydation sont sous exprimés, chez l’oie (Zhu et al., 2011) et le canard (Hérault et al., 2009). Les résultats portant sur les gènes impliqués dans la glycolyse sont contradictoires entre les deux études. En effet, chez le canard, ils indiquent une surexpression des gènes impliqués dans la glycolyse (Hérault et al., 2009) et à l’inverse une sous expression chez l’oie landaise (Zhu et al., 2011).

Les modifications d’expression de gènes en relation avec la stéatose hépatique alimentaire sont influencées par l’espèce animale. Ainsi, chez le canard de Pékin, les quantités d’ARNm du gène CPT1A (codant pour la carnitine palmitoyltransferase 1A, enzyme impliquée dans l’oxydation des acides gras) sont plus importantes que chez le canard de Barbarie ; ce qui suggère une part plus importante de l’oxydation des lipides au détriment de leur stockage dans le foie chez le premier (Hérault et al., 2009). De plus, une surexpression du gène codant pour la protéine Apolipoprotéine B (protéine majoritaire des VLDL) a été identifiée chez les canards Pékin par rapport aux canard de Barbarie (Saez et al., 2008a et b ; Hérault et al., 2009), indiquant une plus importante exportation des lipides vers les tissus périphériques. La comparaison de l’oie des Landes avec l’oie blanche Sichuan a mis en évidence chez la première une surexpression de gènes impliqués dans l’accumulation de triglycérides dans les hépatocytes, et dans la gluconéogenèse (Chunchun et al., 2008 ; Pan et

al., 2010). A l’inverse, les mêmes auteurs ont trouvé, chez l’oie blanche Sichuan par rapport à

Figure 8 : Mécanismes de la stéatose chez les palmipèdes (Hermier et al., 1999b)

et aptitude à la stéatose hépatique en réponse au gavage des canards de Barbarie (B), Pékin (P), mulard (M) et hinny (H) (Baéza et al., 2005).

résultats sont cohérents avec les différences d’aptitude à la stéatose entre les deux espèces d’oie en faveur de l’oie des Landes (Han et al., 2008).

2.3. Facteurs génétiques de variation de l’aptitude à la stéatose