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Le dopage des nanocristaux peut également être modifié après la synthèse. Une possibilité est d’utiliser des méthodes dites physiques, comme les transistors à effet de champ. Par effet de grille, l’énergie du niveau de Fermi peut être modifiée par rapport aux niveaux électroniques (voir chapitre 2). Cela permet donc de contrôler le niveau de dopage en fonction de la tension de grille appliquée. Un autre moyen d’induire un dopage dans un film de nanocristaux est le pompage optique. Grâce à cette technique, le groupe de Philippe Guyot-Sionnest a observé des transitions intrabandes dans des nanocristaux de CdSe (79). Pour utiliser cette méthode dans un détecteur infrarouge, le dopage doit être permanent. Il faut donc saturer le niveau 1Se en continu en utilisant un laser puissant (kW/cm²) et focalisé sur le film de nanocristaux.

Pour introduire un dopage permanent, sans utiliser ni tension électrique ni source de lumière en continu, on peut utiliser une approche chimique basée sur les ligands. Comme je l’ai brièvement introduit dans le chapitre 2, la présence de ligands à la surface des nanocristaux peut induire un dipôle, et ce dipôle dépend de la nature du ligand. Ainsi, entre le DDT et les ions sulfures S2-,ladifférence de dipôle est de l’ordre de 1 Debye (48). Selon la force de leur dipôle, les ligands attirent plus ou moins les charges positives vers la surface du cristal tandis que les charges négatives restent dans le volume. Il se crée donc un champ électrique au sein du cristal qui vient courber les niveaux. Si le ligand utilisé est le DDT, le champ électrique est quasi inexistant et les niveaux restent plats, si au contraire on utilise des ions sulfures S2-, les niveaux seront courbés vers les énergies plus faibles au centre du cristal (voir Figure 54).

Brown et al. (80, 81) ont travaillé sur les dipôles induits par les ligands à la surface de nanocristaux de sulfure de plomb (PbS). Ils ont montré un décalage du niveau de Fermi par rapport aux niveaux électroniques de l’ordre de 1 eV en changeant l’amplitude du dipôle. Ces résultats sont utilisés pour la construction de jonctions p-n pour les cellules solaires à base de PbS : lorsque les nanocristaux sont entourés par EDT ils présentent un dopage p, tandis qu’ils présentent un dopage n lorsqu’ils sont entourés par NH4I (82).

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Figure 54 : (a) Schéma d’un nanocristal entouré par des ligands DDT ; (b) schéma d’un nanocristal entouré par des ligands S2- ; (c) courbure quasi-inexistante des niveaux dans le cas de ligands DDT ; (d) courbure des niveaux vers les énergies plus basses dans le cas de ligands S2-.

Sur les nanocristaux dopés à la fin de la synthèse, tels que HgS et HgSe, l’effet du dipôle à la surface est encore plus flagrant (48, 83). En effet, comme le niveau de Fermi se situe très près du niveau 1Se la transition intrabande 1Se – 1Pe est autorisée. En appliquant un dipôle, le niveau de Fermi voit son énergie diminuée : le niveau 1Se se vide et la transition intrabande devient interdite, tandis que la transition interbande devient autorisée (Figure 55). La variation du dopage obtenue en passant de ligands DDT à S2- sur des nanocristaux de HgSe a été quantifiée par Robin et al. (48). Dans le cas du DDT, il y’a environ 2 électrons par nanocristal tandis qu’il n’y a que 0,2 électron par nanocristal dans le cas des ions S2-.

Figure 55 : Spectres infrarouges de nanocristaux de HgSe pour deux ligands différents : le DDT (en noir), ayant un faible dipôle et pour lequel seule la transition intrabande apparaît ; les ions S2-, ayant un plus fort dipôle et pour lesquels la transition interbande devient autorisée.

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Pour vérifier l’effet des ligands sur les nanocristaux de HgSe, je vais reconstruire la structure électronique par les techniques que j’ai présentées au chapitre et m’intéresser en particulier à l’évolution du travail de sortie en fonction des ligands. En effet, le dipôle appliqué à la surface se traduit par une augmentation de l’énergie du niveau de vide par rapport au niveau de Fermi ΔEvide : (80, 84, 85)

𝛥𝐸𝑣𝑖𝑑𝑒 = −𝑁 𝜇𝑙𝑖𝑔𝑎𝑛𝑑

𝜀0𝜀𝑙𝑖𝑔𝑎𝑛𝑑 (3.1)

Où N est la densité de surface de dipôles à la surface des nanocristaux, µligand est l’amplitude du dipôle à la surface des nanocristaux moyennée et Ɛligand est la constante diélectrique des ligands, qui est de l’ordre de 2 (86).

Pour des nanocristaux de 6 nm de diamètre, on obtient les résultats présentés sur la Figure 56.

Figure 56 : Structure électronique reconstruite par photoémission de nanocristaux de HgSe de 6 nm de diamètre pour 4 chimies de surface différentes (DDT, EDT, As2S3 et S2-)

D’après Robin et al. (48), les dipôles µ des chimies de surface utilisées vérifient : µ (S

2-) > µ (As2S3) > µ (EDT) > µ (DDT). On vérifie bien que :

- le niveau de Fermi est plus profond dans la bande de conduction dans le cas où le dipôle est faible ; pour le DDT, on a 1Pe < EF < 1De tandis que pour S2- on a 1Se < EF < 1Pe.

- le travail de sortie augmente avec le dipôle, comme prévu par l’équation (3.1).

Dans cette partie, j’ai présenté plusieurs techniques permettant d’ajuster le dopage. J’ai montré qu’il était possible d’ajuster le dopage après la synthèse des nanocristaux, et que ce dopage était réalisable par échange de ligands : une technique simple à mettre en œuvre. Cependant, les modifications de dopage rendues possibles par cette technique sont relativement faibles, de l’ordre de 1 à 2 électron(s) par nanocristal.

Dans la suite, je présenterai une technique, basée sur des ligands électroattracteurs, permettant de contrôler le dopage sur des gammes plus importantes que ce que nous avons observé avec les dipôles induits par les ligands.

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