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Introduction à la détection infrarouge et présentation des technologies actuelles

l’infrarouge, qui les rendent donc potentiellement intéressants pour des applications de détection infrarouge.

Dans cette partie, je commencerai par introduire les figures de mérite les plus courantes des détecteurs infrarouges et expliquerai comment les déterminer. Je présenterai ensuite les technologies de détection infrarouge actuelles.

1. Caractérisation des détecteurs infrarouges : quelques figures de mérite usuelles Contrairement aux dispositifs photovoltaïques pour lesquels seuls l’efficacité quantique, c'est-à-dire le nombre de porteurs (électrons ou trous) générés par l’absorption d’un photon, et le prix relatif à la puissance récoltée sont à optimiser, les détecteurs infrarouges doivent répondre à de nombreux critères. Dans le but de réaliser une caméra infrarouge par exemple, la fréquence d’acquisition des images doit permettre de suivre la scène en temps réel ; le rapport signal sur bruit doit permettre de distinguer l’objet à imager de son environnement…

Dans cette partie, j’expliciterai les principaux critères, ou figures de mérite, qui permettent de quantifier les performances des détecteurs infrarouges. Les plus utilisés sont les suivants : la réponse, la détectivité, la résolution thermique (Noise Equivalent Temperature Difference ou NETD), le temps de réponse et la température de fonctionnement.

a. Réponse

La réponse correspond au ratio entre le signal électrique mesuré en sortie et la puissance incidente :

R

= 𝐼𝑙𝑢𝑚 − 𝐼𝑛𝑜𝑖𝑟

𝑃𝑖𝑛𝑐 (1.11)

R

est la réponse (en A/W), Ilum est le courant mesuré sous illumination (en A), Inoir est le courant d’obscurité (en A) et Pinc est la puissance optique incidente (en W).

La réponse caractérise la capacité du détecteur à convertir les photons infrarouges (ou l’énergie infrarouge) en signal électrique.

b. Bruit et détectivité

Les sources de bruit dans un détecteur infrarouge peuvent être multiples. Comme pour tout composant électronique, il faut tenir compte du bruit thermique lié à la résistance électrique du dispositif RΩ, aussi appelé bruit de Johnson-Nyquist, et du bruit dû au passage du courant I, appelé bruit de Schottky ou bruit de grenaille. Ces deux composantes peuvent s’écrire :

𝑆𝐼2= 4𝑘𝑏𝑇

𝑅𝛺 + 2𝑒|𝐼| (1.12)

Où SI est la densité spectrale de bruit (en A), kB est la constante de Boltzmann, T est la température de fonctionnement du dispositif (en K), RΩ est la résistance électrique du détecteur infrarouge (en Ω), e est la charge élémentaire et I est l’intensité passant à travers le dispositif dans l’obscurité (en A).

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À ces deux sources de bruit peut s’ajouter un bruit inversement proportionnel à la fréquence (on parle de bruit en 1/f). Il peut provenir d’une fluctuation du nombre de porteurs (électrons ou trous) (25) ou d’une fluctuation de la mobilité des porteurs (26). Dans un détecteur à base de nanocristaux colloïdaux, une fluctuation de mobilité peut être observée lors des sauts tunnels effectués par les porteurs pour passer d’un nanocristal à un autre et on retrouve souvent cette composante en 1/f (27,

28). Dans un film de nanocristaux colloïdaux, le bruit s’écrit : 𝑆𝐼2= 4𝑘𝑏𝑇

𝑅𝛺 + 2𝑒|𝐼| + 𝛼𝐼2

𝑓. 𝑁 (1.13)

Où α est un paramètre ajustable appelé constante de Hooge et N est la quantité de porteurs mobiles dans le système.

La détectivité est une mesure du rapport signal sur bruit. Elle s’exprime grâce à la formule suivante :

𝐷=√𝐴√∆𝑓

𝑁𝐸𝑃 (1.14)

Où D* est la détectivité (en Jones, ou cm. Hz1/2. W-1), A est la surface du détecteur (en cm²), Δf est la bande de fréquence sur laquelle est effectuée la mesure (en Hz) et NEP est la puissance équivalente de bruit (Noise Equivalent Power, en W). Cette dernière est définie comme étant la puissance donnant un rapport signal sur bruit de un pour une bande passante de sortie de 1 Hz. La détectivité sera d’autant meilleure que la NEP est faible.

La NEP est reliée à la réponse selon la formule :

𝑁𝐸𝑃 = 𝑆𝐼√∆𝑓

R

(1.15)

Où SI est la densité spectrale de bruit (en A.Hz-0,5), qui peut se calculer comme : 𝑆𝐼= 𝐹𝐹𝑇 (𝐼𝑛𝑜𝑖𝑟) √∆𝑓 . La détectivité peut donc finalement s’écrire :

𝐷= √𝐴.

R

𝑆𝐼 (1.16)

c. Résolution thermique et NETD

La NETD (Noise Equivalent Temperature Difference, ou température équivalente de bruit) est une figure de mérite qui renseigne sur la plus petite différence de température mesurable avec un détecteur infrarouge (on parle aussi de résolution thermique). Elle se calcule en mesurant le signal reçu pour un même objet à deux températures différentes, selon la formule :

𝑁𝐸𝑇𝐷 = ∆𝐼 ∆𝑇 𝑠𝑖𝑔𝑛𝑎𝑙

𝐼𝑏𝑟𝑢𝑖𝑡

⁄ (1.17)

Où NETD est la température équivalente de bruit (en K), ΔT est la différence de température entre les deux signaux collectés (en K), ΔIsignal est la différence de courant mesurée entre les deux signaux collectés (en A) et Ibruit est le courant correspondant au niveau de bruit du détecteur (en A).

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La NETD se situe aux alentours de 20 mK pour les technologies quantiques actuelles. d. Température de fonctionnement

Comme mentionné dans la partie précédente, le bruit du détecteur provient en partie du bruit thermique lié à sa résistance. Par conséquent, diminuer la température de fonctionnement du détecteur peut permettre d’augmenter le rapport signal sur bruit. Notamment, pour la détection dans la gamme LWIR où les énergies en question sont de l’ordre de 10 à 100 meV, le froid est nécessaire.

Cependant, ajouter un système de refroidissement engendre nécessairement des coûts supplémentaires. Pour la détection dans les gammes MWIR et SWIR, il y’a donc un compromis à trouver pour la température de fonctionnement, pour maximiser le rapport signal sur bruit tout en limitant l’augmentation des coûts de fonctionnement.

e. Temps de réponse du capteur

Le temps de réponse du détecteur infrarouge est un paramètre essentiel puisqu’il renseigne sur la capacité à acquérir des images à haute fréquence, ce qui est primordial pour des applications de type LIDAR ou détection d’objets chauds sur fond froid. Il se mesure généralement en utilisant une source de type « créneau » ou « impulsion » et en étudiant la réponse du détecteur à des changements rapides du signal.

2. Technologies actuelles

Les technologies actuellement commercialisées pour la détection infrarouge se répartissent en deux catégories principales : les détecteurs thermiques, qui sont sensibles au flux d’énergie infrarouge, et les détecteurs quantiques, à base de semiconducteurs, qui sont sensibles aux photons infrarouges.

Dans cette partie, je décrirai les principes de fonctionnement des principales technologies ainsi que les avantages et les inconvénients qu’elles présentent.

a. Détecteurs thermiques

Les détecteurs thermiques sont sensibles au flux d’énergie et donc à la température. Le matériau actif qui les constitue voit ses caractéristiques physiques modifiées quand la température varie.

Ainsi, la technologie la plus utilisée de détecteurs thermiques, le bolomètre, est basée sur la mesure de la résistance en fonction de la température. Pour cela, on peut utiliser des matériaux ayant une transition de phase à une température proche de la température ambiante. C’est le cas de l’oxyde de vanadium(29), qui passe d’un comportement isolant à métallique à une température autour de 60 °C : sa résistance peut alors varier de plusieurs ordres de grandeurs. Le silicium amorphe est également souvent utilisé pour sa facilité d’intégration dans des dispositifs CMOS (Complementary Metal Oxide

Semiconductor). Utilisés sous la forme de matrices de pixels, chacun constitué d’un bolomètre, les

microbolomètres permettent de recréer une image thermique.

D’autres technologies, basées sur la dépendance en température d’autres propriétés physiques telles que la polarisation (on parle alors de pyromètres) ou la tension de seuil existent également mais sont moins répandues.

Les détecteurs thermiques présentent l’avantage d’être utilisable à température ambiante et d’être peu coûteux (environ 100 $). Cependant, leur temps de réponse est limité (de l’ordre de la milliseconde) à

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cause de phénomènes de rémanence thermique, et leur détectivité est limitée à quelques 109 Jones (30).

b. Semiconducteurs à faible énergie de bande interdite

Les détecteurs quantiques sont basés sur l’absorption d’un photon par un semiconducteur, générant une paire électron-trou. En appliquant une tension aux bornes du semiconducteur, l’électron et le trou peuvent être séparés et migrer vers une des électrodes, ce qui génère un courant.

Afin de détecter des photons infrarouges avec un semiconducteur, il est nécessaire que le photon à absorber ait une énergie supérieure à celle de la bande interdite du semiconducteur. Ainsi, comme présenté sur la Figure 19, Si et GaSb ne peuvent être utilisés que dans la gamme NIR (EG ≈ 1 eV), Ge et InAs dans la gamme SWIR (1 eV < EG < 0.5 eV).

Pour ajuster précisément l’énergie de bande interdite du détecteur, deux options sont possibles : fabriquer des alliages ternaires de semiconducteurs ou ajouter des dopants.

Figure 19 : Caractéristiques (énergies de bande interdite et paramètres de maille) des principaux semiconducteurs utilisés à faible énergie de bande interdite.

i. Alliages ternaires de semiconducteurs

Il est possible de fabriquer des alliages de semiconducteurs (ternaires). Ces derniers sont présentés sur la Figure 19 par les lignes noires. Ainsi, In0.53Ga0.47As a une bande interdite de l’ordre de 0.75 eV et est communément utilisé dans la gamme SWIR. Pour les bandes interdites plus faibles, le ternaire HgxCd1-xTe permet d’explorer toutes les énergies entre 0 (HgTe pur) et 1,5 eV (CdTe pur).

Les technologies à base de semiconducteurs à faible énergie de bande interdite présentent de bonnes détectivités (1012 à 1013 Jones pour InGaAs dans le SWIR, 1011 à 1012 Jones pour HgCdTe dans le MWIR/LWIR) (30) et des temps de réponse courts, adaptés aux applications de type caméras infrarouges hautes performances.

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En revanche, les méthodes de croissance (épitaxie par jet moléculaire : MBE, ou épitaxie en phase vapeur aux organométalliques : MOCVD) sont lentes et demandent des bâtis de dépôt très sophistiqués, typiquement sous ultravide. Les semiconducteurs doivent être déposés sur des substrats permettant une croissance épitaxiale avec un nombre limité de dislocations. Ainsi, InxGa1-xAs est souvent utilisé avec la stœchiométrie x = 0,53 pour être compatible avec un substrat InP. HgCdTe ne voit pas son paramètre de maille changer avec la stœchiométrie (aHgTe = 6,46 Å, aCdTe = 6,48 Å) (31), mais le seul substrat compatible avec sa croissance est CdZnTe, dont le prix est d’environ 1000 $/cm². Enfin, la composition de l’alliage doit être parfaitement maîtrisée pour contrôler l’énergie de bande interdite, et certaines compositions sont difficiles à obtenir : ainsi HgCdTe n’est pas utilisé au-delà de 12 µm car les matériaux trop riches en mercure tendent à être moins uniformes(30).

Il faut également noter que, pour les détecteurs utilisés dans les gammes MWIR et LWIR, les températures de fonctionnement de ces technologies sont basses : autour de 120-180 K pour le MWIR, 90 K pour le LWIR, ce qui augmente encore leur coût d’utilisation, leur poids et limite leur durée de vie.

ii. Semiconducteurs extrinsèques

Les semiconducteurs extrinsèques les plus utilisés pour la détection infrarouge sont à base de silicium dopé. Il existe également des détecteurs à base de germanium dopé mais ceux-ci sont moins répandus, notamment car les dopants sont plus solubles dans le silicium et que des détecteurs avec une meilleure résolution spatiale peuvent être fabriqués avec le silicium.

Le dopant peut être le gallium, l’indium, l’antimoine ou l’arsenic, ce qui permet de détecter des longueurs d’onde allant jusqu’à 25 µm. En augmentant la quantité de dopants jusqu’à l’apparition d’une « bande d’impureté » (block impurity band), la détection infrarouge peut être poussée jusqu’à 100 voire 200 µm (30).

Figure 20 : Schéma d’un semiconducteur extrinsèque dont le dopage a entraîné l’apparition d’une bande d’impuretés près de la bande de conduction.

La température de fonctionnement de ces détecteurs est très faible, entre 4 et 10 K, ce qui réduit fortement les applications possibles.

c. Détecteurs à base d’hétérostructures

Dans la partie précédente, nous avons vu qu’il était possible de modifier la composition du matériau actif pour obtenir des propriétés d’absorption dans l’infrarouge, mais que cela pouvait entraîner des problèmes de miscibilité ou de solvabilité. En utilisant le confinement quantique, les détecteurs à base

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de puits quantiques permettent de faire varier les propriétés optiques en modifiant l’épaisseur de la couche, et non plus sa composition.

i. Photodétecteurs infrarouges à puits quantiques (QWIP)

La structure la plus utilisée pour les photodétecteurs infrarouges à puits quantiques est AlxGa1-xAs/ GaAs, où GaAs est le puits quantique et AlxGa1-xAs la barrière.

Figure 21 : Schéma représentant le fonctionnement d’un photodétecteur infrarouge à puits quantiques (ou QWIP) à base de GaAs/AlxGa1-xAs. x correspond à la direction de croissance du QWIP

Le principe de fonctionnement est le suivant : les couches de GaAs, qui constituent les puits quantiques, sont dopées avec du silicium afin que des électrons soient présents dans le premier niveau électronique (ou la première sous bande) de la bande de conduction. Ce niveau est piégé dans le puits. Après absorption d’un photon infrarouge, une transition intrabande promeut un électron dans un second niveau, proche en énergie du continuum. En appliquant une tension aux bornes du QWIP, les électrons du second niveau peuvent passer dans le continuum et être détectés au niveau du collecteur (Figure 21). Les épaisseurs des couches étant inférieures au rayon de Bohr, ces matériaux sont confinés dans la direction de croissance du QWIP. Il est alors possible de modifier la position des niveaux en changeant leur épaisseur : la hauteur de la barrière peut être ajustée pour que le continuum et le second niveau soient résonants.

Ces photodétecteurs sont opérés à basse température (autour de 77 K), et ne peuvent pas absorber les photons à incidence normale. Ces photons doivent donc être déviés grâce à un réseau gravé à la surface du pixel. Tout comme les semiconducteurs à faible énergie de bande interdite, ils sont fabriqués dans des bâtis d’épitaxie.

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ii. Super réseaux

Comme les QWIPs, les super-réseaux sont construits par empilement de couches confinées, mais ne sont pas dopés : les transitions en jeu sont des transitions interbandes. La combinaison GaSb/InAs est la plus connue : l’alignement entre les deux matériaux est de type II, ce qui donne naissance à deux minibandes comme présenté sur la Figure 22. En modifiant le pas du réseau, on peut contrôler l’espacement entre les deux minibandes et donc la longueur d’onde d’absorption.

Ces détecteurs fonctionnent également à basse température, autour de 100 K, mais ils peuvent absorber des photons à incidence normale. Cette technologie permet également d’atteindre des détectivités autour de 1010 Jones dans le LWIR. En revanche, ils doivent comme les QWIPs et les semiconducteurs à faible énergie de bande interdite, être préparés dans des bâtis d’épitaxie, ce qui augmente le coût de production, et supporter un système de refroidissement.

Figure 22 : Schéma représentant un super réseau de GaSb (niveaux électroniques en rouge)/InAs (niveaux électroniques en vert). Des minibandes (en gris) dues à l’alignement de type II entre les deux matériaux apparaissent.

d. Bilan

Les détecteurs infrarouges commercialisés peuvent se classer selon deux catégories : les détecteurs thermiques, utilisables à température ambiante et peu coûteux mais lents ; et les détecteurs quantiques qui présentent des bonnes détectivités et des temps de réponse courts mais très coûteux de par leur fabrication et leur utilisation à froid.

De par leur simplicité de fabrication, les nanocristaux colloïdaux à faible bande interdite (HgTe et HgSe) semblent être une alternative peu coûteuse aux détecteurs infrarouges quantiques classiques qui présentent aujourd’hui les meilleures performances. Dans la partie suivante, je présenterai donc comment ces nanocristaux peuvent être intégrés dans un dispositif de type détecteur. J’indiquerai ensuite les axes principaux de recherche que j’ai suivis pendant mon doctorat pour améliorer la compréhension des propriétés électroniques des films de nanocristaux et ainsi réaliser un détecteur infrarouge optimisé.

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