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Nous venons de voir les diff´erents processus d’excitation et de relaxation pouvant avoir lieu dans un solide isolant pendant ou apr`es son interaction avec une impulsion laser ultra-br`eve. Pour avoir acc`es `a ces processus ou plus pr´ecis´ement `a leur impact sur les propri´et´es du solide, il est n´ecessaire de mod´eliser cette interaction. De nombreux mod`eles ont vu le jour pour tenter de rendre compte de ces modifications. Tous ces mod`eles proposent des approches tr`es diff´erentes : semi-classiques comme purement quantiques, statistiques comme cin´etiques, ph´enom´enologiques comme ab initio. Nous allons nous int´eresser `a trois d’entre eux, le mod`ele `a deux temp´eratures, un mod`ele cin´etique bas´e sur l’´equation de Boltzmann ainsi que le mod`ele `a ´equations de taux multiples.

1.4.1

Mod`ele `a deux temp´eratures

Le mod`ele `a deux temp´eratures est un mod`ele statistique. Il traite les ´electrons et les ions du r´eseau comme deux sous-syst`emes s´epar´es. En particulier, son nom vient du fait qu’il attribue une temp´erature diff´erente `a chacun de ces deux sous-syst`emes thermodynamiques. Le couplage entre ces deux sous-syst`emes est ensuite trait´e de ma- ni`ere ph´enom´enologique. Historiquement, ce mod`ele a ´et´e d´ecrit par Kaganov et al. `

a la fin des ann´ee 50 [79] puis repris par Anisimov dans les ann´ees 70 pour d´ecrire l’interaction entre un laser ultra-bref et un solide m´etallique [80]. Ce mod`ele fut ´etendu aux semiconducteurs par H. M. Van Driel [81] puis aux mat´eriaux di´electriques. Dans ce mod`ele, la densit´e d’excitation du mat´eriau est g´en´eralement gouvern´ee par une ´

equation de taux unique. La distribution de ces ´electrons dans la bande de conduc- tion est ensuite prise comme celle de Fermi-Dirac (donn´ee par l’´equation 1.1). Ceci permet de pouvoir traiter les ´electrons excit´es comme le r´eseau avec les ´equations de la physique statistique `a l’´equilibre. Il est alors possible de d´eduire plusieurs quantit´es physiques comme les capacit´es calorifiques de chacun de ces deux sous-syst`emes, la

densit´e ´energ´etique gagn´ee par le syst`eme ´electronique puis transf´er´ee au r´eseau. Ce mod`ele a r´ecemment ´et´e ´etendu par R¨amer et al. pour prendre en compte l’´evolution des propri´et´es optiques du mat´eriau durant son interaction avec l’impulsion laser [82]. Il a ´et´e tr`es largement appliqu´e, avec un certain succ`es, `a l’´etude de l’endommagement et de l’ablation laser de mat´eriaux isolants, semiconducteurs ou m´etalliques [83, 67, 82]. Il existe toutefois quelques difficult´es inh´erentes `a ce mod`ele, et en particulier, celle concernant son hypoth`ese de d´epart. En effet, pour ˆetre valide, l’application de la distribution de Fermi-Dirac n´ecessite l’´equilibre thermodynamique. Or, comme nous l’avons d´ej`a mentionn´e, le solide se trouve durant une grande partie de son interaction avec l’impulsion laser dans un ´etat violemment hors-´equilibre. Certains travaux ont par exemple estim´e que dans le cas d’un ´echantillon de quartz irradi´e par une impulsion de 100f s `a un ´eclairement de 62, 5T W/cm2, la thermalisation des ´electrons de conduction

prend entre 30 et 50f s [48]. Pour contrevenir `a cette difficult´e, il est possible d’utiliser un mod`ele cin´etique bas´e sur l’´equation de Boltzmann.

1.4.2

Mod`ele cin´etique

La description des ´electrons de conduction, de leur distribution en ´energie ainsi que du transfert de leur ´energie au r´eseau peut se faire via l’´equation de Boltzmann. Un des grands avantages de cette description est qu’elle ne fait pas l’hypoth`ese de l’´equi- libre thermodynamique. De plus, contrairement `a l’utilisation d’´equations de diffusion de type Fokker-Planck [84], cette approche peut ˆetre effectu´ee sans introduire de pa- ram`etre ph´enom´enologique. Les processus microscopiques dont nous avons parl´e sont trait´es sous la forme d’int´egrales de collision qui sont ensuite inclus dans l’´equation de Boltzmann. Ce mod`ele a ´et´e utilis´e avec succ`es par Kaiser et al. dans leur article fondateur de 2000 [53]. Le mod`ele a ensuite ´et´e ´etendu par N. Shcheblanov durant sa th`ese de doctorat pour effectuer quelques corrections notamment concernant le terme de photoionisation ainsi que pour inclure les collisions ´electron-ion [44]. Cette approche, bien que satisfaisante d’un point de vue th´eorique, est difficile `a mettre en place num´e- riquement et fait intervenir de tr`es longs calculs. Une approche plus simple a donc ´et´e choisie pour la suite de ce manuscrit : le mod`ele `a ´equations de taux multiples.

1.4.3

Equations de taux multiples´

Le mod`ele `a ´equations de taux multiples (MRE) a ´et´e propos´e en premier lieu par B. Rethfeld [51] (il est d’ailleurs souvent appel´e mod`ele de Rethfeld dans la litt´era- ture). Historiquement, ce mod`ele a ´et´e mis au point pour offrir une description simple (compar´e `a l’´equation de Boltzmann) mais non simpliste (compar´e `a l’´equation de taux unique ou SRE). Quelques ajustements ont ensuite ´et´e effectu´es pour ´etendre le mo- d`ele aux processus de relaxation, notamment par B.H. Christensen et P. Balling [58]. Il repose sur une description de la bande de conduction en une s´erie de niveaux discrets espac´es d’une ´energie ´egale `a celle des photons de l’impulsion laser et portant chacun une densit´e d’´electrons not´ee ρi pour le ièmeniveau. Il est alors possible d’´ecrire (comme

le nom du mod`ele l’indique) les ´equations de taux correspondant aux populations de ces diff´erents niveaux ´energ´etiques. Les diff´erents processus (notamment de relaxation) peuvent ensuite ˆetre ajout´es de mani`ere ph´enom´enologique. Ainsi, les ´equations de taux

E

g Absorption multiphotonique Chauf age Collision Ionisation par impact Piégeage vb ste 1 i k

E

imp

h

h

h

Dépiégeage Recombinaison

Figure 1.11 – Illustration des diff´erents processus consid´er´es dans le cadre du mod`ele `a ´

equations de taux multiples. Sont inclus l’absorption multiphotonique, le chauffage, les col- lisions dans la bande de conduction, l’ionisation par impact et le pi´egeage des ´electrons de conduction. Le symbole d e d´esigne la partie enti`ere plus un.

portant sur les niveaux de conduction et de pi´egeage s’´ecrivent :

∂ρ1 ∂t = ρvbσnI n+ ρ steσnsteI nste− σ heatρ1 I + 2 ˜α ρvb ρvb,i ρkρ1 ρcb Wste (1.19) . . ∂ρi ∂t = σheat(ρi−1− ρi) I ρi ρcb Wste (1.20) . . ∂ρk ∂t = σheatρk−1 I − ˜α ρvb ρvb,i ρkρk ρcb Wste (1.21)

o`u k est le premier niveau d’´energie sup´erieure `a Eimp (cf ´equation 1.9). Soit,

k = E imp  (1.22) avec d e d´esignant la partie enti`ere plus un. Ainsi, l’´evolution de la densit´e totale d’´elec- trons de conduction, de STE et d’´electrons de valence satisfait le triplet d’´equations :

                   ∂ρcb ∂t = ρvbσnI n+ ρ

steσsteInste+ ˜αρρvb,ivb ρk− Wste ∂ρste ∂t = Wste− ρvbσnsteI nste− W rec ∂ρvb ∂t = − ∂ρcb ∂t∂ρste ∂t (1.23)

Dans le membre de droite de la premi`ere de ces trois ´equations, nous reconnaissons suc- cessivement l’absorption multiphotonique `a n photons, le d´epi´egeage qui est en r´ealit´e l’absorption multiphotonique de nste photons par un exciton, l’ionisation par impact,

et le pi´egeage. Dans la seconde ´equation, nous voyons que la population des excitons peut uniquement croˆıtre via le pi´egeage des ´electrons de conduction, et d´ecroˆıtre par d´epi´egeage ainsi que par recombinaison des STE.

Toutes les sections efficaces (σn, σste, σheat et ˜α) sont suppos´ees constantes. Le terme

de pi´egeage peut varier d’un mat´eriau `a l’autre. Dans le quartz, il a ´et´e prouv´e que le pi´egeage suivait une loi exponentielle de temps caract´eristique τste = 150f s [74]. Ainsi,

Wste =

ρcb

τste

(1.24)

Dans le saphir, la question de la dynamique du pi´egeage demeure un sujet en d´evelop- pement (comme nous l’avons vu dans le paragraphe 1.3.3). Un mod`ele sera propos´e et confront´e `a des mesures exp´erimentales pour tenter de d´eterminer la forme de ce terme dans le chapitre 4.

De mˆeme, le terme de recombinaison Wrec n’est pas bien connu. Sa forme fera ´egale-

ment l’objet d’une ´etude au chapitre 4 dans le cas du saphir.

La propagation de la pompe dans le solide peut ensuite ˆetre trait´ee de deux mani`eres diff´erentes. De la mani`ere la plus simple possible, en prenant en compte uniquement sa d´epl´etion ou de fa¸con plus complexe en r´esolvant l’´equation de Schr¨odinger non- lin´eaire comme d´ecrit dans l’excellent article d’A. Couairon et al. [85]. Nous utiliserons la premi`ere de ces mani`eres dans toute la suite. L’´evolution de l’´eclairement de la pompe dans le mat´eriau s’´ecrit alors simplement par conservation de l’´energie :

∂I

∂z = −nhνρvbσnI

n− n

stehνρsteσsteInste− σheatρcbI (1.25)

o`u ν est la fr´equence du laser de pompe. Notons que le chauffage apparaˆıt dans cette ´equation de conservation de l’´energie (3ème terme du membre de droite) alors qu’il ´etait

absent des ´equations d’´evolution des population 1.23.

Comme nous pouvons le constater, ce mod`ele fait intervenir plusieurs ´equations diff´e- rentielles dont le nombre d´epend du mat´eriau. Ces ´equations sont relativement faciles `a r´esoudre num´eriquement (surtout en comparaison de celles du mod`ele pr´ec´edent). Ceci en fait un mod`ele simple `a mettre en place et `a comparer aux r´esultats exp´erimen- taux. Toutefois, comme dans tout mod`ele ph´enom´enologique, la difficult´e r´eside dans le nombre de param`etres impliqu´es. Comme nous l’avons soulign´e dans les paragraphes pr´ec´edents, les diff´erentes sections efficaces comme les temps caract´eristiques sont mal connus et ce, mˆeme pour les mat´eriaux les plus ´etudi´es. Un long travail d’optimisation est donc n´ecessaire pour arriver `a reproduire les r´esultats d’exp´eriences. Parall`element, lorsque le nombre de param`etres laiss´es libres d’un mod`ele augmente, il devient pos- sible de reproduire n’importe quel r´esultat. Il faut donc garder `a l’esprit que, pour ˆetre convaincant, ce type de mod`ele doit reproduire beaucoup de r´esultats exp´erimentaux. Nous verrons dans les chapitres 3, 4, et 5 si ce mod`ele r´esiste de mani`ere qualitative et quantitative `a l’exp´erience lorsque les r´esultats deviennent nombreux.