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Mod´elisation bas´ee agents

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 27-32)

2.2.1 Simulation sociale

Les mod`eles computationnels offrent donc un int´eressant compromis entre la flexi-bilit´e du langage naturel et la rigueur des math´ematiques. Les sciences sociales ont per¸cu dans la simulation une voie int´eressante pour ´etudier les ph´enom`enes sociaux, qui pouvait avantageusement compl´eter les mod`eles discursifs traditionnels. Lasimulation sociale d´esigne cette approche qui utilise la simulation pour enrichir la compr´ehension des ph´enom`enes sociaux.

Le mod`ele de s´egr´egation de Thomas Schelling [Schelling, 1971] constitue une application c´el`ebre de la simulation `a un ph´enom`ene social. Dans ce mod`ele, chaque cellule de la grille repr´esente un logement. Chaque logement peut ˆetre libre ou occup´e par un individu ou foyer d’une ethnie donn´ee. Chaque individu supporte une proportion donn´ee de voisins d’une ethnie diff´erente. Si ce seuil n’est pas atteint, l’individu demeure dans son logement. Au del`a de ce seuil, l’individu d´em´enage vers une cellule vide choisie al´eatoirement dans la grille. La grille est initialis´ee al´eatoirement.

Pendant la simulation, on observe une stabilisation progressive de la r´epartition r´esidentielle. Des quartiers r´esidentiels blancs ou noirs apparaissent, qui peuvent qualitativement ˆetre compar´es `a la s´egr´egation r´esidentielle observ´ee sur le terrain.

Mais surtout, la simulation montre qu’une population tol´erante, qui accepte mˆeme d’ˆetre en minorit´e ethnique jusqu’`a un certain point, ´evolue ´egalement vers de telles structures segr´egatives. Ce seuil ´etonnamment bas permet de mieux comprendre comment une population non raciste g´en`ere des zones r´esidentielles uniformes.

La simulation sociale, comme toute innovation, connaˆıt une diffusion progressive. Les premiers travaux par simulation du g´eographe Torsten H¨agerstrand [H¨agerstrand, 1952]

demeur`erent discr`etement cantonn´es au domaine de la g´eographie [Daude, 2006]. Le mod`ele de segr´egation de Thomas Schelling [Schelling, 1971] a provoqu´e un int´erˆet im-portant, d´emontrant l’apport ind´eniable de l’approche de simulation pour les sciences sociales. Le “d´ecollage” de l’innovation que constitue la simulation sociale pourrait se situer au d´ebut des ann´ees 1990 [Axelrod, 1997], ce qui en fait un domaine de recherche adolescent [Axtell, 2006]. Les travaux d’Epstein et Axtell sur le march´e artificiel Su-garScape [Epstein et Axtell, 1996] ont vivement attir´e l’attention des ´economistes. La

2.2. MOD ´ELISATION BAS ´EE AGENTS 17 pr´esentation de Huston [Huston et al., 1988] est souvent consid´er´ee comme marquant un int´erˆet exponentiel en ´ecologie [Grimm, 1999]. Pendant les ann´ees 1990, plusieurs ou-vrages rapportent l’´evolution de la simulation sociale, qu’elle soit appliqu´ee `a l’´ecologie [Coquillard et Hill, 1997] ou aux ph´enom`enes sociaux en g´en´eral [Conteet al., 1997, Gilbert, 1994]. Par la suite, la rencontre de la simulation sociale avec le concept de syst`eme multi-agents a conduit aux simulations sociales bas´ees agents.

2.2.2 Syst`emes multi-agents

Avec l’´evolution de l’intelligence artificielle, et notamment des travaux en intelli-gence distribu´ee et syst`emes experts, est apparue la notion de syst`emes multi-agents. Les syst`emes multi-agents (SMA) d´ecrivent des entit´es autonomes - les agents - en interaction dans un environnement. [Ferber, 1995, Wooldridge, 2002]. Un agent est [Ferber, 1995, p. 13] une entit´e physique ou virtuelle (un programme) autonome, c’est-`a-dire qu’il est capable d’agir sans l’intervention d’un autre agent. L’agent est capable d’agir dans un environnement, de communiquer avec d’autres agents, et de percevoir son environnement. Encore n’est-il capable de percevoir cet environnement que de fa¸con limit´ee, `a la fois par la port´e de ses sens - vue, audition, toucher - mais aussi par ses capacit´es de traitement cognitives. Lesagents r´eactifs sont fortement coupl´es `a l’environnement, c’est-`a-dire qu’ils r´eagissent principalement `a des stimuli externes (in-sectes, par exemple). Les agents cognitifs, quant `a eux, poss`edent desobjectifs qui leur sont propres (motivations, besoins, survie). Il forment des repr´esentations du monde, et mettent en oeuvre des processus internes complexes pour accomplir ces buts. Un rongeur cartographie son environnement ; l’ˆetre humain est un agent cognitif dot´e de facult´es de symbolisation et de raisonnement tr`es complexes. La notion d’agent permet d’aborder sous un mˆeme angle des entit´es r´eelles ou virtuelles tr`es diff´erentes, telles que des humains, des animaux, des ´el´ements d’interface homme-machine, des robots, des t´el´ephones ou des capteurs.

Sur la base d’interactions et de comportements individuels tr`es simples, il arrive qu’une dynamique extrˆemement complexe ´emerge. Les syst`emes multi-agents sont, en ce sens, des syst`emes complexes (2.1.3). L’organisation d’une fourmilli`ere en est un bon exemple. D’un point de vue individuel, les fourmis sont des agents r´eactifs tr`es simples, incapables de se repr´esenter les buts de la fourmilli`ere, ni de cartographier leur environ-nement. Lors de la recherche de nourriture, la fourmi ´evolue al´eatoirement dans l’en-vironnement. Si elle rencontre une marque de ph´eromones, elle suit cette piste jusqu’`a la nourriture. Quand elle est alourdie par la nourriture, l’abdomen de la fourmi frotte contre le sol, marquant son passage. De ce comportement individuel purement r´eactif et local ´emerge une intelligence collective, qui permet `a la fourmilli`ere de d´ecouvrir et r´ecup´erer efficacement la nourriture pr´esente dans son environnement. En utilisant le paradigme multi-agents, on peut d´ecrire les fourmis comme des agents pilot´es par les r`egles d´ecrites ; en simulant l’´evolution du syst`eme, on constate la reproduction du comportement de fourragement classique [Drogoul et Ferber, 1992], ce qui permet de supposer que la th´eorie des fourmis dirig´ees par ces r`egles est plausible.

2.2.3 Simulation bas´ee agents

Les syst`emes multi-agents d´ecrivent donc des entit´es autonomes en interaction dans un environnement. Cette structure permet de mod´eliser ´el´egamment des syst`emes sociaux, en assimilant chaque individu ou groupe (foyer, entreprise ou autre) du monde r´eel `a un agent, et en repr´esentant les interactions entre ces agents.

Chaque agent peut poss´eder ses caract´eristiques propres (h´et´erog´en´eit´e), et ´evoluera en fonction de son exp´erience propre. Cet individu influence et subit l’influence des autres individus ; leurs interactions font ´emerger des ph´enom`enes collectifs.

C’est ce que l’on appelle les mod`eles bas´es agents (parmi les ouvrages r´ecents, on notera [Amblard et Phan, 2006],[Phan et Amblard, 2007] ou le moins connu [Perez et Batten, 2006]). La mod´elisation bas´ee agents (MBA) se propose donc de mod´eliser des dynamiques sociales en utilisant cette m´ethaphore sociale des syst`emes multi-agents. La MBA est par essence un domaine pluridisciplinaire, `a l’interface entre les sciences sociales, les syst`emes multi-agents, et la mod´elisation. La simulation bas´ee agent devient la troisi`eme voie pour progresser dans l’´etude des ph´enom`enes sociaux [Axelrod, 1997]. La MBA a ´et´e utilis´ee pour ´etudier des mod`eles biologiques, de comportement d’insectes ou de primates, ou l’apparition de villes [Treuilet al., 2008].

Tandis qu’un syst`eme multi-agents est une organisation d’agents d´evelopp´ee pour remplir un but [Wooldridge, 2002], la simulation sociale orient´ee agents utilise la m´etaphore sociale des agents pour reproduire une dynamique sociale. A chacune de ces approches correspond un ensemble de probl´ematiques et d’outils propres.

Le syst`eme multi-agents est con¸cu pour r´esoudre un probl`eme, satisfaire un but, respecter des contraintes. Un mod`ele multi-agents cherche avant tout `a reproduire pour mieux comprendre. Les outils langages, plateformes, m´ethodologies -d´evelopp´es pour les syst`emes multi-agents ne sont donc pas toujours pertinents pour la mod´elisation bas´ee agents.

L’avantage du concept d’agent est sa g´en´ericit´e. De mˆeme que l’´ethologie analyse sous un mˆeme angle animaux et humains, le concept d’agent recouvre des entit´es aussi di-verses que des robots, animaux, voitures, entreprises, agents d’interface ou programmes informatiques. La MBA offre une approche commune, des plateformes de simulation, des m´ethodologies, des langages de mod´elisation susceptibles d’ˆetre r´eutilis´es pour n’im-porte quel ph´enom`ene bas´e sur des entit´es autonomes en interaction. Le concept est d’ailleurs suffisamment g´en´erique pour que le concept d’agent soit parfois d´enatur´e, conduisant `a des mod`eles bas´es agents dans lesquels il est difficile de trouver un agent conforme `a la d´efinition rapport´ee plus haut [Drogoul, 2003].

Parmi leurs nombreux avantages [Axtell, 2000], nous retiendrons que les mod`eles bas´es agents permettent d’´etudier le lien micro-macro, d’int´egrer les facteurs explica-tifs pr´esents au niveau individuel, constituant finalement des mondes artificiels dans lesquels l’exp´erimentation devient ais´ee.

2.2. MOD ´ELISATION BAS ´EE AGENTS 19 Etudier le lien micro-macro

Lorsque l’on ´etudie un syst`eme, on peut le mod´eliser au niveau macro, comme un tout. Les math´ematiques s’av`erent particuli`erement puissantes pour d´ecrire ce niveau agr´egatif. On peut ´egalement d´ecomposer le syst`eme en un ensemble d’´el´ements, le r´eduire aux parties qui le composent (approche r´eductionniste). Toutefois, si le syst`eme est complexe, il n’est plus r´eductible, car l’´emergence fait que le tout devient plus (ou autre chose) que la somme de ses parties. L’approche holiste renonce alors `a d´ecomposer le syst`eme, `a expliquer ou `a observer l’´emergence, et se focalise sur le niveau macro-scopique.

La mod´elisation bas´ee agents offre un niveau d’´etude interm´ediaire. Le syst`eme est effectivement d´ecompos´e en tant qu’agents et interactions entre agents. La simulation reproduit le ph´enom`ene d’´emergence. Le mod´elisateur peut alors analyser le comporte-ment du syst`eme `a la fois au niveau individuel et au niveau collectif. Il peut ´etudier un agent, un groupe d’agents et leurs interactions, pour mieux comprendre l’´emergence.

L’´etude du lien micro-macro fut d’ailleurs au centre des travaux en mod´elisation multi-agents [Axtell, 2006].

Int´egrer les facteurs explicatifs

Dans de nombreux cas, notamment dans la diffusion d’innovations, les facteurs explicatifs du ph´enom`ene collectif r´esident au niveau individuel. Si l’on mod´elise ces ph´enom`enes sociaux au niveau macroscopique - dans le cas de la diffusion d’innovation, en reproduisant la courbe d’adoption en “S” - il est impossible de repr´esenter ces facteurs explicatifs (imitation, compr´ehension d’une information par exemple). Comme l’´ecrivait Wickens en 1982 [Wickens, 1982, p. 9], repris r´ecemment par [Hedstr¨om et Swedberg, 1998] : “les mod`eles agr´egatifs d´ecrivent `a quoi les donn´ees ressemblent, mais pas d’o`u elles viennent”. Les mod`eles bas´es agents permettent de travailler sur les deux ´echelles, en d´ecrivant les facteurs explicatifs au niveau local et en v´erifiant la dynamique ´emergeant des interactions.

Int´egrer les facteurs explicatifs d’un ph´enom`ene dans un mod`ele permet tout d’abord de v´erifier que ces facteurs explicatifs suppos´es correspondent bien `a la r´ealit´e. De plus, ces facteurs explicatifs correspondent parfois `a des variables d´ecisionnelles. Par exemple, en diffusion d’innovations, un mod`ele qui ne repr´esente pas l’impact de la publicit´e peut difficilement ˆetre utilis´e comme outil d’aide `a la d´ecision.

Des mondes artificiels

Un mod`ele bas´e agents constitue une forme de “monde artificiel”. Dans ce labo-ratoire, il est possible d’effectuer `a l’infini des exp´eriences en variant les param`etres du mod`ele [Drogoul et al., 1994]. On peut reproduire dans le mod`ele des actions que l’on n’aurait pas pu, ou que l’on ne souhaite pas ex´ecuter dans un syst`eme r´eel. Les mod`eles ´epid´emiologiques illustrent bien ce b´en´efice. Les ´epid´emies sont heureusement relativement rares et ne permettent pas de tester diff´erentes strat´egies sanitaires pour

limiter la pand´emie. Il est d’ailleurs ´ethiquement peu souhaitable de tester ces solutions en milieu r´eel en risquant de nombreuses vies humaines. Par contre, un mod`ele suffi-samment descriptif permet de tester diff´erentes strat´egies, et de n’appliquer que celles qui semblent les meilleures sur le terrain. A l’´evidence, il est n´ecessaire de disposer de mod`eles suffisamment descriptifs pour effecter de telles exp´eriencesin silico.

De faibles contraintes

Les mod`eles multi-agents se reposant sur un symbolisme peu contraignant, ils offrent une grande flexibilit´e au mod´elisateur. Il est ainsi possible de repr´esenter l’h´et´erog´en´eit´e des agents, non seulement dans leurs caract´eristiques permanentes (pr´ef´erences, moti-vations, caract´eristiques sociales) mais ´egalement dans leurs diff´erences d’exp´erience (connaissances, exp´eriences personnelles). Il est possible de repr´esenter des comporte-ments individuels complexes ou des interactions structur´ees. Par ailleurs, les mod`eles multi-agents demeurent compatibles avec les outils math´ematiques. Le comportement ou les ´etats d’un agent peuvent ˆetre d´ecrits math´ematiquement. Il est parfois possible de ramener un mod`ele bas´e agents `a un syst`eme dynamique [Treuilet al., 2008].

2.2.4 Structure g´en´erale d’un mod`ele multi-agents

Il existe une grande vari´et´e de mod`eles multi-agents dont la structure peut fortement varier. Nous d´ecrivons ici la structure d’un mod`ele de population humaine, telle qu’elle existe dans les mod`eles de dynamique d’opinion, de culture ou de diffusion d’innova-tions. Cette structure d´ecoule naturellement de la d´efinition d’un syst`eme multi-agents : un ensemble d’entit´es autonomes en interaction dans un environnement.

L’agent lui-mˆeme, en tant qu’entit´e autonome, est d´efini par un ensemble de r`egles ou algorithmes qui lient ses perceptions, son ´etat interne, ses motivations et son com-portement. Cette structure est plus ou moins complexe en fonction de la position de l’agent sur le continuum r´eactivit´e-cognitivisme. Des structures cognitives issues de l’intelligence artificielle, qui visent `a la g´en´ericit´e, peuvent ˆetre utilis´ees (voir notam-ment [Sun, 2005]). La plupart du temps, la structure interne de l’agent est construite en fonction du ph´enom`ene `a mod´eliser.

On distingue souvent diff´erents types d’agents, par exemple des agents fournisseurs et des agents clients, des agents entreprises et clients, etc.

Les interactions entre les agents sont g´en´eralement consid´er´ees comme des envois de messages. Cette approche conserve la notion d’autonomie, c’est-`a-dire que l’on peut envoyer une information `a un agent, mais qu’il est impossible d’acc´eder directement `a son ´etat interne ; c’est `a l’agent de traiter ou non ce message, de r´epondre ou non `a une demande.

La structure des interactions d´efinit qui interagit avec qui dans la population.

Lesautomates cellulaires [Toffoli et Margolus, 1987, Gutowitz, 1991] d´efinissent les in-teractions par voisinage spatial - chaque agent interagissant avec ses voisins - ce qui en

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