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Dans le contexte de la mécanique des fluides, le problème de la représentation des processus sous- mailles est appelé problème de fermeture turbulente. On distinguera trois types de modélisation sous-maille utilisées dans les modèles de climat.

Les premiers modèles sont inspirés des idées de Bousssinesq et Reynolds [Boussinesq, 1877,

Reynolds, 1883]. On les appelle les Reynolds Average Navier Stokes (RANS). Ils sont basés sur

la décomposition de Reynolds, qui sépare les champs en une partie moyenne (résolue) et une partie fluctuante (non-résolue) via une opération de moyenne d’ensemble. Appliquer l’opération de moyenne à l’équation d’évolution microscopique (i.e. les équations de Navier-Stokes) pour obtenir l’équation d’évolution du champ moyen fait apparaître des termes d’origines fluctuantes, non résolues, qui doivent être modélisés. On suppose généralement une séparation d’échelle qui justifie une forme d’équilibre thermodynamique local (i.e. les petites échelles fluctuantes ont un temps de relaxation vers leur comportement "moyen" bien plus rapide que pour les échelles ré- solues). Il s’agit d’une hypothèse assez similaire à celle utilisée en théorie cinétique des gaz pour dériver les équations de la dynamique des fluides et des coefficients de transport (comme la vis- cosité et la diffusivité moléculaire) à partir de la dynamique atomique (voir [Kremer, 2010] pour une introduction sur le sujet). On introduit alors des paramètres comme la viscosité turbulente pour représenter le caractère mélangeant de la turbulence.

Plus tard, des modèles appelés Large Eddy Simulation (LES) on été proposés [Smagorinsky, 1963] (voir aussi [Pope, 2001] chapitre 13 et [Lesieur and Metais, 1996,Meneveau and Sagaut, 2006]). Ils sont basés sur un filtrage spatio-temporel qui décompose les champs en une partie filtrée (résolue) et une partie résiduelle (non résolue). En filtrant l’équation microscopique pour ob- tenir l’équation d’évolution du champ filtré, on a le même problème que pour les modèles de type RANS : des termes faisant intervenir les champs résiduels interviennent et on a besoin de les modéliser. La modélisation des termes résiduels en LES n’est pas fondamentalement diffé- rente de la modélisation des termes fluctuants en RANS, excepté pour les modèles dynamiques [Germano et al., 1991].

Les modèles stochastiques se basent sur le formalisme de la physique statistique (ou des systèmes dynamiques stochastiques). Le principe de ces modèles est de séparer les variables lentes (réso- lues) des variables rapides (non-résolues) [Hasselmann, 1976,Frankignoul and Hasselmann, 1977,

Lemke, 1977, Majda et al., 2001, Majda et al., 2003, Franzke et al., 2015, Berner et al., 2017].

Certains de ces modèles se basent sur l’approche des projecteurs [Zwanzig, 1965, Mori, 1965b,

Mori, 1965a, Kawasaki, 1973, Zwanzig, 2001]. Ce type de méthode permet d’écrire, au moins

formellement, l’équation d’évolution satisfaite par les variables lentes en tenant compte de l’effet des variables rapides. À notre connaissance, les termes faisant intervenir les variables rapides sont toujours simplifiés en supposant la séparation d’échelle (voir par exemple la section 2.4 de

[Gottwald et al., 2017]). En fait, la séparation d’échelle est implicite à partir du moment où l’on

divise le système en variables lentes et variables rapides. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, on finit souvent par considérer un bruit blanc Gaussien pour représenter la variabilité des variables rapides.

Afin d’illustrer le principe d’une fermeture turbulente, on considère l’équation d’évolution de la température

∂tT + ∇ · (T v − κ∇T ) ≡ ∂tT + ∇ · J = 0, (5.12)

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le flux de température. Les quantités sont filtrées par un filtre de largeur typique τ noté Kτ, qui

est normalisé ˆ ˆ

(r0− r, t0− t) dr0 dt0= 1. (5.13)

Le champ filtré qτ associé à la quantité q est

(r, t) =

ˆ ˆ

(r0− r, t0− t)q(r0, t0) dr0 dt0. (5.14)

En filtrant l’équation (5.12), on montre que

∂tTτ+ ∇ · (T v − κ∇T )τ ≡ ∂tTτ+ ∇Jτ= 0 (5.15)

∂tTτ+ ∇ · (Tτvτ) = ∇ · (κ∇Tτ+ Tτvτ− (T v)τ) (5.16)

Le second terme du second membre a besoin d’être modélisé. Le modèle le plus simple consiste à introduire un coefficient de diffusivité turbulente κT pour représenter empiriquement le caractère

mélangeant de la dynamique : Tτvτ− (T v)τ= κT∇Tτ. La modélisation stochastique se limite en

général à ajouter un terme de bruit à l’équation. Dans ce cas, l’équation d’évolution du champ filtré est

∂tTτ+ ∇ · (Tτvτ) = ∇ · ((κ + κT)∇Tτ) + σ

dWt

dt , (5.17) où σ est l’amplitude du bruit et Wtest un processus stochastique dont la nature précise n’a pas

d’intérêt ici.

Les approches usuelles posent plusieurs problèmes :

1. Les modèles les plus simples en diffusion turbulente ne fonctionnent que pour un nombre réduit d’écoulement. On cherche donc parfois à modéliser l’effet des champs résiduels sur les champs filtrés de façon anisotrope avec, par exemple, une version tensorielle de la viscosité turbulente pour améliorer la prédictibilité du modèle (voir par exemple

[Carati and Cabot, 1996] ou [Meneveau and Sagaut, 2006] chapitre 6). Pourtant, si on

prend en compte le fait qu’un fluide newtonien comme l’atmosphère ou l’océan est bien décrit par une réhologie isotrope, et que l’anisotropie de l’écoulement est induite par un forçage opérant sur une taille typique L = V1/D et un temps T , il parait plus naturel de considérer que le comportement aux échelles dr1/D |∆r|1/D L et dt  ∆t  T soit

isotrope et indépendant de la nature précise du forçage. Il est donc communément admis que la dynamique des échelles intermédiaires de la turbulence a un caractère universel et isotrope [Kolmogorov, 1941] ;

2. La séparation d’échelle, sur laquelle repose la forme des paramétrisations les plus simples (avec l’introduction des coefficients de transports turbulents) est une des hypothèses utili- sées en théorie cinétique. Elle permet de dériver les équations de la mécanique des fluides à partir de la dynamique des particules en supposant de faibles écart à l’équilibre thermo- dynamique local. Cela se justifie en comparant le temps moyen entre deux collisions d’une particule, qui varie peu dans un gaz normal, au temps macroscopique d’intérêt. Cette hy- pothèse est aussi appliquée avec succès aux fluides 2D [Kraichnan and Montgomery, 1980,

Bouchet and Venaille, 2012], et plus généralement aux systèmes à interaction à longue

portée [Campa et al., 2009]. Les équations obtenues pour les applications en climat font l’objet d’investigations mathématiques (voir par exemple [Debussche et al., 2012]) et per- mettent des simulations sur des périodes de temps beaucoup plus longues. Cependant, la séparation d’échelle n’a pas de justification dans le cas des fluides géophysiques 3D avec forçage et dissipation [Yano, 2015]. En effet, en l’absence de mécanismes spécifiques

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(comme les propriétés spécifiques aux fluides 2D), il n’y a aucune raison pour que les processus dynamiques intervenants sur des échelles d’espaces l ∼ |∆r|1/3 et de temps τ ∼ |∆t| soient considérés comme à l’équilibre à l’échelle de la maille. On sait que les

effets de mémoire sont importants dans le cas où l’on n’a pas de séparation d’échelle. Ces effets sont observables sur la dynamique moyenne, ce qui motive la construction de modèles qui représentent le transport des variables caractérisant la turbulence (comme l’énergie cinétique turbulente) par l’écoulement moyen (voir par exemple [Rotta, 1951,

Jones and Launder, 1972, Launder and Spalding, 1974, Pope, 2001] pour une approche

mécanique des fluides et [Mellor and Yamada, 1982,Detering and Etling, 1985] pour des applications géophysiques). Il est aussi connu que cette non-séparation d’échelle a une influence sur le bruit à utiliser (voir par exemple [Wouters and Lucarini, 2012]).

3. Les paramètres introduits ne tiennent pas toujours compte de la résolution du maillage2.

Cela pousse les modélisateurs à introduire d’avantage de paramètres dans les fermetures tur- bulentes. L’introduction de paramètres supplémentaires n’est pas gênante pour les applications où la calibration est réalisable. En revanche, elle l’est pour l’étude du climat où il faut tenir compte de nombreux autres paramètres intervenant dans la représentation de la biosphère, de la cryosphère, ... Ces problèmes sont bien connus par la communauté des modélisateurs (voir par exemple [Franzke et al., 2015,Berner et al., 2017]).

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