• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Asymétries des plissements du cortex

G. Origines des asymétries précoces des régions temporales postérieures

G.1 Modélisations de la formation des plissements

Les modèles morphogénétiques décrivent les mécanismes de la formation des plissements

du cortex sous une influence génétique (Figure 42, p.122). Une première série d’entre eux s’intéressent à l’initiation des plissements à partir d’une distribution spatiale préexistante de morphogènes [Lefevre, 2010; Striegel, 2009]. Un second type de modèles décrit l’évolution de la morphologie des plissements à partir de contraintes mécaniques des tissus [Toro, 2005; Xu, 2010].

Inspirés par les travaux de Turing sur la génération de motifs aléatoires, comme les taches sur les pelages des fauves, Lefevre et coll. [2010] ont montré qu’il était possible de générer des

120

plissements aléatoires à la surface d’une sphère à partir de seulement deux morphogènes. Les plissements produits ont des dimensions et des formes comparables aux plissements du cortex.

La distribution spatiale des deux morphogènes activateurs et inhibiteurs est essentielle pour la localisation future des gyri et des sulci. L’existence d’une telle carte génétique a été suggérée par Rakic [Rakic, 1988]. Compte-tenu de la régularité de l’apparition des sillons à la surface du cortex [Chi, 1977a; Dubois, 2008b; Garel, 2001], cette carte s’apparenterait au dessin

schématique des « racines sulcales » [Cachia, 2003b; Regis, 2005].

A partir d’un modèle basé également sur deux morphogènes, Striegel et coll. [2009] se sont intéressés à l’effet de la forme des ventricules sur la localisation des plissements. La région ventriculaire constitue le lieu principal de la neurogénèse [Rakic, 1988] et serait donc à l’origine du profil d’expression génétique des neurones. La distribution spatiale des morphogènes serait ainsi directement liée à la forme des ventricules. Lorsque le ventricule s’allonge, les sillons

transverses à la direction du ventricule, tels que le sillon central ou la fissure calcarine, apparaissent plus tôt et précèdent les sillons parallèles, comme le sillon frontal supérieur ou

le STS. En modélisant l’allongement des ventricules chez trois espèces animales, incluant l’homme, l’orientation des sillons primaires, parallèle ou transverse, a pu être prédite.

Un second type de modèles morphogénétiques s’appuie sur les propriétés de viscoélasticité des tissus pour décrire l’évolution de la morphologie des plissements. Les

neurones, en particulier les dendrites et les axones, s’allongent sous l’effet d’une tension (viscosité ou plasticité) et se rétractent quand la tension n’est plus exercée (élasticité) [Chada, 1997; Van Essen, 1997].

Toro et Burnod [2005] ont montré que la viscoélasticité de la matière grise et des fibres

radiales au cortex (gliales et axonales) suffisaient à expliquer la formation de plissements. Dans leur modèle, les premiers plissements sont induits localement par une plus grande plasticité d’une région du cortex, du fait, par exemple, d’une cytoarchitecture spécifique. Les fibres radiales sont de simples forces de rappel et jouent un rôle mineur dans la formation des plissements.

Ce modèle a été complété récemment par des expériences de microdissections réalisées pendant la formation des plissements chez le furet. Xu et coll. [2010] ont confirmé le rôle essentiel de la tension au sein du cortex, induite par ses propriétés de viscoélasticité, et le rôle

121

mineur des fibres radiales au cortex pendant toute la phase d’initiation du plissement. Par ailleurs, ces auteurs ont observé que les fibres de substance blanche profondes exercent une

tension perpendiculaire aux plissements en formation. Ils ont donc proposé une variante au

modèle de Toro et Burnod en remplaçant les fibres radiales par des fibres perpendiculaire au plissement. Plus la tension de ces fibres profondes est importante, plus les plissements seraient marqués.

A l’opposé des modèles morphogénétiques, le modèle de tension des fibres de Van Essen [1997] accorde un poids prépondérant aux tensions exercées sur le cortex par les axones. Dans cette théorie, les fibres à courtes distances, ou fibres en U, formeraient les plissements en tirant sur les régions corticales voisines tandis que les fibres à longues distance contrôleraient le degré de gyration en s’opposant à la multiplication des plissements. Ces deux principes ont été remis en cause récemment.

D’une part, l’énucléation des yeux chez le furet immature, qui perturbe le développement des fibres thalamiques arrivant dans le cortex visuel, a pour effet, non pas d’augmenter, mais de diminuer le degré de plissement dans cette région [Reillo, 2010]. Contrairement au modèle de tension des fibres, il est possible que les fibres à longue distance aient un effet plus tardif [Xu, 2010] ou plus indirect, en stimulant la prolifération des neurones dans la région sous-jacente au gyrus en formation [Reillo, 2010].

D’autre part, la microdissection de plusieurs gyri chez le furet n’a pas pu mettre en évidence de tension significative exercée par les fibres en U entre les murs d’un même gyrus [Xu, 2010]. Cependant, l’excellente correspondance des cartes rétinotopiques visuelles avec la morphologie des plissements chez l’homme et le singe [Rajimehr, 2009] suggère une connectivité dense et compacte de ces fibres au sein des gyri dans la région visuelle primaire [Van Essen, 1986]. Les fibres en U ne joueraient donc pas le même rôle dans la formation des plissements suivant les régions du cortex. Elles pourraient contribuer efficacement à la gyrification des aires

primaires, dont la maturation précoce stimulerait leurs développements et dans lesquelles a été

observée une bonne adéquation entre la cytoarchitecture et la morphologie sulcale [Fischl, 2008; Welker, 1990].

122

Figure 42. Modèles de la formation des plissements.

A. Initiation de plissements en trois dimensions à partir d’une carte aléatoire de morphogènes [Lefevre, 2010]. Ce modèle rend compte de configurations réalistes des plissements, notamment un sillon linéaire non segmenté (cas 1) et un sillon en deux segments (cas 2).

B. Influence de la forme du ventricule sur l’ordre d’apparition des sillons longitudinaux (en bleu) ou perpendiculaires (en rouge) au ventricule [Striegel, 2009]. Le modèle prédit l’apparition précoce des sillons perpendiculaires (ligne du haut) dans plusieurs espèces animales : le chat (cas 1), le lémurien (cas 2) et l’homme (cas 3).

C. Influence des fibres courtes, ou fibres en U, sur la formation des plissements [Van Essen, 1997].

D. Evolution temporelle de la croissance du cortex, modélisé en deux dimensions par un cercle [Toro, 2005]. Les plissements (a-d) se développent en suivant les variations de croissance imposées sur le cortex (faible croissance en bas).

E. Modification du modèle de Toro et Burnod, en ajoutant une contrainte de tension le long des fibres circulaires de substance blanche qui longent le cortex [Xu, 2010]. Apparition d’un plissement (cas b) puis de deux (cas c).

123