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C. Maturation du cortex

C.4 Acquisition du langage

Bon nombre de fonctions cognitives supérieures, comme le calcul et le langage, ont des prémices chez le nourrisson [Dehaene-Lambertz, 2002b]. Dans le cas du langage, le nourrisson

est doué de capacités essentiellement perceptives, tandis que ses capacités sont décevantes en

production. A l’opposé de l’adulte, il reconnaît d’abord la forme acoustique des mots puis lui associe un concept.

Très tôt après la naissance, le nourrisson est capable de classer grossièrement les langues suivant leurs caractéristiques mélodiques et rythmiques [Melher, 1986]. Il est sensible aux répétitions de phonèmes [Gervain, 2008]. Il discrimine quasiment tous les contrastes entre les consonnes de n’importe quelle langue humaine [Dehaene-Lambertz, 2002b]. Il réagit particulièrement aux voyelles de sa langue maternelle à six mois [Kuhl, 1992].

La combinaison de phonèmes intervient entre 6 et 9 mois. Le nourrisson apprend les règles phonotactiques, c’est-à-dire les successions de phonèmes permises à l’intérieur des mots de sa langue [Dehaene-Lambertz, 2002b]. Cet apprentissage s’appuie sur ses facultés à établir les fréquences des différents enchaînements de phonèmes (probabilités de transition) qu’il entend [Saffran, 1996] : au sein des mots, une suite de phonèmes fréquents ; entre les mots, une suite de phonèmes plus rares. Dans son effort pour segmenter le flot de paroles, il est aussi aidé par d’autres caractéristiques du langage oral, telles que le rythme et les intonations de la phrase, les micro-silences entre les groupes de mots [Pena, 2003], ou l’accentuation des mots [Jusczyk, 1997].

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A la fin de la première année, le nourrisson sait donc déjà beaucoup de choses sur les formes acoustiques possibles des mots de sa langue.

L’acquisition du langage repose sur un système auditif relativement mature à la naissance et sur l’existence de réseaux déjà fonctionnels dans le cortex, qui vont

progressivement se différencier.

Le son activerait le cortex auditif primaire dès le début du troisième trimestre de gestation [Jardri, 2008]. A la naissance, le cortex auditif possèderait des facultés spécifiques pour traiter des stimuli sonores semblables à ceux de la parole [Telkemeyer, 2009]. Il est organisé, comme celui de l’adulte, en réseaux fonctionnels distincts qui codent, en parallèle, les différentes propriétés d’un son. Parmi ces réseaux existe un réseau spécifiquement dédié au traitement des sons du langage [Dehaene-Lambertz, 2002b].

Pendant l’écoute de phrases, les activations sont bilatérales, le long des régions temporales supérieures, depuis une région postérieure au gyrus de Heschl jusqu’au pôle temporal (Figure 12, p.20). Elles correspondraient aux prémices des traitements observés chez l’adulte pour analyser les différents constituants de la parole : phonèmes, syllabes, mots, phrases. Les réponses aux stimuli auditifs sont cependant plus lentes que chez l’adulte [Dehaene-Lambertz, 2006].

Les activations dans les régions temporales sont plus fortes dans l’hémisphère gauche

que dans l’hémisphère droit du cerveau du nouveau-né [Pena, 2003]. Cette asymétrie existe pour des stimuli linguistiques, mais aussi pour des sons non linguistiques comme des tons. A l’âge de deux mois, une plus grande activité est rapportée dans la région du planum temporale gauche quand le nourrisson écoute une phrase [Dehaene-Lambertz, 2010], tandis que l’asymétrie est inversée quand les nouveau-nés écoutent de la musique [Perani, 2010].

Le traitement de la parole n’est pas réduit pas aux régions temporales supérieures dans les premiers mois de vie. En particulier, une activation significative du lobe frontal a été observée

chez les nourrissons éveillés pendant l’écoute de phrases, dans une région associée à des

mécanismes de mémorisation chez l’adulte [Dehaene-Lambertz, 2002a]. En outre, les régions frontales inférieures ont été stimulées par la répétition de phrases, suggérant une implication précoce de l’aire de Broca dans l’acquisition du langage (Figure 12, p.20) [Dehaene-Lambertz, 2006].

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Les réseaux fonctionnels du langage se développent et se différencient à mesure que le nourrisson se familiarise avec sa langue maternelle. Les processus neuronaux deviennent de plus en plus dédiés aux paroles entendues depuis la naissance (concept du « Native Language Neural Commitment », [Kuhl, 2004]). Dès l’âge de quatre mois, les réponses sont plus fortes à la langue maternelle qu’à une langue inconnue dans le gyrus temporal supérieur gauche, comme chez l’adulte [Minagawa-Kawai, 2011]. Réciproquement, la perte de la faculté à discriminer certains contrastes étrangers vers dix à douze mois pourrait correspondre à une moindre activation observée dans les régions temporales pendant cette période [Minagawa-Kawai, 2007].

La maturation de ces réseaux, dont le rythme serait contraint, se prolongerait jusqu’à l’âge adulte. Pendant la première année de vie, l’acquisition du langage serait contrainte par la

maturation neuronale. Ainsi, des prématurés ayant écouté leur langue maternelle pendant 9 mois, ne la reconnaissent pas mieux que des nouveau-nés à terme de 6 mois, dont l’âge corrigé équivaut à celui des prématurés [Pena, 2010]. Par ailleurs, la différenciation des aires temporales supérieures gauches, observée dès la première année, est suivie par une phase très longue d’épaississement du cortex jusqu’à l’âge adulte, unique à travers le cerveau [Sowell, 2002]. De même, la substance blanche du faisceau arqué, qui relie l’aire de Broca aux régions temporales postérieures, connait un développement prolongé [Paus, 1999].

Le bon développement des réseaux du langage suppose l’engagement actif du nourrisson, stimulé par les interactions sociales.

L’engagement du nourrisson est nécessaire pour qu’il apprenne à parler [Dehaene-Lambertz, 2008]. Une attention soutenue peut lui permettre d’extraire la multitude d’informations véhiculées par la parole, linguistiques ou émotionnelles, qui peuvent s’avérer très utiles pour segmenter les phrases. Il a été observé que les émotions modulaient les traitements de la parole dans l’hémisphère droit [Grossmann, 2008]. Dès deux mois, le nourrisson associe la voix qu’il entend avec le visage qu’il voit [Bristow, 2009]. Quand le nourrisson voit le visage articulant les sons, la détection des probabilités de transition serait facilitée [Teinonen, 2008].

L’acquisition du langage est fortement stimulée par l’interaction sociale. Des petits américains de 9 mois, exposés à seulement douze sessions de mandarin, ont pu atteindre le niveau de discrimination phonétique de nourrissons baignés dans la langue chinoise depuis leur naissance. L’apprentissage a réussi lorsque les nourrissons étaient en présence d’une personne

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