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Chapitre 1. Etude bibliographique

4. Transfert d’eau et d’ions lors du traitement thermique de la viande

4.4. Modélisation de la perte de poids à la cuisson

La modélisation de la perte de poids à la cuisson est un outil adéquat pour prédire l’influence des procédés de fabrication (durée et température de cuisson, teneur en sel, etc.) en minimisant les essais technologiques coûteux en temps et en argent. Avant de pouvoir prédire la perte de poids à la cuisson, la détermination de la température locale en tout point de l’échantillon est inévitable. La Figure 41 représente les phénomènes de transfert de chaleur et de matière ayant lieu au cours de la cuisson de la viande en four ou en bain-marie.

4.4.1. Modélisation du transfert de chaleur

Lors de la cuisson, deux phénomènes physiques peuvent transférer de la chaleur du milieu extérieur vers la viande : la convection et le rayonnement. Le rayonnement devient négligeable pour une cuisson en four si le traitement est fait dans la vapeur ou si les parois du four ont une émissivité faible. La convection est utilisée pour modéliser les transferts thermiques dès que le fluide en contact avec l’aliment est en mouvement, que ce soit en four (Chen, Marks & Murphy, 1999 ; Feyissa, Gernaey & Adler-Nissen, 2013 ; Goni & Salvadori, 2010 ; Huang & Mittal, 1995 ; Obuz, Powell & Dikeman, 2002), en bain-marie (Huang & Mittal, 1995 ; Kondjoyan, Oillic, Portanguen & Gros, 2013) ou en chambre froide (Wang & Sun, 2002). Le transfert par convection est lié à ce déplacement macroscopique du fluide en surface de la viande. Il s’effectue soit par convection libre dans un bain-marie statique ou dans l’air ambiant soit par convection forcée dans le cas d’un bain-marie agité ou d’un four à convection (dit souvent « pulsé »). Ce phénomène est décrit par la loi de Fourier : la quantité de chaleur (Q) est proportionnelle à la différence de température entre le milieu externe (Text) et la surface de la viande (TS), S étant la surface de la viande :

Équation 10

Le coefficient de transfert de chaleur (h) dépend de plusieurs facteurs comme la vitesse de l’air pour une cuisson en four ou de l’eau du bain marie, de la turbulence de l’écoulement, de la taille et de la forme de l’échantillon de viande. h varie entre 10 à 80 W.m-2.K-1 pour des cuissons classiques en four (Bottani & Volpi, 2009 ; Chen et al., 1999 ; Feyissa et al., 2013 ; Huang & Mittal, 1995 ; Obuz et al., 2002 ; Van der Sman, 2007) et entre 800 à 4500 W.m-2.K

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Le transfert de chaleur interne à la viande s’effectue au travers de la conduction et de la

migration du jus. Le transfert de chaleur par migration du jus est souvent supposé être négligeable devant le transfert conductif (Bottani & Volpi, 2009 ; Chen et al., 1999 ; Feyissa

et al., 2013 ; Goni & Salvadori, 2010 ; Huang & Mittal, 1995 ; Ishiwatari, Fukuoka & Sakai, 2013 ; Kondjoyan et al., 2013 ; Obuz et al., 2002 ; Van der Sman, 2007). Le transfert conductif est défini par la loi de Fourrier (Équation 11), λ étant la conductivité thermique de la viande, Cp sa capacité calorifique et ρ sa masse volumique. T est la température du produit et t la durée de cuisson.

𝜌 ∙ 𝐶𝑝𝜕𝑇

𝜕𝑡 = ∇(𝜆 ∙ ∇𝑇)

Équation 11

En supposant que la viande est isotrope et que λ est indépendant de la température, l’Équation 11 se traduit selon l’Équation 12 dans les trois directions de l’espace cartésien :

Équation 12

La conductivité thermique évolue peu pendant la cuisson (Baghe-Khandan & Okos, 1981 ; Oillic et al., 2011 ; Tsai, Unklesbay, Unklesbay & Clarke, 1998), elle dépend de la composition du produit, principalement de sa teneur en lipides (Rahman, 1995). Sa valeur est proche de 0,45 W.m-1.K-1 pour la viande (Obuz et al., 2002 ; Oillic et al., 2011). Les valeurs de masse volumique (ρ) prises pour la viande sont comprises entre 1040 et 1100 kg.m-3 et celles de sa capacité calorifique (Cp) entre 3200 et 4000 J.kg-1.K-1 (Bottani & Volpi, 2009 ; Chen et al., 1999 ; Kondjoyan et al., 2013 ; Obuz et al., 2002). La capacité calorifique évolue très peu avec l’augmentation de la température (Tsai et al., 1998).

4.4.2. Transfert d’eau durant la cuisson

Dans la littérature, plusieurs méthodes existent pour modéliser la perte de poids à la cuisson. Certains auteurs considèrent le transfert d’eau comme étant purement diffusif (Chen et al., 1999 ; Huang & Mittal, 1995). Le transfert d’eau est alors modélisé par la loi de Fick (Équation 13). La diffusivité de l’eau dans la viande (Deau) est considérée comme non dépendante de la température et de la teneur en eau. Huang & Mittal (1995) utilisent une valeur de Deau comprise entre 2,5 et 3,9 x 10-10 m2.s-1 en fonction du type de convection (forcée ou non).

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Équation 13 : équation de Fick pour une diffusion unidirectionnelle (Cussler, 2009) (deuxième loi de Fick)

Il est clair que dès que la température de la viande est supérieure à 40°C, le transfert de jus n’est plus purement diffusif, mais s’effectue principalement par migration sous l’effet des contraintes mécaniques liées à la thermo-contraction des protéines du muscle. Van der Sman (2007, 2013) a proposé de prendre en compte ce phénomène en utilisant la théorie de Flory-Rehner. D’après lui, la contraction de la viande lors de la cuisson (πcon) peut se décomposer en trois contributions : la pression osmotique (πosm) due au mélange eau-protéines, la pression élastique (πel) et la pression due à la contribution des ions et des poly-électrolytes (πion). La pression de contraction est proportionnelle à la différence entre la teneur en eau dans la viande cuite à un instant t et sa teneur en eau à l’équilibre (Équation 14). La teneur en eau à l’équilibre est atteinte quand il n’est plus observé de perte supplémentaire pour une durée de traitement plus longue. La migration d’eau est ensuite modélisée à l’aide de la loi de Darcy (Équation 15, avec u la vitesse du flux d’eau, ρw la densité de l’eau libre, kp le tenseur des permittivités et ν la viscosité cinématique de l’eau).

Équation 14

𝜌𝑤𝑢 = −𝑘𝑝 𝜈 ∇𝜋𝑐𝑜𝑛

Équation 15

Kondjoyan et al. (2013) ont suggéré de simplifier le modèle en utilisant une loi cinétique du premier ordre pour décrire l’évolution de la teneur en eau en tous point du produit au cours du chauffage :

Équation 16

k(T, d) étant la constante de réaction dépendant de la température T et de la distance à la paroi d. Dans ce modèle, la variation de k(T, d) prend en compte la migration du jus.

Quelle que soit l’approche choisie, la perte de matière sèche dans le jus de cuisson et la variation du volume sont presque toujours négligées.

Tableau 18 : Précision des modèles thermiques et de perte de poids de la littérature

Référence Type de cuisson et

viande

Précision du modèle thermique Précision du modèle de perte de poids

(Bottani &

Volpi, 2009)

Four vapeur Bœuf et dinde

L’écart moyen entre les températures mesurées et prédites (cœur et surface) est de 4,6%

(Chen et al.,

1999)

Four à convection Poulet haché

L’erreur standard de la prédiction de la température à cœur est comprise entre 3,7 et 5,5°C

L’erreur standard de la prédiction du rendement cuisson est de 1,2%

(Feyissa et al., 2013)

Four à convection Porc (LD)

Les différences maximales entre la température mesurée et prédite sont d’environ 6°C en surface et 2,5°C à cœur

non précisé

(Goni &

Salvadori, 2010)

Four à convection Bœuf (ST)

Les différences maximales entre la température mesurée et prédite sont d’environ 2-3°C

L’écart entre la perte de poids mesurée et prédite varie entre 0,7 et 3,8%

(Huang &

Mittal, 1995)

Four et cuisson humide

Boulettes de bœuf

(viande hachée + eau + épices et liants)

L’erreur quadratique moyenne entre les températures prédites et mesurées est de 3,0 à 5,1°C en fonction des procédés de cuisson

L’erreur quadratique moyenne entre les pertes de poids prédites et mesurées est comprise entre 0,06 et 0,32% en fonction des procédés de cuisson

(Kondjoyan et

al., 2013)

Cuisson humide Bœuf (SM)

La prédiction de la température rentre dans la variation expérimentale (due au déplacement des thermocouples lors de la cuisson)

L’écart entre la perte de poids mesurée et prédite varie entre 0,5 et 2,2%

(Obuz et al.,

2002)

Four à convection Bœuf (ST)

L’erreur quadratique moyenne entre les températures prédites et mesurées est de 4,4°C à cœur et 5,3°C en surface

L’écart entre la perte de poids mesurée et prédite varie entre 2,5 et 8,4%

(Van der Sman, 2007)

Four à convection Bœuf (SM)

Les différences maximales entre la température mesurée et prédite sont d’environ 4°C

Pas de validation montrée pour la perte de poids

La différence entre la teneur en eau prédite et mesurée (exprimée en %) varie entre 0,5 et 10%

(Van der Sman, 2013)

Four à convection Filet de poulet

Bonne prédiction de la température pour des cuissons qui durent moins de 40 min. Pour des cuissons plus longues, la différence entre la température prédite et mesurée peut être de plus de 10°C.

Quand la température est convenablement prédite : l’erreur de la prédiction du rendement cuisson est inférieure à 5%. Dans le cas contraire, elle peut aller jusqu’à 20%

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74 Les différents modèles permettent de calculer la variation de la teneur en eau locale dans la viande, exprimée en g.gviande-1 (Chen et al., 1999 ; Feyissa et al., 2013 ; Van der Sman, 2007) ou g.gMS-1 (Goni & Salvadori, 2010 ; Huang & Mittal, 1995 ; Kondjoyan et al., 2013) au cours du temps.

Lorsque les modèles font intervenir la différence entre la teneur en eau un instant t et la teneur en eau à l’équilibre (X – Xeq), la courbe des teneurs en eau à l’équilibre est la plus souvent ajustée en utilisant une fonction sigmoïde (Équation 17) (Goni & Salvadori, 2010 ; Van der Sman, 2007, 2013) :

Équation 17

4.4.3. Capacité de prédiction des modèles de transferts

Le Tableau 18 récapitule les études réalisées dans la littérature pour prédire la perte de poids de différents types de viande (bœuf, porc, dinde, poulet) cuites selon des modes de cuisson et dans des appareils variés. La capacité de prédiction de la cinétique de température dépend principalement des conditions limites et de la conformation du produit, c'est-à-dire de la précision avec laquelle est connue, par exemple, la valeur du coefficient de transfert de chaleur et celle de la conductivité thermique de la viande introduite dans le modèle. Les écarts sont ainsi souvent liés à une mauvaise représentation de la géométrie en général complexe du produit, ou à une erreur dans ces dimensions. En ce qui concerne la prédiction de la perte de poids, les choses sont plus compliquées. Les modèles de transfert de matière sont toujours simplistes par rapport à la réalité des phénomènes. Les paramètres introduits dans les modèles sont en général des paramètres apparents ou des paramètres de base dont les valeurs sont mal connues. Ceci se traduit par le fait que la prédiction de la cinétique de température est en général plus précise que celle de la perte de poids. La capacité de prédiction du modèle doit de toute façon toujours tenir compte de la précision avec laquelle sont effectuées les mesures. La difficulté inhérente au positionnement initial des thermocouples dans un produit mou et déformable, leur mouvement lors de la thermo-contraction du produit conduisent à une imprécision de 1 à 2°C en moyenne sur la mesure de la température de la viande. La technique de mesure de température peut elle-même introduire des biais importants. En ce qui concerne la perte de poids, il a été vu que la mesure varie significativement dans le muscle

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75 puisque des écarts de 3% ont pu être observés localement (cf. 4.3.1). De manière générale, les modèles qui tiennent compte de l’effet de la thermo-contraction de la viande sur la perte de poids à la cuisson sont directement impactés par la différence (X – Xeq), dans laquelle les variabilités de la valeur initiale de la teneur en eau X0 et sa valeur à l’équilibre Xeq ne sont en général pas pris en compte. Ceci est donc un point clé qui a été retenu dans mon travail de thèse.