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Chapitre 1. Etude bibliographique

3. Adhésion entre les muscles au sein du jambon cuit

3.4. Gélification thermique des protéines musculaires

Les protéines du limon gélifient lors du traitement thermique, il est donc judicieux de s’intéresser à la gélification des protéines musculaires isolées afin de mieux comprendre les mécanismes régissant ce phénomène, et donc de mieux appréhender celui du limon.

3.4.1. Mécanisme de gélification de la myosine

Boyer (1995) a défini le gel protéique « comme un réseau tridimensionnel continu dont l’intégrité physique et la stabilité résultent d’un équilibre entre les interactions protéine-protéine et les interactions protéine-protéine-solvant ». Le processus de gélification thermique des protéines peut être décomposé en trois étapes successives (Boyer, 1995) : la dénaturation entraînant le déplissement de la molécule, l’agrégation des molécules les unes aux autres puis la gélification. A partir de 30°C, les têtes de myosine s’agrègent grâce à la formation de ponts disulfures (Sharp & Offer, 1992), puis des changements de conformation apparaissent dans les queues de myosine avec le déroulement des hélices α et la formation de feuillets β (Liu, Zhao, Xiong, Die & Qin, 2008), conduisant à la formation de liaisons hydrophobes dans les queues de myosine (Sharp & Offer, 1992). Le réseau tridimensionnel ainsi formé est schématisé en Figure 17. Xiong, Blanchard, Ooizumi & Ma (2010) ont montré qu’une légère oxydation avant chauffage modifiait le mécanisme de gélification de la myosine en favorisant les ponts disulfures entre les queues de myosine au détriment des associations têtes-têtes (Figure 18).

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3.4.2. Lien entre les modifications physicochimiques des protéines et leur

gélification

Plusieurs études ont montré un lien direct entre les modifications physicochimiques des protéines lors du chauffage et la rigidité des gels formés et indiquent l’importance des liaisons hydrophobes, des ponts disulfures et autres liaisons covalentes dans la gélification des protéines. Ceci a été montré sur des gels de myosines purifiées de lapin (Boyer, Joandel, Ouali & Culioli, 1996) ou de poisson (Visessanguan, Ogawa, Nakai & An, 2000), sur des isolats de protéines de poisson (Thawornchinsombut & Park, 2007), sur des gels de poisson et de porc type surimi (Liu, Zhao, Xie & Xiong, 2011) et sur des préparations carnées de type pâtes fines (saucisses de Francfort) (Cofrades & Jimenez-Colmenero, 1998). Par contre, l’importance des liaisons hydrogènes dans la gélification des protéines est controversée : certains indiquent qu’elles ont un rôle important (Cofrades & Jimenez-Colmenero, 1998 ; Fernandez-Martin, Cofrades, Carballo & Jimenez-Colmenero, 2002) contrairement à d’autres qui minimisent leur impact (Liu et al., 2011).

3.4.3. Facteurs influençant la gélification des protéines myofibrillaires

De nombreux facteurs influencent la gélification thermique des protéines myofibrillaires : pH, force ionique, conditions de cuisson (température, pression), concentration en protéines, type de muscle, espèce animale, etc. Ils ont été passés en revue par Sun & Holley (2011). L’influence de quelques-uns de ces paramètres est reprise ici, notamment l’effet de la force ionique.

Les effets du pH et de la force ionique semblent interdépendants (Lefevre, Fauconneau, Ouali & Culioli, 2002). Les résultats ci-dessous sont donnés pour un pH de 6,0. La rigidité des gels de myosines isolées diminue avec l’augmentation de la force ionique à faible force ionique (jusqu’à 0,3 ou 0,4 M, soit 1,9-2,3% de NaCl) puis reste constante à force ionique plus élevée dans le cas de myosine extraite de SM bovin (Hermansson, Harbitz & Langton, 1986), LT de lapin (Ishioroshi, Samejima & Yasui, 1979) ou de truite (Lefevre et al., 2002). Des effets contraires aux études précédentes ont été observés sur des extraits bruts de viande de bœuf (Trout & Schmidt, 1987), sur des gels de protéines myofibrillaires extraites de lapin (Samejima, Egelandsdal & Fretheim, 1985), de bœuf (De Lamballerie, Chraiti, Culioli & Ouali, 1993) et de porc (Park, Brewer, McKeith, Bechtel & Novakofski, 1996) avec l’accroissement de la rigidité du gel avec la force ionique entre 0,1 et 0,6 M NaCl (0,6 à 3,5%

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51 NaCl) à pH 6,0. Ainsi, l’effet de la force ionique est opposé si la myosine est pure ou en contact d’autres protéines musculaires (actine, protéines sarcoplasmiques), suggérant l’influence de ces protéines sur le réseau tridimensionnel du gel. Il semble également que les mécanismes de gélification diffèrent en fonction de la force ionique puisqu’à faible force ionique (0,01 M), il n’y a pas de ponts disulfures entre les têtes de myosine (Sun & Holley, 2011), contrairement à 0,6 M (Sharp & Offer, 1992).

Le pH optimal de gélification de la myosine a été évalué à 6,0, avec une diminution de la rigidité des gels de myosine dès qu’on s’éloigne de ce pH (Ishioroshi et al., 1979). La rigidité du gel augmente avec la température de chauffage pour atteindre une valeur maximale à 60-70°C (Ishioroshi et al., 1979 ; Samejima et al., 1985). La rigidité des gels de protéines myofibrillaires évolue lors du refroidissement : elle augmente progressivement lors de la diminution de la température (Westphalen, Briggs & Lonergan, 2006).

Une concentration de 0,5% de myosine est suffisante pour permettre la formation d’un gel (Sun & Holley, 2011). La rigidité des gels de myosine et de protéines myofibrillaires augmente avec la concentration en protéines, quelle que soit la température de chauffage (Lefevre, Fauconneau, Ouali & Culioli, 1998 ; O'Neill, Morrissey & Mulvihill, 1993 ; Robe & Xiong, 1993 ; Wu, Hamann & Foegeding, 1991).

La myosine est la protéine myofibrillaire qui a le plus fort pouvoir gélifiant (Sun & Holley, 2011). L’influence de l’actine sur la gélification de la myosine dépend du type de myosine (Boyer, Joandel, Roussilhes, Culioli & Ouali, 1996) : l’actine améliore la gélification des protéines de myosine extraites de muscle rapide (type IIb) alors qu’elle diminue la gélification de myosine extraites de muscle lent (type I). Le ratio actine/myosine semble être déterminant sur la rigidité du gel (Boyer, Joandel, Roussilhes et al., 1996) : l’optimum semble être à 1/15.

Le limon n’est pas composé uniquement de protéines myofibrillaires, il contient également des protéines sarcoplasmiques (Pioselli et al., 2011), des lipides (Siegel, Theno, Schmidt et al., 1978), et pourrait éventuellement contenir du collagène issu de la destruction du tissu conjonctif lors du malaxage. L’influence de ces composés sur la gélification des protéines myofibrillaires a été étudiée dans la littérature. Bien que les protéines sarcoplasmiques seules aient une faible capacité à la gélification (Tornberg, 2005), leur ajout à une solution de protéines myofibrillaires améliore la rigidité du gel à faible force ionique (0,1 et 0,3 M NaCl, pH 6,0) (De Lamballerie et al., 1993). A force ionique plus élevée (0,6 M NaCl et pH 6,0),

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52 l’ajout de protéines sarcoplasmiques diminue la rigidité de gel de myosine (Barnier, 1990 ; Chraiti, 1991).

L’impact du collagène sur la gélification de protéines myofibrillaires issues de SM de porc a été étudié par Doerscher, Briggs & Lonergan (2004). A taux de protéines constant (4%), ils montrent que l’ajout de collagène (ratio protéines myofibrillaires, collagène de 100:0 à 50:50) diminue la rigidité du gel lors du chauffage. Ainsi, bien que le collagène seul ait une forte capacité de gélification, il diminue la capacité de gélification des protéines myofibrillaires, en interrompant le réseau tridimensionnel formé par ces protéines ; en effet, le collagène n’interagirait pas avec les protéines myofibrillaires lors de la gélification (Doerscher et al., 2004). Lors du refroidissement, une faible inclusion de collagène (ratio 90:10) permet par contre d’augmenter la rigidité par rapport à un gel sans collagène (Doerscher et al., 2004). Le taux de collagène n’a, à notre connaissance, jamais été mesuré dans le limon, mais s’il est présent, il ne devrait pas dépasser les 10%, il pourrait alors favoriser la gélification.

La littérature montre qu’une forte teneur en lipides (10 à 22%) augmente la rigidité des gels de protéines myofibrillaires (Barreto, Carballo, Fernandez-Martin & Colmenero, 1996 ; Wu, Xiong, Chen, Tang & Zhou, 2009). Ces teneurs en lipides sont celles retrouvées dans les fabrications de saucisses à pâte fine. Les lipides émulsifiés sont de petits globules stabilisés par une membrane faite de protéines myofibrillaires, les interactions fortes (ponts disulfures) entre les protéines myofibrillaires du réseau tridimensionnel et les protéines des membranes des globules lipidiques seraient responsables de l’effet observé (Wu et al., 2009). Néanmoins, à notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’impact de l’addition de plus faibles taux de lipides sur la gélification des protéines myofibrillaires, qui correspondraient aux teneurs en lipides du limon (0,2% à 5% (Kerry, Stack et al., 1999 ; Siegel, Theno, Schmidt et al., 1978)).

3.4.4. Gélification du limon

Peu d’études se sont intéressées à la gélification du limon lors du traitement thermique. Kerry, Stack et al. (1999) ont montré que la rigidité des gels de limons issus du malaxage de SM de porc augmente lors du chauffage jusqu’à 70°C, ne varie plus pour une température plus élevée (80°C), puis augmente de nouveau lors du refroidissement. Ceci montre l’importance du refroidissement dans la gélification du limon. La viscosité du limon augmente au cours du malaxage (Lachowicz et al., 2003). Il est raisonnable de penser que l’augmentation de la viscosité du limon au cours du malaxage peut être due à la diminution de la teneur en eau

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53 dans le limon, à l’augmentation de la teneur en protéines et à une dénaturation des protéines au cours du malaxage. La différence observée entre les muscles pourrait être due à une extraction différentielle des protéines en fonction du type de muscle. Le lien entre viscosité ou rigidité du limon et la tenue de tranche n'a pas été fait dans les deux études ci-dessus (Kerry, Stack et al., 1999 ; Lachowicz et al., 2003).