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Chapitre 2. Etat de l’art des modèles de cryptes intestinales et des

2. Les modèles cellule-centrés

2.3. Modélisation du destin cellulaire

On désigne par destin cellulaire la suite de cycles cellulaires qu’une cellule opère au cours de son existence, et le processus de différenciation qui l’accompagne. Plus précisé-ment, un cycle cellulaire correspond à la division et à la croissance cellulaire ayant lieu entre chaque division, et la différenciation correspond à la transformation d’une cellule indifférenciée (souche ou progénitrice) en cellule différenciée (entérocyte par exemple). La régulation de ces phénomènes est en réalité extrêmement complexe et repose sur les interactions entre cellules voisines et sur des variables environnementales régulées par l’hôte ou le microbiote.

2.3.1. Cycle cellulaire

Les cellules souches et progénitrices se divisent pour assurer le renouvellement de l’épithélium. Dans les modèles étudiés, la durée de chaque cycle cellulaire entre deux divisions est souvent une variable aléatoire. Elle peut-être tirée dans une loi uniforme [37, 38] ou dans une loi Gamma (pour modéliser une succession d’étapes indépendantes de même loi exponentielle qui pourraient correspondre à différentes phases du cyle cellulaire) [17, 18, 119, 120]. La loi de la durée du cycle cellulaire (et donc les taux de prolifération) est en général la même pour toutes les cellules sauf dans [39] où la durée du cycle décroit linéairement avec la concentration en Wnt (voir sec.2.3.3). Cela correspond au fait que les progénitrices se divisent plus rapidement que les cellules souches et cette hypothèse semble améliorer les résultats de simulations. Pour modéliser la croissance cellulaire, les modèles supposent en général que la taille de consigne des cellules filles crées est inférieure à celle d’une cellule mature. Au cours du cycle cellulaire, cette taille de consigne croit linéairement jusqu’à ce qu’elle atteigne la taille standard à la fin du cycle.

De manière intéressante, tous les modèles utilisent un mécanisme d’inhibition de la prolifération par la densité cellulaire (inhibition de contact), car autrement le système atteint un état stationnaire saturé où une division donne immédiatement lieu à l’expulsion d’une cellule proche. Lorsque la taille réelle d’une cellule est en-dessous d’un seuil, on suspend la croissance de la taille de consigne [17, 39]. Or, tant que la taille de consigne de la cellule n’a pas atteint la taille d’une cellule mature, on considère que le cycle cellulaire est en pause et la cellule ne peut pas se diviser.

Dans un épithélium qui se renouvelle normalement, la mort des cellules se fait par anoikis : la cellule meurt lorsqu’elle perd contact avec la matrice extracellulaire. Une cellule poussée par ses voisines hors de l’épithélium et n’étant plus en contact avec la membrane basale est donc considérée comme morte. Pour les modèles de crypte de l’in-testin grêle [17, 119], les cellules peuvent sortir du domaine au niveau de la frontière qui correspond à la jonction crypte-villosité. Elles sont alors retirées de la simulation ce qui correspond à une condition de pression nulle sur cette frontière.

2.3.2. Différenciation

L’épithélium intestinal est composé de différents types cellulaires aux fonctions com-plémentaires. Quelles sont les voies de différenciation suivies à partir des cellules souches et comment se régulent les populations de chaque type de cellule sont des questions essen-tielles dans la compréhension des cryptes. La plupart des modèles tentent donc de rendre compte de ces phénomènes.

Le modèle de différenciation cellulaire le plus simple considère deux états cellulaires : indifférenciée et différenciée [76, 1]. On définit une probabilité p constante pour qu’une cellule indifférenciée, lorsqu’elle se divise, produise une cellule-fille différenciée (division asymétrique) . Si on considère des types cellulaires aux propriétés physiques différentes, la proportion finale de cellules différenciées dans la population dépend de p mais ne lui est pas forcément égale [1]. Ce schéma simple est utilisé pour modéliser les stades précoces de développement d’un organoïde pour lequel le milieu environnant chaque cellule est homogène.

Une modélisation plus complexe est le modèle de pedigree [39]. Lors de sa naissance, on attribue à la cellule un nombre de divisions (symétriques ou non) qu’elle effectuera avant de se différencier en un type cellulaire donné, c’est-à-dire que l’on fixe le destin de la cellule.

Il est également possible de prendre en compte l’action de facteurs de transcription (voir sec. 2.3.3). Le type cellulaire dépend alors des niveaux d’activation des voies de signalisation associées à chacun de ces facteurs. Le modèle le plus riche [17] considère 5 types cellulaires : cellules souches, progéniteurs sécrétoires et progéniteurs absorptifs, entérocytes, cellules de Paneth et cellules en gobelet. Dans ce modèle, l’identité cellulaire est déterminée par les niveaux d’activation des voies Notch et Wnt tels que présentés fig.2. La distinction entre les différents niveaux d’activation correspond à des seuils et la cellule change d’identité dès que l’activation de l’une de ses voies de signalisation franchit l’un de ces seuils. Le phénomène de différenciation n’est donc ici pas aléatoire, il est le reflet des niveaux d’activation des voies de signalisation. De plus, les auteurs de [17] font l’hypothèse importante que la différenciation est réversible c’est-à-dire qu’une cellule peut faire une transition entre n’importe quels états tant qu’elle n’est pas différenciée

0 z1 z2 zmax 0

n1 n2

souche absorptifprogén. entérocyte

progén. sécrétoire gobelet prog. de Paneth devient Paneth à la fin du cycle cellulaire

hauteur dans la crypte ⇔ activation par Wnt

con tacts a v ec des cellules Notc h-faibles

Figure 2. Modèle d’identité cellulaire de [17]. La différenciation entre deux types est réversible lorsqu’ils sont séparés par . Les types cellulaires en italique sont les stades de différenciation terminale (irréver-sible). Les constantes n1 et n2 représentent le seuil d’activation séparant cellules Notch-faibles et Notch-fortes (cf. partie 2.3.3)

terminalement : un progéniteur absorptif peut se "dédifférencier" en cellule souche par exemple. Cela permet au système de retourner à l’équilibre lorsque l’on détruit certains types cellulaires [17]. Ce modèle de différenciation cellulaire réversible est corroboré par des expérimentations récentes (voir 2.1 chapitre 1).

On l’a dit, le modèle de [17] suppose que les cellules sont susceptibles de changer d’identité instantanément et quelle que soit l’avancée dans le cycle cellulaire, du moment qu’un seuil est franchi dans l’activation de Notch ou Wnt. Or en réalité, la sensibilité des cellules aux signaux de la niche varie selon le stade du cycle cellulaire et est maximale lors de la phase G1 (juste après la mitose) [31]. D’où un autre modèle de différenciation proposé par [39]. L’identité d’une cellule est déterminée à sa naissance et se maintient jusqu’à la fin du cycle cellulaire courant. C’est alors que se produit la différenciation. Cette hypothèse améliore en effet les performances du modèle par rapport à la différenciation instantanée [39].

En plus des propriétés liées au destin cellulaire, le rôle de différences dans les propriétés mécaniques des types cellulaires a également beaucoup attiré l’attention des modélisateurs (voir 2.5). D’autres différences de comportement, liées à l’immunité ou au métabolisme par exemple, n’ont jamais été modélisées à notre connaissance.

2.3.3. Régulateurs du destin cellulaire

Dans le cadre de la crypte, les travaux de modélisation ont, à notre connaissance, portés sur deux voies de régulation : Notch et Wnt.

La concentration de Wnt est représentée par une variable qui dépend uniquement de la hauteur z dans la crypte, et notamment qui est constante en temps. Dans les travaux [37, 38, 39], il s’agit simplement d’un gradient linéaire décroissant. Dans le modèle [17], elle est déterminée par la courbure locale de la membrane basale, qui ne dépend elle-même que de z et est aussi décroissante. L’activation de la voie de signalisation Wnt dans les cellules à l’altitude z est alors égale à la concentration en Wnt à cette altitude.

On fait dépendre l’activation de la voie Notch sur le type des cellules voisines selon le principe de l’inhibition latérale [17, 119, 120] (voir sec. 2.3 chap.1). Les cellules de la voie sécrétoire (progéniteurs sécrétoires, cellule de Paneth et en gobelet) ont un niveau d’activation de la voie Notch bas et présentent des ligands Notch. Un contact avec une cellule de la voie sécrétoire active donc la voie Notch. Le niveau d’activation total de la voie Notch dans la cellule i est alors

cN,i(t) =X

j

δi,j(t)clN,j

où δi,j(t) vaut 1 lorsque les cellules i et j sont en contact, 0 sinon, et clN,j est la concentra-tion en ligands Notch de la cellule j qui est une constante dépendant du type cellulaire de j (> 0 pour les cellules de la voie sécrétoire, = 0 sinon). Dans ce cas, un seuil d’activation séparant cellules Notch-faibles et Notch-fortes (n1 et n2 dans la fig.2) correspond à un nombre de contacts à établir avec des cellules présentatrices de ligands (Notch-faibles).

Dans le cas des modèles d’organoïdes qui portent non pas sur des cryptes matures mais sur des cryptes en croissance [18, 120], l’activation de Wnt dépend également du type des cellules voisines. En effet, ces modèles représentent des organoïdes de l’intestin grêle où les cellules de Paneth sont sécrétrices de Wnt (contrairement aux DCSs du côlon). In vivo, les cellules stromales sont également source de Wnt mais in vitro, si le Wnt n’est pas ajouté au milieu de culture, c’est uniquement le nombre de contact avec des cellules de Paneth qui détermine l’activation de Wnt.

En résumé de cette partie, on modélise en général la durée et le nombre de cycles cellulaires via des variables aléatoires qui prennent en compte l’impact de la densité locale de cellules. La différenciation est également aléatoire pour les cas simples mais les modèles plus complexes tentent de prendre en compte la régulation exercée par l’environnement de la cellule (position dans la crypte ou état des cellules voisines). Dans ces cas, la différenciation se fait de manière déterministe.

2.4. Modélisation du comportement mécanique des cellules et de la