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2.3 Application au domaine automobile

2.3.1 Modélisation de la conduite

Pendant longtemps, la conduite automobile a suscité l’intérêt des chercheurs. Elle a été étudiée sous différents aspects [125]. Il existe presque autant de modèles de la tâche de conduite que de chercheurs ayant travaillé sur le sujet. Les modèles diffèrent principalement selon l’application à laquelle ils sont destinés ainsi que selon les aspects qu’ils cherchent à décrire. D’après [6], ces modèles sont soit à caractère descriptif et se limitent à décrire et à catégoriser l’activité de conduite soit fonctionnels en rassemblant un ensemble de fonctions et les relations qui les relient entre elles. Un autre élément qui les distingue est l’aspect sur lequel ils se basent que ce soit l’aspect comportemental ou motivationnel. Dans l’ensemble, deux vastes catégories sont discutées dans [125] : Les modèles descriptifs et les modèles fonctionnels.

Les modèles descriptifs tentent de décrire tout ou partie de la tâche de conduite. Ces modèles sont plutôt analytiques et se focalisent sur ce que fait le conducteur et ce qu’il devrait faire. Ils sont limités et n’incluent pas notamment un aspect prédictif qui permettrait de savoir comment les changements dans la situation, dans les motivations ou encore dans les capacités du conducteur affecteraient la performance de la tâche de conduite, l’évolution du risque de la situation ainsi que les agissements et décisions du conducteur. Parmi ces modèles, il y’a ceux d’analyse de tâche. Ils sont essentiellement basés sur la description des exigences des tâches de la conduite, les exigences comportementales et objectifs concernant la performance et les exigences en termes de capacité pour mener à bien ces tâches. Un des exemples les plus typiques de cette classe de modèles est celui proposé par McKnight et Adams [126]. Les auteurs ont entrepris de décortiquer l’activité de conduite sous forme d’un ensemble de tâches principales et de sous tâches avec les descriptions de chacune d’elles du point de vue des exigences. Ces études trouvent leur application dans l’amélioration des programmes de formation des conducteurs et l’élaboration de normes pour les évaluer.

De façon générale, la conduite automobile inclut une multitude de processus essentiels permettant de faire progresser le véhicule sur la route. Ces derniers diffèrent de par les exigences cognitives et temporelles. Les modèles dits hiérarchiques constituent une autre composante importante des modèles descriptifs. Comme leur nom l’indique, en la présentant sous une forme hiérarchique, ils offrent un découpage généraliste de l’activité de conduite et donnent un cadre global pour l’étude des comportements mis-en jeux.

Un des modèles les plus connus de cette catégorie est le modèle de Michon [6]. Dans son modèle, l’activité de conduite a notamment été répartie sur trois niveaux hiérarchiques : Stratégique, tactique et opérationnel. Ces niveaux se distinguent par les exigences cognitives et les contraintes temporelles allouées aux sous tâches qui les composent.

Figure 2.3 – : La répartition hiérarchique de l’activité de conduite selon Michon [6]

Tel qu’illustré sur la figure 2.3, au niveau stratégique, plus haut niveau de la tâche de conduite, la planification du trajet global s’effectue notamment en déterminant les objectifs du trajet, l’itinéraire à emprunter suite à une évaluation des coûts, du confort, des risques impliqués etc... A moyen terme, le niveau tactique caractérise les décisions sur les manœuvres permettant d’assurer la progression sur le trajet planifié tout en s’adaptant à la situation qui évolue. En dépit des exigences de la situation, les manœuvres devraient être conformes au plan déterminé au niveau stratégique même si dans certains cas le plan stratégique pourrait être revu pour s’adapter à une manœuvre finalement choisie. Enfin, le niveau opérationnel englobe toutes les actions rapides et continues qu’exerce le conducteur sur le volant et les pédales pour contrôler le véhicule sur la trajectoire qui correspond à la manœuvre établie au niveau tactique. L’intérêt de ce modèle a été celui de mettre en évidence les différents niveaux de l’activité de conduite ainsi que les liens et interactions entre chacun d’eux. Toutefois, il n’offre pas la possibilité de prédire le comportement du conducteur ou l’évolution du risque de la situation. De plus, il ne donne pas d’éléments pour modéliser et comprendre les mécanismes de décision impliqués dans les différents niveaux.

Dans un second temps, les modèles fonctionnels ont été proposés pour pallier à ces li-mitations. D’un point de vue général, ces modèles tiennent compte de plus de facteurs qui permettent d’introduire un aspect prédictif. Parmi ces modèles figurent les travaux qui mo-délisent la conduite sous forme de boucle de régulation. Ces modèles portent un regard particulier sur la tâche de guidage du véhicule qui correspond au niveau opérationnel de Michon. Ils offrent une description quantitative du comportement du conducteur à ce niveau à travers une formulation mathématique.

2.3. Application au domaine automobile

Figure 2.4 – : Modèle de la tâche de guidage de McRuer ([7])

Ces modèles ont connu un large engouement durant les années soixante-dix. McRuer a été parmi les premiers à proposer un modèle adapté pour la conduite automobile [7]. L’action de braquage du conducteur a été décrite comme une compensation pour l’erreur de positionnement latéral et l’angle de cap par rapport à la route comme l’illustre la figure 2.4. Plus tard, un modèle qui introduisait deux niveaux de contrôle à savoir le contrôle compensatoire et le contrôle anticipatoire a été proposé par Donges [127]. Ces modèles ont constitué la base pour plusieurs modélisations évoluées qui incluent notamment le système neuromusculaire humain tel que dans [128]. Ils ont permis de modéliser le contrôle latéral du véhicule et ont identifié des paramètres permettant de reproduire différents comportements de braquage notamment le survirage et le sous virage. Par ailleurs, ce type de modèles a trouvé un intérêt dans la conception de lois de commande qui incluent des connaissances sur le conducteur pour faciliter les interactions entre automatisation et conducteur et ainsi réduire les conflits lors d’une conduite partagée. D’autre part ce type de modèles a également été utilisé pour le diagnostic en temps réel de l’état du conducteur en identifiant en ligne les paramètres du modèle et qui à l’issue d’une classification permettent de suivre son évolution [129].

Les modèles motivationnels constituent une autre classe des modèles fonctionnels. Ils tentent de décrire pourquoi les conducteurs choisissent une alternative par rapport à une autre en termes d’utilité et de compromis. D’un point de vue général, on constate que ces modèles tiennent compte de plus de facteurs permettant l’explication du comportement des conducteurs et notamment la prise en compte des différences inter-individuelles qui résultent en des comportements différents pour des situations similaires. A l’issue d’une revue des différents modèles motivationnels, Carsten dans [125] a réuni en cinq principales catégories les facteurs déterminants pour la compréhension de la prise de décision du conducteur. Cette dernière est intrinsèquement liée à la notion de prise de risque et les différents facteurs

s’inscrivent dans les catégories suivantes : — L’attitude et la personnalité

— L’expérience

— L’état du conducteur et son niveau de dégradation (Perception, Attention et Vigilance) — La charge de travail exigée par la tâche

— La conscience de la situation

Au sein de cette catégorie de modèles, différentes théories sur la gestion du risque par les conducteurs ont émergé. La théorie de compensation du risque proposée dans [130] avan-çait que les conducteurs auraient tendance à compenser le niveau du risque perçu pour une situation donnée par leur degré de prise de risque. Typiquement, plus le risque perçu est important et moins la vitesse choisie est élevée. D’autres alternatives peuvent être trouvées dans [131][132]. Ces théories ont tenté de fournir une description mathématique des proces-sus de jugement et de prise de décision impliqués dans la conduite. Selon Ranney [133], l’un des progrès les plus importants dans la modélisation de la conduite a été marqué par sa structuration hiérarchique telle qu’elle a été décrite par Michon. Ce cadre a influencé à la fois les modèles motivationnels et les théories sur l’erreur. Dans la continuité du modèle de Michon les auteurs dans [8] ont mis l’accent sur le caractère hiérarchique du processus de prise de décision dans la conduite et ont proposé un cadre mathématique général qui décrit la conduite aux différents niveaux (figure 2.5). Ce travail a été motivé par les nombreuses critiques précédemment adressées aux modèles motivationnels concernant le manque de spé-cificité des mécanismes internes ce qui rendait difficile leur validation. Le modèle de Van Der Molen et Botticher a donc été adapté pour décrire la conduite de manière quantitative et jouit de suffisamment de souplesse pour inclure les différentes théories du risque proposées précédemment. De plus, contrairement aux théories classiques du risque qui tentent d’expli-quer le comportement de conduite sur la base du risque, des travaux ont souligné que les motivations derrière les décisions ont souvent un caractère multifactoriel [134]. Cet aspect est également pris en considération dans le modèle de Van Der Molen et Botticher [8] lors de la modélisation du mécanisme de jugement et de prise de décision. En effet, en plus du risque encouru, d’autres facteurs tels que le gain de temps concourent pour constituer la motivation qui permet de faire des choix. Ce mécanisme est valable pour le niveau stratégique et le ni-veau tactique. La particularité au nini-veau tactique est que le plan défini au nini-veau stratégique rentre dans les éléments qui constituent les motivations de choisir la manœuvre à exécuter. Au niveau opérationnel résident les différents automatismes qui régissent le contrôle du véhicule ainsi que la gestion de situations d’urgence. Le modèle représente également les interactions ascendantes des niveaux inférieurs qui illustrent entre autre l’influence du choix de certaines manœuvres sur le plan stratégique et la re-planification du trajet en conséquence.

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Figure 2.5 – : Modèle hiérarchique du risque de Van Der Molen et Bötticher ([8])

D’autres travaux ont tenté de modéliser la cognition humaine dans toute sa complexité à l’exemple du modèle COSMODRIVE [135]. L’objectif étant d’étudier le comportement du conducteur et de comprendre comment il organise efficacement ses activités cognitives et motrices pour interagir avec son environnement. De plus, ces modèles servent également un but de compréhension de l’erreur humaine. Toutefois, la modélisation de tous les mécanismes sous-jacents à la tâche de conduite s’avère être une tâche ardue notamment avec la prise en compte d’informations très précises sur le conducteur dont des facteurs psychologiques sont souvent difficiles à obtenir. Par ailleurs, hormis le fait qu’un tel degré de complexité serait important pour une analyse approfondie du comportement humain il n’est pas indispensable lorsqu’il s’agit de concevoir un système d’automatisation de la conduite dont le savoir-faire

est modélisé pour être optimal et à terme excéderait celui de l’humain. A cette fin, les modèles motivationnels et particulièrement celui de Van Der Molen permettent de mettre en avant les différents niveaux de la tâche de conduite ainsi que les mécanismes décisionnels fondamentaux et constituent une bonne base pour adapter les principes de la coopération homme-machine lors de la conception du système.