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Modèles d'ouverture du bassin canadien et signification géodynamique de la mer de Beaufort

Etat des données géophysiques et géologiques

1. Localisation et caractérisation du bassin canadien en domaine Arctique

1.3 Modèles d'ouverture du bassin canadien et signification géodynamique de la mer de Beaufort

L'ouverture du bassin canadien reste mal connue. De nombreux modèles de reconstruction ont été proposés mais au vu du peu de contraintes (géologiques, géophysiques) disponibles dans le bassin ou sur ses marges avoisinantes, les modèles proposés dans les années 1980 sont relativement simples et très différents les uns des autres, mais manquent souvent de contraintes.

Les modèles d'ouverture se divisent en plusieurs catégories : les modèles en convergence, les modèles en divergence avec un pôle de rotation, et les modèles en divergence impliquant le jeu de grandes failles décrochantes le long des blocs.

Le premier modèle, en convergence, est proposé par Churkin et Trexler (1980), représenté en Figure II.6. Ce modèle s’appuie sur les données paléomagnétiques de Cooper et al.

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(1976). Ce modèle ne considère pas que le bassin canadien s'est ouvert, mais que la croûte océanique pré-existait et que la convergence des blocs Akaska, Kolyma et Verkhoyansk ont collidés et ont fermé l'espace océanique en région Arctique, créant le bassin.

Le deuxième type de modèles, en divergence, considère le jeu de grandes failles décrochantes (Figure II.6). Ces différents modèles ont pour seul point commun de considérer une part d'océanisation dans la genèse du bassin canadien. Dutro (1980) par exemple propose de restaurer la marge nord alaskane le long de la ride de Lomonosov. Il implique l'existence d'une dorsale parallèle à la ride de Lomonosov (et donc une ouverture du bassin N-S). Ce modèle implique l'existence d'un grand décrochement sénestre le long des Iles canadiennes. Le déplacement de la marge alaskienne serait alors d'environ 2000 km (Moore et al., 1992), ce qui semble en désaccord avec les informations qu'on possède sur le jeu de ces failles décrochantes dans le delta du MacKenzie (Figure II.6). Herron et al. (1974), à l'inverse, propose l'existence d'une dorsale N-S et donc une ouverture W-E. Ce modèle nécessite le déplacement d'un grand continent, comme le terrain Kolyma, par l'intermédiaire d'une faille décrochante sénestre localisée le long de la marge alaskane.

Le troisième type de modèles considère une ouverture impliquant une rotation (Figure II.6). Le modèle de Christie implique une ouverture par l'intermédiaire d'une dorsale orientée W-E et donc d'une ouverture plus ou moins N-S accompagnée d'une rotation impliquant une décrochante sénestre disposée le long des Iles Canadiennes. Le modèle de Grantz (1979) propose l’existence d'une dorsale N-S et donc une ouverture E-W associée à une rotation anti-horaire de 66° (basé sur les données paléomagnétiques de Halgedahl and Jarrard, 1987) de la péninsule alsakane avec un pôle de rotation dans le delta de MacKenzie. Finalement, Shephard et al. (2013) proposent un modèle impliquant une rotation, dont le moteur serait la zone de subduction Pacifique. Ce modèle implique l'existence d'une faille décrochante, dont le jeu serait dextre, parallèle à la ride de Lomonosov, et continue entre la Sibérie et l'Amérique du Nord. Le retrait du slab vers le sud vers 130 Ma permettrait d'expliquer l'ouverture du Bassin Canadien à cette époque. Dans ce cas-ci l'océanisation est datée entre 142.5 et 126 Ma (Alvey et al., 2008).

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Il apparait que chaque modèle proposé a des lacunes et manque de contraintes. De nombreuses études récentes se sont donc attachées à reconstruire la paléogéographie des marges alaskane, canadienne et des Iles canadiennes avant ouverture du bassin canadien.

Embry depuis les années 1990 s'est attaché à étudier les relations entre les Iles canadiennes, et plus particulièrement le bassin du Sverdrup avec la marge alaskane, c'est-à-dire le North Slope. La restauration de bassins de même âge (Trias-Crétacé inférieur) au large de la marge alaskane, le Hanna Trough, et au niveau du Sverdrup tend à proposer un modèle de rotation, dans lequel les marges alaskane et canadienne se faisaient face (Figure II.6) et se sont écartées l'une de l'autre via une rotation dont le moteur n'est pas explicité.

Pour arriver à des modèles d'aussi grande échelle, il est nécessaire de restaurer la position de chacun des blocs avant ouverture du bassin canadien.

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Modèles M. alask. M. can. Lom. Chuk. Remarques Limites

[C]

S'appuie sur données paléomagnétiques de Cooper et al. (1976) Pas de réelle ouverture mais

enfermement d'une croûte océanique déjà existante par convergence de blocs

Pas de cohérences avec les données sismiques qui datent l'ouverture du Jurassique supérieur-Crétacé inférieur

P F P F

Modèle basé sur la reconstruction de directions de transport des roches

pré-Mississippiennes

Nécessite 2000 km de décrochement sénestre alors que seul petit mouvement dextre identifié

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F P F P

Ne pensent pas que rotation soit possible car l'ouverture

de l'Atlantique Nord impliquerait une compression dans le BC

Pas de mouvements de translation identifiés le long de la marge alaskane

P F P P

Rides d'Alpha-Mendeleiev auraient été à l'origine d'ouverture du BC. Modèle

basé sur similitudes de géologie à terre entre Svalbard et Arctique-Canada

(Iles)

Pas d'accrétion sur ces "rides" puisqu'elles ne sont à priori pas des

dorsales océaniques

P P - -

Modèle basé sur l'analyse sismique qui montre que Alaska et Canada sont des

marges passives. Pôle de rotation dans le delta du MacKenzie (cohérent avec

coordonnées du pôle de rotation de Halgedahl and

Jarrard, 1987)

Pôle de rotation dans le delta devrait impliquer plus de déformation loin du

pôle (sur la partie Ouest de la marge alaskane par exemple) et moins de déformation proche du pôle, or on

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P P F [C] Implémente un moteur à

l'ouverture océanique

A priori pas de décrochante identifiée le long de la ride de Lomonosov

P P - -

Apporte contraintes sur la reconstruction paléogéographique avant

ouverture du BC (plus d'explications dans le texte).

Données de Gottlieb et al. (2014) confirment hypothèse d'Embry. Basé sur similarités de faciès

entre Sverdrup et North Slope et relie le Hanna

Trough et le bassin du Sverdrup

Pas réel modèle d'ouverture du BC et pas de moteur d'ouverture

Figure II.6 : Modèles d'ouverture proposés depuis les années 1970. En vert sont représentées les marges passives, en hachuré bleu l'espace océanique, en orange la chaîne de Brooks Range, en bleu foncé les bassins de Hanna et du Sverdrup. Les pôle de rotation sont indiqués par des cercles rouges. M. alask. désigne la marge alaskane, M. can. la marge canadienne, Lom. la ride de Lomonosov et Chuk. le bloc Chukotka. P désigne la marge passive, F la marge transformante et [C]la convergence. BC pour bassin canadien, HT pour Hanna Trough et SB pour Sverdrup basin.

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De nombreuses études s'attachent donc à caractériser les provenances des différents blocs que sont la marge alaskane (le North Slope) et la plaque de Chukotka (qui forment un seul bloc, le bloc AACT), les blocs Baltica et Siberia par rapport au bloc Laurentia (craton Nord Américain) (Figure II.7) afin de reconstruire l'évolution paléogéographique de cette région le plus fidèlement possible (Lane, 2007 ; Colpron and Nelson, 2011 ; Miller et al., 2011 ; Amato et al., 2009 ; Moore et al., 2015).

Figure II.7 : Figure issue de Strauss et al. (2013). Sont représentés les "microcontinents" Alaska Arctique (AA) et Chukotka (CH). Les étoiles représentent les lieux de prélèvement des zircons détritiques discutés en Figure II.8.

Les études entreprises se basent essentiellement sur des données paléontologiques (Blodgett et al., 2002) et analyses de zircons détritiques (Strauss et al., 2013) qui sont à même de donner une "signature" à ces blocs (exemple en Figure II.8). Ce couplage de données permet d'établir les affinités entre les différents blocs et de proposer des hypothèses quant à leur évolution géodynamique.

50 Figure II.8 : Signatures en zircons détritiques provenant de différentes localités. Figure modifiée d'après Strauss et al. (2013). Les étoiles de couleurs réfèrent aux études mentionnées dans la Figure II.7.

Les informations au sein du bassin canadien étant assez peu nombreuses pour juger de sa formation et de son évolution, les informations sont à aller chercher au niveau des marges du bassin canadien et des cordillères américaine et canadienne présentes sur le pourtour du bassin.