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2. Impact de l'érosion sur la topographie

2.2 Impact de l'érosion glaciaire

Contrairement à l'érosion fluviatile, l'érosion glaciaire n’est effective qu'à partir d'une certaine altitude et dans des chaînes aux moyennes et hautes latitudes où le climat permet l’accumulation et le mouvement de la glace. La baisse drastique des températures à la fin du Cénozoïque et en particulier au Quaternaire a permis la mise en place de glaciers dans de nombreuses chaînes de montagnes de moyennes et hautes latitudes, fournissant de nombreux laboratoires à ciel ouvert pour étudier les processus d'érosion glaciaire de manière détaillée. La mise en place de glaciers a conduit à l'incision des roches, de soulèvement de la topographie et la formation des reliefs et l'accélération de l'exhumation et l'apport de sédiments dans les bassins au cours des derniers 5-3 Ma (Molnar and England, 1990).

31 Selon l'hypothèse du "buzzsaw" l’altitude d’une chaîne de montagnes est limitée par l’effet de l’érosion glaciaire au dessus de la ligne d'équilibre des glaciers (ELA en anglais pour Equilibrium Line Altitude). Cette limite se définit comme étant le front où s'établit un équilibre à long-terme entre la quantité de glace apportée et enlevée au système (Tomkin, 2007). Cette frontière se déplace selon que le système glaciaire évolue au cours du stade glaciaire ou interglaciaire (cf Figure I.12). Lors d'une baisse des températures, cette ligne d'équilibre s'abaisse et intersecte la topographie et détermine les zones où la glace va pouvoir se mettre en place de manière pérenne (Tomkin and Roe, 2007).

Figure I.12 : Position de la ligne d'équilibre des glaciers (ELA en anglais ; Tomkin, 2007) en stade glaciaire (en bleu) et interglaciaire (en rouge). L'extension des glaciers est représentée en bleu en stade glaciaire et en rouge en stade interglaciaire est fonction des aléas climatiques (vents, précipitations). Sur le bas de la figure est représentée la relation entre l'extension et l'épaisseur de la glace et la vitesse de glissement (VG) de celle-ci (en bleu en pour le glacier en stade glaciaire et en rouge pour le glacier en stade interglaciaire). Voir le texte pour la discussion. Figure redessinée à partir de Meigs and Sauber (2000).

La quantité d'érosion étant directement liée à la vitesse de glissement des glaciers, qui est elle-même fonction de la quantité de glace présente dans la chaîne (Figure I.12). Cette quantité est maximale au niveau de la ligne d'équilibre des glaciers, et l'érosion résultante aura donc tendance à aplanir la topographie au niveau de cette limite (Burbank and Anderson, 2012). Selon cette théorie, la topographie va donc être fortement influencée par la position de cette ligne d'équilibre ; au-dessus de celle-ci, l'érosion diminue avec l'épaisseur de glace, au-dessous de celle-ci la dénudation est le fruit de l'érosion glaciaire et péri-glaciaire (érosion en marge du glacier). L'érosion tend à se concentrer au niveau de cette ligne d'équilibre. Par conséquent, abaisser le niveau de cette ligne d'équilibre revient à

32 augmenter la surface affectée par l'érosion glaciaire et à créer de plus grandes surfaces dont la topographie est aplanie (Tomkin, 2007).

Plusieurs autres études sont arrivées à des conclusions significativement différentes, comme par exemple le sud de l'Alaska au niveau de la chaîne des montagnes de Chugach St-Elias. Le sud de l'Alaska est une région de déformation crustale active où l'érosion glaciaire a façonné le paysage et contrôlé l'exhumation depuis 6 Ma (Meigs and Sauber, 2000 ; Enkelmann et al., 2008, 2009 ; Spotila et al., 2004 ; Berger and Spotila, 2008).

Figure I.13 : Profil topographique des St-Elias en Alaska. Le trait noir reporte la topographie, les traits gris les topographies minimales et maximales. Les triangles rouges représentent les âges AHe obtenus par Berger and Spotila (2008) et la ligne pointillée rouge symbolise la tendance des taux d'érosion le long du profil. La ligne pointillée bleue représente la ligne d'équilibre des glaciers au moment du Dernier Maximum Glaciaire (DMG) et la zone verte délimite la localisation de l'intersection de cette ligne d'équilibre avec la topographie. Figure simplifiée issue de Berger and Spotila (2008).

Les âges U-Th/He sur apatite présentés en Figure I.13 suggèrent que l'érosion est maximale au niveau de la ligne d'équilibre des glaciers. Cette limite est positionnée sur le versant ouest de la chaîne qui est influencée par l’arrivée des masses d’air chargées d’humidité et donc à l’origine des fortes précipitations (Meigs and Sauber, 2000) couplées à de forts taux de déformation liés à l'accrétion du bloc continental Yakutat (Spotila et al., 2004). Les reliefs sont aplanis sous la ELA alors qu’ils sont plutôt importants au-dessus de cette limite. Les âges (U-Th)/He sur apatites qui ont été obtenus le long d'un profil traversant la chaîne de montagnes mettent en évidence des âges très jeunes (aux alentours de 1-2 Ma) sous la ligne d'équilibre, et des âges beaucoup plus vieux au centre de la chaîne (jusqu'à 15 Ma ; Berger and Spotila, 2008). Cette chaîne étant recouverte à plus de 50 % par de la glace (Enkelmann et al., 2009), l'érosion importante a pu contrebalancer le soulèvement tectonique

33 permettant de maintenir une topographie moyenne (Spotila et al., 2004). L’érosion glaciaire serait donc un moteur de création de relief et de topographie dans les chaînes de montagnes, au contraire de l’hypothèse « buzzsaw » présentée plus haut.

L'étude de la chaîne des Andes et notamment sa partie sud, la Patagonie, a permis de mettre en évidence qu'à partir d'une certaine latitude, dans cet exemple à partir de 49°S, l'érosion n'a manifestement pas été d'une intensité telle qu'elle a été décrite dans les modèles de prismes orogéniques englacés (décrite dans la partie précédente). Dans ce cas précis, à des latitudes inférieures à 49°S les âges de refroidissement sont relativement jeunes (entre 7 et 5 Ma) alors qu'au-dessus de 49°S, ces âges de refroidissement sont beaucoup plus vieux (Thomson et al., 2010) indiquant un taux de dénudation beaucoup plus réduit. Comme dans l'exemple précédent, l'érosion a été maximale au niveau de la ligne d'équilibre des glaciers, et relativement minime au-delà de cette ligne.

Le même type d'observations que celles faites en Patagonie ont été faites dans l'orogène actif himalayen. Comme dans les autres exemples l'érosion glaciaire est maximale où la glace a la plus grande épaisseur. A partir d'une certaine altitude, en revanche, la couverture glaciaire n'est pas suffisante pour provoquer une érosion significative. A de très hautes altitudes, les reliefs peuvent donc être préservés (Harper and Humphrey, 2003).

Comme les autres reliefs affectés par l'érosion glaciaire et mentionnés précédemment, les reliefs scandinaves sont le résultat d'une érosion importante au Plio-Quaternaire et les produits issus de cette érosion se sont déposés en mer du Nord. L'étude de Steer et al. (2012) met en évidence "deux types de reliefs", comme dans le cas de la Patagonie : le premier est marqué par des surfaces de faible relief à hautes altitudes affectées par une érosion glaciaire très importante, ayant conduit à la formation des fjords. Le second type présente des reliefs beaucoup plus marqués, comme préservés de l'érosion glaciaire. Ce passage d'une zone érosive à une zone non-érosive aux hautes altitudes pourrait être expliqué par l'état de la glace en base de glacier : lorsque les températures le permettent, cette base est dite "chaude", c'est-à-dire que les glaciers peuvent fluer et l'érosion sera très efficace. En revanche, lorsque les températures sont trop basses (trop hautes altitudes ou latitudes), cette base gèle et les glaciers fluent moins voire plus du tout, inhibant tout action érosive (Steer et al., 2012).