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Deux modèles expérimentaux : le primate non-humain et la souris humanisée

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III. Les modèles animaux pour l’étude de l’infection par le VIH-

1. Deux modèles expérimentaux : le primate non-humain et la souris humanisée

a. Un besoin aigu de modèles précliniques

Les modèles animaux représentent un outil préclinique déterminant pour la compréhension des pathologies humaines et le développement de traitements thérapeutiques. La recherche biomédicale a largement bénéficié des connaissances accumulées au travers d’études effectuées sur les modèles animaux, en particulier chez la souris. Toutefois, la souris présente des limitations importantes notamment lorsque ce modèle expérimental est confronté au tropisme exclusivement humain de certains pathogènes, limitant sérieusement leur étude in vivo. C’est particulièrement le cas d’un grand nombre de maladies infectieuses, telles que les infections par le VIH-1, les virus de l’hépatite B et C, ou encore par les parasites de l’espèce Plasmodium malariae, l’agent causal du paludisme. Ces restrictions s’appliquent également en termes de développement et d’évaluation de nouvelles approches thérapeutiques.

Pour contourner ces limitations, des modèles animaux spécifiques permettant l’établissement de réponses immunitaires fonctionnelles le plus proche possible de l’homme sont nécessaires. Dans le contexte de l’infection par le VIH-1, le modèle idéal devrait permettre de modéliser la transmission du virus, la pathogénie et la distribution tissulaire avec la formation de réservoirs viraux, d’étudier les dysfonctionnements immunitaires causés directement ou indirectement par la réplication virale ou encore d’évaluer l’efficacité de stratégies thérapeutiques. Malheureusement, ce modèle n'existe pas. En revanche, les modèles de PNH (Van Rompay 2012; D. T. Evans and Silvestri 2013; Karlsson et al. 2007; Bourry et al. 2010) et de souris HIS (Paul W. Denton and García 2011) répondent en partie à ces critères

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avec des limites propres à chaque modèle. A noter que les souris standards, comme d’autres rongeurs, ne sont pas des hôtes naturels des Retroviridae et ne peuvent être infectées par le VIH-1 (Morrow et al. 1987). Le PNH et la souris HIS sont souvent utilisés indépendamment ou en combinaison pour l’étude de l’infection par le VIH-1.

b. Le primate non-humain

Le PNH avec qui nous partageons environ 98% de notre génome (Gibbs et al. 2007) présentent des similitudes anatomiques, physiologiques et physiopathologiques proches de l’homme, ce qui en fait un modèle de grand intérêt dans l’étude des maladies infectieuses et particulièrement de l’infection par le VIH-1 (Gardner and Luciw 2008). Néanmoins, leur proximité à l’homme soulève des considérations éthiques et le cout financier associé à la complexité des structures d’hébergement et de soins est important. Dès le début de l’épidémie, l’infection par le SIV a été le modèle de référence pour les études physiopathologiques. Le SIV est un lentivirus caractérisé depuis la fin des années 1980 (Hirsch et al. 1989). Parmi la diversité des espèces de PNH, on distingue classiquement les hôtes naturels et non naturels du SIV. Les premiers correspondent aux singes d’Afrique et ne développent pas de maladie, alors que les seconds, représentés par les singes d’Asie, en développe une lors de l’infection par les souches SIV. En particulier, des dysfonctionnement immunitaires similaires à ceux observés lors de l’infection VIH-1 chez l’homme sont retrouvées : une charge virale élevée, une déplétion progressive des LT CD4+, une phase chronique durable qui favorise l’apparition de maladies

opportunistes et de comorbidités (Brenchley and Paiardini 2011).

L’infection chronique des singes africains par le SIV est non pathogène malgré des charges virales plasmatiques élevées. Ces modèles non progresseurs sont précieux pour étudier

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les mécanismes d’une réponse immunitaire efficace (A.-S. Liovat et al. 2009). Les modèles non

pathogènes les mieux étudiés sont l’infection par la souche SIVsmm présente chez le sooty

mangabey (Cercocebus atys) et l’infection par la souche SIVagm du singe vert africain (Chlorocebus aethiops) (Hirsch et al. 1989). Bien que l’infection SIV entraine une forte réplication virale et une déplétion drastique des LT CD4+ dans le GALT dès les premiers jours

de l’infection aigüe (Gordon et al. 2007), la charge virale reste faible dans les ganglions lymphatiques de ces hôtes naturels, suggérant un contrôle du virus dans les tissus (Beer et al. 1996; Diop et al. 2000). De plus, l’infection persistante n’entraine pas d’altérations immunitaires majeures en phase chronique. La restauration du nombre de LT CD4+ est presque

complète, l’intégrité tissulaire des ganglions lymphatiques et du GALT est rétablie ou faiblement altérée (Pandrea, Gautam, et al. 2007), l’activation immunitaire chronique et l’épuisement progressif des réponses T sont très faibles en comparaison d’un modèle d’infection progresseurs ou de l’infection VIH-1 chez l’homme. La normalisation rapide de l’activation immunitaire constitue une différence marquante de ces modèles. Différents travaux mettent en évidence l’interdépendance de plusieurs mécanismes cellulaires contribuant à réguler fortement cet état d’activation et à maintenir une réponse antivirale efficace : une prolifération cellulaire normale (Chakrabarti et al. 2000), une architecture des organes lymphoïdes secondaires maintenue (Silvestri et al. 2003), un équilibre inflammatoire (Kornfeld et al. 2005), l’induction rapide d’une réponse suppressive (Pereira et al. 2007; Estes et al. 2008). A l’inverse, les singes asiatiques dits progresseurs sont sensibles à l’infection exogène par les souches SIV de laboratoires. Les efforts de la recherche sur le VIH-1 se sont concentrés sur les macaques à queue de cochon (Macaca nemestrina), les macaques rhésus (Macaca mulatta) d’origine indienne et chinoise et les macaques cynomolgus (Macaca fascicularis). L’infection SIV induit une infection pathogène persistante proche de celle observée par le VIH- 1 chez l’homme (Fauci and Desrosiers 1997), avec une progression vers le stade SIDA dont

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l’évolution dépend de la souche virale (D. T. Evans and Silvestri 2013) et des espèces : une progression très rapide (< à 6 mois) chez les macaques à queue de cocon (Klatt et al. 2012), une progression rapide (6 mois à 1 an) pour les macaques rhésus indiens et un profil de progression lente (> à 1 an) pour les macaques rhésus chinois et cynomolgus (Reimann et al. 2005). Toutefois, la durée de la phase chronique n’atteint pas celle observée chez l’homme qui varie de 5 à 12 ans chez les patients infectés par le VIH-1 ne recevant pas de traitement ART.

Pour expliquer les différences entre hôtes naturels et non naturels, différents mécanismes sont proposés. Les variants de la protéine Nef, présents dans les souches endogènes, jouent un rôle dans la protection des hôtes naturels au SIV. Ils induisent (i) la régulation négative de l’expression du CD3 et du TCR et empêchent la formation de la synapse immunologique, réduisant l’activation, la mort cellulaire induite par l’activation et l’induction de PD1, (ii) la régulation négative du CMH-I, limitant l’activation des LT CD8+ et la lyse des

LT CD4+ infectés (Kirchhoff and Silvestri 2008; Schindler et al. 2008; Joas et al. 2020). De

plus, la surexpression de facteurs de restriction a été mis en évidence chez les singes africains diminuant l’expression de CD4 et de CCR5 et réduisant ainsi l’entrée du virus au sein des cellules cibles (Beaumier et al. 2009; Paiardini et al. 2011; Pandrea, Apetrei, et al. 2007). Enfin, les modalités de mise en place de la réponse innée sont différentes entre les deux modèles de macaques et joueraient un rôle déterminant dans le contrôle de la maladie (Bosinger et al. 2009; Jacquelin et al. 2009; Lederer et al. 2009). En particulier, l’arrêt plus précoce de la réponse IFN-

I et de la production d’ISG associés jouerait un rôle dans le contrôle de l’activation immunitaire et de l’inflammation en phase chronique chez les singes non progresseurs par rapport aux hôtes progresseurs (Jacquelin et al. 2009).

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c. La souris humanisée pour le système immunitaire

Comme pour le PNH, le principal moteur de développement de la souris HIS repose sur l’accès à un modèle animal avant les essais cliniques chez l’homme. On distingue classiquement deux types d’humanisation : l’humanisation génétique et l’humanisation cellulaire. L’humanisation génétique pour des composants moléculaires implique des mutations permettant l’expression de gènes humains et, par exemple, l’étude et la validation d’une stratégie thérapeutique ciblant la molécule humaine dont l’expression a été induite. Actuellement, grâce à la technique de CRISPR-Cas9 qui agit comme ciseaux moléculaires, l’humanisation génétique de plusieurs loci murins codant pour des composants du système immunitaire est largement facilitée (Bournazos, DiLillo, and Ravetch 2014; Lute et al. 2005; X. Chen et al. 2018). Toutefois, pour permettre une compréhension plus complète des mécanismes pathologiques in vivo et faciliter les études précliniques, il est important d’utiliser une approche d’humanisation cellulaire. Celle-ci repose sur la xénotransplantation de tissus

et/ou de CSH humaines au sein d’une souris immunodéficiente. Les modèles de souris HIS

existent depuis plus de 30 ans et ont largement bénéficié d’améliorations au cours du temps (J. McCune et al. 1991; Leonard D. Shultz et al. 2012; R. Ito et al. 2012; R. Ito, Takahashi, and Ito 2018). La souris HIS dispose d’un système immunitaire chimérique humain/murin et repose sur un équilibre fragile visant à empêcher le développement de GvHD (graft versus host disease) tout en reconstituant un système immunitaire humain fonctionnel. Au cours du temps, plusieurs avancées révolutionnaires ont été possibles principalement grâce à deux approches. Premièrement, en modifiant génétiquement la souris pour éliminer davantage les cellules immunitaires murines et limiter leur influence, et deuxièmement, en affinant les stratégies d’humanisation via l’implantation de tissus fœtaux humains et/ou de CSH humaines, pour atteindre un niveau satisfaisant de reconstitution immunitaire humaine dans les tissus

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lymphoïdes et non lymphoïdes, y compris les muqueuses. Les modèles de souris HIS montrent désormais un fort potentiel pour l’étude de l’infection par le VIH-1. Aujourd’hui, plus de 20 modèles HIS, chacun avec des caractéristiques propres, sont disponibles (Akkina et al. 2016).

Les nouvelles générations de souris HIS sont utilisées pour plusieurs raisons. Il s’agit du seul modèle animal permettant d’étudier directement l’infection par le VIH-1. Le système immunitaire est partiellement humanisé et fonctionnel, et peut récapituler de nombreux

dysfonctionnements du système immunitaire notamment la déplétion des LT CD4+ (Berges et

al. 2006), l’épuisement des réponses T (Brainard et al. 2009), l’activation immunitaire et l’inflammation chronique (Long and Stoddart 2012). L’étude de la transmission du VIH-1 par les muqueuses (Sun et al. 2007; Wahl et al. 2012), la pathogenèse (Long and Stoddart 2012; Berges et al. 2006; Dudek et al. 2012), la prévention (Neff et al. 2010; Paul W. Denton et al. 2010), les traitements (Joseph et al. 2010; Klein et al. 2012; Nischang et al. 2012; Dash et al. 2019) et la latence virale (P. W. Denton et al. 2012; S. K. Choudhary et al. 2012; Satheesan et al. 2018; Llewellyn et al. 2019) peuvent être étudiés. Notons en particulier, une dissémination du virus mise en évidence dans le modèle NSG (Araínga et al. 2016) et DRAG (J. Kim et al. 2017) au sein de différents tissus et notamment le cerveau, entrainant une neuro-inflammation (Gorantla et al. 2010) décrite chez certains patients ; des voies de transmission semblables à l’homme chez la souris BLT qui peut être infectée par voie sanguine, rectale et vaginale (Berges et al. 2008) ; un contrôle efficace de la charge virale par traitement ART (Nischang et al. 2012)

et un rebond de la charge virale à son arrêt révélant la présence de réservoirs viraux (P. W. Denton et al. 2012). Enfin, le modèle HIS est considérablement moins cher que les modèles PNH.

Il est néanmoins important de considérer les limites du modèle et de les reconnaitre. Il s’agit d’un modèle chimérique de cellules et de tissus ; le système immunitaire humain est

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partiellement reconstitué et les cellules non lymphoïdes et les tissus restent d’origine murine. Malgré une réponse immunitaire robuste, un retard des réponses humorales (entre 6 et 12 semaines post-infection) et cellulaires (9 semaines post-infection) spécifiques a été observé dans le modèle BLT infecté par le VIH-1, par rapport au modèle PNH infecté par le SIV et l’homme par le VIH-1 (2 semaines post-infection) (Brainard et al. 2009), reflétant probablement un défaut de la maturité du système immunitaire humain pour ces souris. Les réponses adaptatives doivent encore être améliorées dans ces modèles, en particulier la réponse IgG (J. Lang et al. 2013; Y. Watanabe et al. 2009). Enfin, la cinétique d’infection du VIH-1 chez la

souris HIS semble différente du SIV chez le macaque et du VIH-1 chez l’homme. En effet, le

pic de la charge virale est observé environ 2 semaines après l’infection, mais se maintient pendant plusieurs semaines avant de décliner, indiquant un retard dans le contrôle de la réplication virale (Brainard et al. 2009; Llewellyn et al. 2019; Dash et al. 2011; Wahl et al. 2012). Les modèles de souris HIS et PNH ont le potentiel pour servir de modèles complémentaires dans l’étude de l’infection VIH-1, avec leurs forces et leurs limites (Table 1).

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Primate non-humain Souris humanisée pour le système immunitaire

Avantages • Proximité génétique, anatomique, physiologique avec l’homme • Similitude entre pathogenèse SIV et VIH-1

• Réponse immunitaire innée et adaptative proche de l’homme • Quantité importante de matériels biologiques

• Seul modèle animal sensible au VIH-1 • Système immunitaire humain fonctionnel

• Pathogenèse proche : déplétion LT CD4+, épuisement, activation et

inflammation chronique

• Sensible à tous les ARV utilisés chez l’homme

• Petit animal, relativement peu cher et facilement accessible Limites • Insensible au VIH-1 mais SIV et virus apparentés (Env-SHIV, RT-SHIV)

• SIV diffère génétiquement du VIH-1 : gène Vpu absent, génétique du CMH et TCR plus complexe

• Nombre de virus SIV limité avec une sensibilité différente

• SIV naturellement résistant à de nombreux ARV approuvés par la FDA (INNTI, certains IP et anti-CCR5)

• Coût, disponibilité, considérations éthiques

• Système immunitaire chimérique humain/murin • Certaines structures lymphoïdes fragilisées/absentes • Délai des réponses T et B spécifiques

• Cinétique virale différente • Maturation cellulaire à améliorer • Quantité limitée de matériels biologiques Similitudes • Etude de la transmission, pathogenèse, prévention, traitement et latence virale

• Souche virale, dose, voie d’infection, cinétique d’infection connues • Approche multi-tissus et étude des réservoirs persistants

• Possibilité d’interventions à risques élevés (expériences invasives, euthanasies) • Diversité des modèle PNH ou souris HIS

Références PNH : (Gibbs et al. 2007; Van Rompay 2012; Yasutomi et al. 1993; Allen et al. 2000; X. Jin et al. 1999; Matano et al. 1998; Schmitz et al. 2003; C. J. Miller et al. 2007) ; (Hatziioannou et al. 2009; Witvrouw et al. 2004; Parkin and Schapiro 2004; Giuffre et al. 2003; Vlasak and Ruprecht 2006; F. Wu et al. 2012; Lopker et al. 2013; Watkins et al. 2008; Daza-Vamenta et al. 2004; Otting et al. 2005)

Souris HIS : (Berges et al. 2006; Sun et al. 2007; Y. Watanabe et al. 2009; Brainard et al. 2009; Shimizu et al. 2010; Paul W. Denton et al. 2010; Joseph et al. 2010; Neff et al. 2010; Billerbeck et al. 2011; P. W. Denton et al. 2012; Wahl et al. 2012; Dudek et al. 2012; Klein et al. 2012; Long and Stoddart 2012; B. E. Palmer et al. 2013; J. Lang et al. 2013)

Table 1: Avantages, limites et similitudes des modèles de primates non-humains et de souris humanisées utilisés dans la recherche sur le VIH-1

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