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3. LE GASPILLAGE DES CONSOMMATEURS

3.3 Modèles comportementaux

Comme documenté dans les sections précédentes, les comportements qui causent le gaspillage des consommateurs sont bien établis. Pour limiter le gaspillage, il faudra inciter ces consommateurs à changer leurs comportements pour en adopter de nouveaux. Il a aussi été démontré que plusieurs facteurs influencent indirectement ces comportements; les attitudes, croyances, habiletés et facteurs externes viendront faciliter ou freiner l’adoption des comportements qui limitent le gaspillage. Avec autant de comportements à changer et autant d’influenceurs à considérer, il est difficile de savoir lesquels prioriser. La psychologie sociale a développé des dizaines de modèles comportementaux qui expliquent l’influence relative de ces facteurs sur l’adoption des comportements. À partir d’un modèle établi, des chercheurs peuvent tester la capacité du modèle à prédire le comportement, ce qui permet de développer des interventions plus efficaces pour modifier ces comportements. Bien que plusieurs modèles aient été conçus pour analyser les comportements environnementaux, quelques chercheurs ont récemment publié des études qui évaluent la validité de la Théorie du comportement planifié de Ajzen (1991) dans le contexte du gaspillage alimentaire des consommateurs. La doctorante Ella Graham-Rowe en a fait le sujet de sa thèse « No time to waste : Applying social psychological methods and theories to household food waste » (2014). Tout comme Graham-Rowe, Visschers et al. ont aussi utilisé cette théorie comme cadre dans une étude suisse en 2016.

Selon la Théorie du comportement planifié (TCP), le facteur le plus déterminant du comportement est l’intention de faire le comportement (Ajzen, 1991). L’intention d’agir est fortement influencée par 3 déterminants : l’attitude, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu (Ajzen, 1991). L’attitude reflète si la personne est favorable ou défavorable au comportement souhaité et est façonnée par l’évaluation des conséquences à ne pas adopter le comportement et par l’importance de ces conséquences. Les normes subjectives reflètent la pression sociale perçue d’adopter le comportement souhaité et l’importance que la personne accorde à suivre cette pression. Finalement, le contrôle comportemental perçu reflète la capacité perçue de pouvoir adopter le comportement souhaité. En somme, plus l’intention est forte, plus les chances d’adopter le comportement souhaité augmentent. Cela dit, malgré une forte intention, des barrières réelles à agir peuvent empêcher le comportement; on peut avoir l’impression de pouvoir adopter le comportement, mais ne pas en avoir réellement la capacité. Le contrôle comportemental réel peut être à lui seul un déterminant du comportement. Le modèle de base est illustré dans la figure 3.1. Il est à noter qu’Ajzen avait prévu que d’autres déterminants de l’intention puissent être ajoutés selon le contexte (Graham-Rowe, 2015).

Figure 3.2 Théorie du comportement planifié (traduit de Graham-Rowe, 2015, p. 13)

Avec ce modèle en main, l’intérêt des chercheurs est de mesurer si un déterminant a plus d’effet sur l’intention et, ultimement, si l’intention entraîne le comportement souhaité. En comprenant mieux ce processus et l’importance de certaines influences, on peut concevoir des interventions mieux ciblées.

Les deux études ont très clairement démontré que le modèle TCP explique en grande partie les variations de niveau de gaspillage alimentaire et que l’intention est déterminante (Visshers et al., 2016; Graham- Rowe, 2015). Également, les deux études soutiennent aussi que ce sont les attitudes et le contrôle perçu qui sont les plus déterminants de l’intention, alors que les normes subjectives n’ont soit aucune influence (Visshers et al., 2016) ou beaucoup moins que les deux autres (Graham-Rowe, 2015). Parmi les nombreux déterminants ajoutés au modèle, notons que les attitudes personnelles face au gaspillage (ce n’est pas nécessaire de gaspiller), les préoccupations de salubrité et les normes personnelles (c’est contraire à mes principes de gaspiller) sont de forts prédicteurs du gaspillage et que l’intention joue le médiateur entre ces attitudes et le comportement (Visshers et al., 2016). Notons aussi que l’identité du bon hôte a une grande influence négative sur les niveaux rapportés de gaspillage malgré une forte attitude contre le gaspillage (Visshers et al. 2016), mais que les habitudes de planification, qui ont une influence très importante sur l’intention, ont peu d’influence sur les niveaux de gaspillage rapportés (Visshers et al. 2016). Dans l’autre étude, l’identité personnelle (je suis le genre de personne qui réduira son gaspillage durant les 7 prochains jours) et les regrets anticipés (que je serais déçu de moi si je ne réduisais pas mon gaspillage) se démarquent aussi comme des déterminants de l’intention (Graham- Rowe, 2015). On constate dans les deux études que les attentes face à soi-même sont prédominantes.

Il semble qu’une stratégie d’intervention qui augmenterait les croyances que « jeter est mauvais, immoral et pas nécessaire » serait efficace pour réduire le gaspillage (Visshers et al. 2016). On devrait également

rassurer les consommateurs qu’ils ne perdront pas d’estime s’ils servent ou stockent moins de nourriture, qu’ils utilisent davantage de produits moins périssables, comme des surgelés en cas d’imprévus, surtout si on le fait dans le but de moins gaspiller. On pourrait également augmenter le contrôle comportemental perçu en éduquant les consommateurs sur les dates de péremption, et comment utiliser les restes de manière sécuritaire. Est-ce qu’on peut faire évoluer le consommateur? Changer ses normes et ses perceptions pour changer son intention et ultimement ses comportements? Alors que l’étude de Visshers et al. a évalué à un moment précis ce qui caractérise les gaspilleurs ou ceux qui gaspillent moins, celle de Graham-Rowe et al. (2015) a été conçue pour combler cette lacune. Elle a en effet mesuré l’impact sur le changement de comportements en évaluant le taux de gaspillage 7 jours après une intervention auprès des participants. Le modèle a réussi à prédire une réduction réelle du gaspillage pour 64 % des participants (Graham-Rowe, 2015).

Que doit-on retenir du modèle de la théorie du comportement planifié? Que pour faire adopter les bons comportements, il faut maximiser l’intention de ne pas gaspiller en misant sur les déterminants les plus influents qui sont les attitudes, les normes personnelles, le sentiment de regret, l’identité du bon hôte et le contrôle comportemental perçu. Les normes subjectives ou descriptives ont peu d’influence parce que gaspiller est peu visible aux autres.