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Chapitre IV : L’EPA, un acide gras qui vous veut du bien

III) Effets des PUFAS sur la résistance à l’insuline

2) Modèles animaux et in vitro

Effets généraux des ω3 sur l’insulino-résistance.

Chez des rats nourris avec un régime hyperlipidique (HFD), la supplémentation en huile de poisson, ou en ω3 purifiés (EPA, DHA ou EPA+DHA) entraîne une moindre prise de poids corporel et une diminution de divers dépôts adipeux [Hainault, et al. 1993], [Baillie, et al. 1999], [Belzung, et al. 1993] , [Perez-Matute, et al. 2007], [Takahashi, et al. 2000], parfois associées à une réduction de l’hypertrophie adipocytaire [Belzung, et al. 1993], [Parrish, et al. 1990]. La supplémentation en huile de poisson empêche le développement de l’insulino-résistance induite par un HFD chez le rat, notamment dans le foie et le muscle [Storlien, et al. 1987]. Une étude menée en 1999 suivant le devenir du glucose lors d’un clamp euglycémique hyperinsulinémique de rats nourris avec un HFD a montré que l’huile de poisson, par rapport à l’huile de carthame (riche en ω6) améliore la sensibilité à l’insuline, en favorisant la glycolyse musculaire et en diminuant les TG intramusculaires [Jucker, et al. 1999].

Une étude a comparé les effets de différents PUFAs sur la sensibilité à l’insuline de rats. Après 8 semaines, l’EPA et le DHA diminuent la glycémie et l’insulinémie à jeun et l’HOMA-IR des animaux de façon comparable, le mélange EPA+DHA de façon plus marquée, et l’ALA a un effet moins marqué que l’EPA et le DHA [Andersen, et al. 2008b], ce qui confirme que ces deux PUFA sont métaboliquement plus actifs que leur précurseur.

Les effets insulino-sensibilisateurs des ω3 sont également retrouvés chez des souris nourries avec un HFD, chez qui ils améliorent la tolérance au glucose et diminuent la stéatose [Liu, et al. 2013] et impliquent une diminution de l’inflammation du tissu adipeux [Kalupahana, et al. 2010]. Dans le modèle de souris ob/ob, une supplémentation en ω3 augmente la sensibilité à l’insuline du muscle et du foie, augmente l’activation de l’AMPK dans le muscle et le tissu adipeux, et ces effets sont associés à une diminution de la stéatose, une augmentation de la sécrétion d’adiponectine et de l’expression génique de PPARγ, de GLUT4 et d’IRS-1 dans le tissu adipeux, et de GLUT2 et d’IRS-2 dans le foie [Gonzalez-Periz, et al. 2009]. Une analyse lipidomique chez ces animaux montre que la supplémentation en ω3 favorise la production de résolvines et de protectines, et qu’elle inhibe celle d’eicosanoïdes dérivés des ω6 [Gonzalez- Periz, et al. 2009]. Plus récemment, une étude menée sur le hamster nourri avec un HFD a montré que la prise de poids est empêchée par la supplémentation en ω3, et l’intolérance au

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glucose induite par le HFD est diminuée. Leur hypertriglycéridémie post-prandiale est également diminuée, ainsi que la production de VLDL et l’expression génique de SREBP-1c, FAS, SCD1 et DGAT dans le foie [Kasbi Chadli, et al. 2011].

Toutes ces études menées chez l’animal montrent bien que l’EPA, administré en même temps qu’un régime gras, permet de ralentir voire d’empêcher l’apparition de l’obésité et des signes de l’insulino-résistance, mais de façon remarquable, il est aussi capable de reverser une insulino-résistance déjà installée chez des souris. En effet, dans l’étude de Kalupahana, des souris glucointolérantes suite à un régime gras pendant 6 semaines, voient leur intolérance au glucose et leur stéatose hépatique diminuer après 5 semaines de ce même régime, supplémenté en EPA, sans pour autant qu’il y ait un effet sur la masse grasse [Kalupahana, et al. 2010].

Les effets bénéfiques des ω3 sur le métabolisme énergétique sont en général médiés par l’activation du récepteur nucléaire PPARα : la supplémentation en huile de poisson limite l’apparition de la résistance à l’insuline de souris nourries avec un HFD, et chez les souris PPARα-/-, l’huile de poisson ne parvient pas à limiter la résistance à l’insuline et la production endogène de glucose mesurées lors d’un clamp euglycémique-hyperinsulinémique [Neschen, et al. 2007]. Une étude nutrigénomique a confirmé l’implication de PPARα, en montrant que la majorité des gènes régulés dans le foie de souris par les ω3, particulièrement le DHA, le sont via PPARα, puisque tous ces gènes ne sont pas modulés chez les souris PPARα-/- [Sanderson, et al. 2008].

Effets sur le transport de glucose

L’étude de Storlien et al [Storlien, et al. 1987] a montré que la supplémentation en huile de poisson augmente le transport de glucose dans les muscles squelettiques oxydatifs (muscle soléaire et gastrocnémien rouge) stimulés par l’insuline in vivo. Cet effet pourrait être dû à l’augmentation de la translocation des GLUT4, mais la supplémentation en ω3 de rats sous régime HFD permet de limiter la diminution de l’expression de GLUT4 observée dans le tissu adipeux des animaux HFD [Takahashi and Ide 2000].

In vitro par contre, c’est le transport de glucose basal qui est amélioré, après un traitement avec de l’EPA pendant 24h sur des myocytes C2C12 [Figueras, et al. 2011]. C’est

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aussi le cas dans des myocytes humains en culture primaire [Aas, et al. 2006], et dans ces cellules, l’augmentation du transport basal est due à l’augmentation de l’expression génique de GLUT-1.

Effets sur la prise en charge des lipides

Le fait que chez les animaux, l’ingestion d’ω3 résulte en une moindre prise de poids et de masse grasse sous régime hyperlipidique, alors que la prise alimentaire n’est généralement pas modifiée, suggère qu’une augmentation de la dépense énergétique peut participer à une moindre prise de poids. En effet, des rats nourris avec un régime contenant de l’huile de poisson ont une dépense énergétique au repos plus importante que des rats nourris avec la même quantité d’huile de maïs [Baillie, et al. 1999], et cela semble être le résultat d’une augmentation de la β-oxydation peroxysomale, car le gène de l’acyl-coA oxydase est plus exprimé dans le muscle squelettique, le cœur et le foie, et UCP3 est plus exprimé dans le muscle squelettique des rats nourris avec l’huile de poisson.

Ainsi, la consommation d’ω3 redirigerait les lipides vers le catabolisme, plutôt que vers le stockage dans les muscles et le foie, où leur présence est délétère. En effet, chez des rats nourris avec un régime HFD supplémenté en huile de poisson, l’activité de CPT1 est augmentée dans le cœur et les muscles squelettiques dès 4 semaines, et la CPT1 est moins sensible au malonyl-coA [Power, et al. 1997]. De même, les souris nourries avec un HFD contenant de l’EPA+DHA ont une plus forte expression génique de CPT1a et de PGC1α dans le tissu adipeux épididymaire, associée à une augmentation de la β-oxydation et une diminution de la lipogenèse [Flachs, et al. 2005]. De même, une supplémentation en EPA de souris nourries avec un HFD augmente l’expression et l’activité de la CPT1 et diminue celles de la FAS dans le foie [Liu, et al. 2013], [Umeda-Sawada, et al. 2001].

L’AMPK est un intermédiaire des effets des ω3 sur le métabolisme lipidique, car en phosphorylant la malonyl-coaA-décarboxylase, elle lève l’inhibition du malonyl-coA sur la β- oxydation, et dans des cultures primaires d’adipocytes de rats, un traitement à l’EPA active l’AMPK [Lorente-Cebrian, et al. 2009]. Les effets des ω3 sur l’oxydation sont également médiés par une modulation de l’expression génique, en particulier via PPARα [Brandt, et al. 1998]. Les PUFAs sont de très bons ligands de PPARα [Krey, et al. 1997], et l’expression d’UCP2 stimulée par l’EPA dans des hépatocytes semble dépendante de l’activation de PPARα [Armstrong, et al. 2001]. De plus, les promoteurs des gènes codant pour CPT1 [Brandt, et al. 1998], de l’acyl-coA-

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oxydase [Varanasi, et al. 1996] et les enzymes découplantes de la mitochondrie [Schrauwen, et al. 1999] possèdent des éléments PPRE, ce qui suggère que l’augmentation de la β-oxydation stimulée par les ω3 ne serait pas associée à une augmentation délétère de ROS dans la mitochondrie.

Dans le muscle, la mesure directe de la β-oxydation de lipides a rarement été étudiée après une supplémentation en ω3. Certaines études rapportent un effet inhibiteur de l’EPA sur la β-oxydation ex vivo dans le muscle EDL (extenseur commun des orteils) de souris, [Figueras, et al. 2011], et dans des myocytes primaires humains isolés à partir de muscle vaste latéral (VL), on observe une inhibition [Aas, et al. 2006] ou une stimulation de la β-oxydation [Wensaas, et al. 2009], selon les études. Cependant ces muscles sont respectivement glycolytiques et mixtes. Un effet stimulateur de la β-oxydation dans des muscles oxydatifs, tels que le muscle soléaire ou gastrocnémien rouge ne sont donc pas exclus, et serait cohérents avec l’activation de PPARα par les PUFAs.

En activant PPARα, les ω3 sont également capables d’inhiber la lipogenèse de novo, en inhibant l’expression de SREBP-1c dans le foie [Price, et al. 2000] , [Jump 2008], ce qui participe à la protection contre le stockage ectopique de lipides. En effet, la stéatose hépatique et l’accumulation de lipides dans les muscles sont fréquemment diminués lorsque l’on compare un régime HFD supplémenté en ω3 avec un HFD contenant des lipides saturés [Jucker, et al. 1999], [Gonzalez-Periz, et al. 2009], [Neschen, et al. 2007], [Svegliati-Baroni, et al. 2006], ce qui est en accord avec une meilleure sensibilité à l’insuline. L’étude de Kuda et al n’a pas montré d’effet net de l’EPA+DHA sur les TG musculaires et hépatiques de souris nourries avec un HFD, mais montre une diminution des céramides musculaires en association avec la Rosiglitazone, ce qui est bénéfique pour la sensibilité à l’insuline [Kuda, et al. 2009].

L’activation de PPARα par les ω3 permet donc une réorientation des lipides vers leur catabolisme plutôt que vers leur stockage [Price, et al. 2000]. Nous verrons également par la suite que d’autres effets des ω3 peuvent être médiés par l’activation de PPARγ.

Cependant, la toute puissance des PPARs dans les effets bénéfiques des ω3 sur le métabolisme énergétique a été remise en cause par une étude récente. Des souris soumises à un régime riche en fructose pendant 8 semaines développent une stéatose, due à l’induction de

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l’expression génique d’enzymes lipogéniques, une hypertriglycéridémie et une hypercholestérolémie, accompagnées d’une diminution de l’expression de PPARδ et de PGC1α dans le foie. La supplémentation en EPA+DHA protège les animaux des effets du régime, sans modifier l’expression de PPARα, PPARδ, PPARγ ou PGC1α dans le foie et le tissu adipeux [Karsenty, et al. 2012]. Il serait cependant nécessaire de mesurer l’activation et la translocation de ces récepteurs nucléaires en réponse au régime supplémenté en EPA+DHA afin d’exclure de façon certaine l’implication de ces PPARs dans les effets des ω3 sur ce régime riche en fructose.

Les ω3 peuvent effectivement moduler l’expression de gènes impliqués dans le métabolisme de façon directe. Par exemple, les ω3 peuvent agir sur SREBP-1c de façon directe : le DHA peut, en inhibant l’expression d’Isig2 et de SCAP, limiter la maturation et le transport de SREBP-1c vers le noyau [Botolin, et al. 2006]. Il est aussi capable d’accélérer sa dégradation par la voie du protéasome [Botolin, et al. 2006].

L’amélioration de la sensibilité à l’insuline par les ω3 peut aussi passer par une régulation allostérique de certains acteurs de la signalisation insulinique, plutôt que par une régulation génique. Dans des modèles de cellules neuronales, le DHA est capable d’inhiber JNK et la phosphorylation inactivatrice d’IRS-1 [Ma, et al. 2009], et lorsque des souris sous HFD sont supplémentées en huile de poisson, on observe une diminution de la phosphorylation de JNK et d’IRS-1 dans l’hippocampe [Ma, et al. 2009]. La suppression de l’activation de JNK par les ω3 a également été montrée dans des monocytes [Zhao, et al. 2005], des cardiomyocytes [Shimojo, et al. 2006], et des myoblastes en culture [Ohta, et al. 2012], on pourrait donc s’attendre à ce que les ω3 aient le même effet dans le muscle, le foie ou le tissu adipeux, menant à une diminution de l’insulino-résistance. A ce jour, la diminution de l’activation de JNK par les ω3 n’a pas été déterminée dans ces organes, mais un régime hyperlipidique riche en lipides saturés est capable d’augmenter l’activation de JNK ainsi que la phosphorylation d’RS1 sur une sérine [Svegliati-Baroni, et al. 2006]. Après 1 mois sous ce HFD, une supplémentation en EPA+DHA permet de diminuer l’expression du TNFα, qui est aussi capable d’interférer avec la signalisation insulinique. Cependant, dans cette étude, les effets de la supplémentation sont accompagnés d’une ré-augmentation de l’expression de PPARα, qui est diminuée sous ce régime HFD, on ne peut donc pas exclure l’implication de PPARα dans ce cas précis.

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Ainsi, bien que les nombreuses études menées chez l’animal montrent que les ω3, surtout l’EPA et le DHA, sont particulièrement efficaces pour réduire la prise de poids et de masse grasse sous régime gras, ainsi que la résistance à l’insuline ; leur impact sur la composition corporelle et la sensibilité à l’insuline chez l’Homme est moins net, du à la grande disparité entre les études. Il est possible que des enzymes présentes chez les rongeurs permettant aux ω3 d’exercer leurs effets ne soient pas aussi efficaces chez l’Homme. Un autre élément non négligeable à prendre en compte est la dose utilisée pour les études chez l’Homme, qui est généralement plus faible que celles utilisées dans les études in vitro et animales.

Cependant, les études cliniques et animales combinant la prise d’ω3 combinée avec des programmes de perte de poids [Krebs, et al. 2006], [Spadaro, et al. 2008] ou des traitements antidiabétiques [Horakova, et al. 2012] montrent que les ω3 peuvent optimiser ces traitements, et encouragent à fouiller cette perspective thérapeutique.

De plus, une étude sur myocytes humain en culture a montré un effet très intéressant de l’EPA, qui promeut la flexibilité métabolique, c'est-à-dire qu’il facilite l’adaptation des cellules musculaires au substrat qui leur est apporté. Lorsque du glucose est apporté au milieu de culture, l’EPA promeut la suppression de l’oxydation des lipides, et à l’inverse, lorsque le ratio lipides/glucose est augmenté, il promeut l’augmentation de l’oxydation des lipides [Hessvik, et al. 2010]. La flexibilité métabolique étant altérée chez les patients insulino- résistants [Galgani, et al. 2008], cela ajoute un intérêt supplémentaire à l’utilisation de l’EPA dans la prévention ou le traitement du diabète de type II.

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