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2 .5 Limite des expérimentations en conditions artificielles

3. Réseaux et division du travail dans le contexte de la diffusion de nourriture dans le nid

3.3 Modèle et simulations

Au niveau théorique, peu d’aspects du fourragement ont été étudiés au sein des sociétés d’insectes. Souvent les modèles négligent les spécificités individuelles ou se concentrent sur l’activité de récolte de nourriture et les choix de sources sans intégrer les dynamiques de dissémination et

d’accumulation par trophallaxies dans le nid, processus pourtant fondamentaux dans les régulations de la récolte. En effet les travaux théoriques investiguant la notion de trophallaxie sont particulièrement peu nombreux. Certains travaux expérimentaux s’intéressent à l’accumulation de ressources au niveau global (e.g.,(Buffin et al., 2012; Sendova-Franks et al., 2010)) et y apportant une description phénoménologique du flux de nourriture dans le nid sans intégrer les échanges au niveau individuel et les lois s’exerçant à ce niveau. De nombreux modèles s’intéressent à la diffusion de l’information dans la colonie, par interactions directes ou indirectes (Blonder and Dornhaus, 2011; Pinter-Wollman et al., 2011; Richardson and Gorochowski, 2015; Waters and Fewell, 2012), et à ses implications biologiques. Une seule étude s’est intéressée aux interactions trophallactiques proprement dites sans que ce modèle n’intègre pour autant de paramètres ayant un réel sens biologique (Gräwer et al., 2017). Le travail théorique mené au cours de cette thèse répond à l’absence d’un modèle fondamental et de simulations complètes et réalistes, en capturant les règles à la base des processus d’échanges dans le nid. Notre modèle intégrant un nombre très limité de paramètres et des hypothèses biologiquement pertinentes concernant la trophallaxie, dépasse les multiples limites décrites précédemment et reproduit l’intégralité des attributs du processus de diffusion de nourriture observé dans nos expériences. C’est le cœur même de la notion « d’échange » qui a été étudié dans ce travail, notamment en quantifiant les règles comportementales à l’œuvre lors des interactions entre individus donneurs et receveurs. Pour rappel, le modèle fait intervenir des agents ou entités (les ouvrières) possédant une probabilité de quitter le nid pour se rendre à la source de nourriture et une capacité limitée d’accumuler de la nourriture non-explicitement implémentée. Cette régulation résulte de la modulation de quitter le nid ou d’effectuer un échange en fonction de la charge. L’espace est ignoré. A chaque instant, chaque individu est interrogé, des couples sont formés aléatoirement et un échange a lieu lorsqu’un des deux partenaires accepte de donner et l’autre de recevoir. Ces acceptations déterminées par les fonctions de probabilités. La durée de l’interaction est probabiliste avec une valeur moyenne basée sur des données expérimentales. Ces interrogations sont répétées à chaque pas de temps (seconde) sur une durée d’une heure. Le modèle décrit ainsi dans les termes les plus simples les processus proximaux/locaux à l’œuvre dans la distribution de nourriture à travers la colonie, basée sur des rencontres et des échanges probabilistes et en dehors de tout contrôle central ou d’un quelconque objectif que se fixe la colonie.

Nos résultats concernant la dynamique des échanges et la structure des réseaux, sont en accord au moins d’un point de vue qualitatif, avec la littérature sur les réseaux de trophallaxies (Gernat et al., 2017; Greenwald et al., 2015, 2018; Quevillon et al., 2014; Sendova-Franks et al., 2010). Une adaptation de la valeur des paramètres implémentés dans le modèle devrait pouvoir satisfaire l’aspect quantitatif également. Ainsi, notre modèle reproduit le schéma classique au cours duquel une fourrageuse, de retour de la source peut donner de la nourriture à plusieurs congénères avec une seule charge de nourriture, ces dernières peuvent alors également redistribuer la nourriture précédemment acquise participant ainsi à l’émergence d’un réseau de trophallaxies à travers le nid, réseau dont les individus sont les nœuds et les trophallaxies les liens entre ces nœuds. Les travaux théoriques développés au cours de cette thèse (chapitre 4) ont permis d’aborder un large spectre de problématiques liées à la gestion collective des ressources alimentaires au sein des colonies de fourmis, de la notion de division du travail entre ouvrières fourrageuses et non-fourrageuses, à la répartition du travail au niveau intracaste tout en les intégrant à la dynamique temporelle des échanges et à la structure des réseaux qui en découlent. En effet le modèle rend précisément compte de l’échelle temporelle à laquelle se déroule les évènements de trophallaxies au niveau expérimental et de leur évolution en fonction de l’arrivée de nourriture ou de l’augmentation du niveau de saturation, des aspects rarement investis jusqu’à présent, aussi bien au niveau théorique qu’expérimental. De plus, les hétérogénéités interindividuelles en termes de participation aux échanges, largement observées à travers nos expériences, ont été capturées et finement quantifiées par le modèle et nos analyses, notamment par l’emploi de diverses et robustes méthodes de randomisations. L’originalité de notre travail réside notamment dans le développement et l’utilisation de méthodes expérimentales et théoriques d’études des comportements individuels et collectifs et de leurs liens. De plus ces deux méthodes complémentaires ont été l’objet de confrontations/comparaisons à différentes échelles, d’une grande précision et abordant des problématiques variées autour de la gestion collective des ressources alimentaires dans un système décentralisé, une démarche bien trop rare dans la littérature sur le sujet se réduisant à des travaux expérimentaux (Greenwald et al., 2015; Sendova-Franks et al., 2010) ou à des modélisations aux fondements biologiques très limités (Gräwer et al., 2017). Ceci a permis de déterminer et d’établir dans quelle mesure les dynamiques de récoltes au niveau collectif (Buffin et al., 2012, 2009) émergent des comportements individuels et de caractériser ceux-ci. Ces investigations sont à poursuivre sur des échelles de temps plus longues, au-delà du cadre d’une seule période de récolte,

intégrant l’épuisement des ressources au sein de la colonie ainsi que réorganisations notamment spatiales, opérant dans la colonie sur une période de plusieurs jours. En effet les dynamiques de consommation des ressources restent grandement méconnues, en particulier chez les espèces consommatrices de nourriture liquide stockés dans l’abdomen des individus. L’épuisement des ressources est-il homogène ou hétérogène à travers la colonie ? Des redistributions/échanges permettent-ils une homogénéisation des stocks ou au contraire certains individus se retrouvent fortement affamés et constituent un signal de l’épuisement en cours des stocks ? Ceci permettrait également d’aborder les dynamiques de récolte et distribution au cours de plusieurs évènements successifs et en fonction de l’état des stocks, d’évaluer la pertinence de l’emploi de termes tels que des « couples oscillateurs » et « périodicité » quand il s’agit de qualifier les évolutions spatiales et temporelles, notamment de la mise en activité synchronisée ou non des ouvrières internes et externes au nid (Boi et al., 1999). Ces travaux à « moyen terme » sont pour le moment inexistants au niveau théorique et marginaux au niveau expérimental (Mailleux et al., 2010c), l’essentiel des travaux étant mené sur des périodes d’une à trois heures seulement, un durée non-suffisante à l’observation de phénomènes résultant de l’épuisement des stocks.