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La sédimentation aux Bahamas est caractérisée par des sédiments carbonatés tropicaux peu profonds. Elle est contrôlée à l’échelle locale par l’espace d’accommodation (espace disponible entre le fond du bassin et le niveau marin pour l’accumulation de sédiments), par l’action biologique des organismes, la chimie des eaux. A une échelle régionale, la sédimentation est contrôlée par le climat mais aussi, à une échelle plus globale, par les fluctuations glacio-eustatiques. Au cours des temps géologiques, les interactions gravitationnelles entre la Terre et les planètes géantes (Jupiter et Saturne) du système solaire modifient cycliquement les paramètres orbitaux de notre planète (excentricité, inclinaison et précession des équinoxes), affectent la distribution d’insolation reçue à la surface de la Terre et modifient ainsi le climat (Imbrie et Imbrie, 1970). Les variations cycliques de ces paramètres orbitaux sont responsables des alternances entre les périodes glaciaires et interglaciaires et influencent les enregistrements sédimentaires marins et continentaux à travers le monde.

L’analyse du rapport des isotopes stables de l’oxygène dans les sédiments marins pélagiques renseigne également sur les variations saisonnières des températures des eaux océaniques et du degré d’englacement des continents. A l’image des paramètres orbitaux terrestres, ce rapport

évolue également de manière cyclique et rend parfaitement compte des alternances de périodes chaudes et froides qui ont marqué le Quaternaire. Il est donc possible d’établir une stratigraphie isotopique basée sur les variations du δ18O au cours du temps (Fig. 7). Ainsi, on parlera de SIM (Stade Isotopique Marin) pour l’attribution temporelle des différentes unités carbonatées. Les SIM impairs et pairs caractérisent respectivement les périodes interglaciaires et glaciaires.

Figure 7: Courbe isotopique de l’oxygène illustrant les alternances entre les périodes glaciaires et interglaciaires au cours des derniers 3.2 Ma. Noter le changement des durées des cycles entre le Pléistocène inférieur et le Pléistocène moyen. Le Pléistocène supérieur est compris entre les SIM 5 et 1 (courbe modifiée de Lisiecki et Raymo, 2005).

4.1. sédimentation carbonatée et glacio-eustatisme

Figure 8: Falaise de Glass Window, Eleuthera, illustrant les deux types d’unités stratigraphiques rencontrées aux Bahamas; le personnage à gauche de l'image mesure 1.75 m.

Actuellement, les îles bahamiennes consistent en une succession verticale et/ou à la juxtaposition d'unités carbonatées qui sont principalement représentées par des éolianites (Fig.

8). Ces dépôts éoliens fossiles sont séparés par des niveaux rougeâtres d’épaisseur variable interprétés comme des paléosols de type terra-rossa (Carew et Mylroie, 1991). Un principe fondamental de la géologie des Bahamas, reposant sur un modèle glacio-eustatique initialement développé d’après des observations faites aux Bermudes (Bretz, 1960; Vacher et

Rowe, 1997), veut que les dépôts carbonatés s’accumulent durant les hauts niveaux marins des périodes interglaciaires lorsque le sommet des plates-formes est immergé (Titus, 1983; Carew et Mylroie, 2001). Ces périodes chaudes sont propices à la formation de constructions récifales en rebord de plate-forme. Le développement de ces complexes récifaux et de grands hauts fonds oolitiques représentent les principaux produits de la production carbonatée sur les plates-formes et sont à l'origine de l’accumulation sédimentaire sur les côtes. Durant les glaciations, alors que le niveau marin se situe à plusieurs dizaines de mètres en dessous du niveau actuel (-120 m pour la dernière glaciation; Fairbanks, 1989; Bard et al., 1996), les plates-formes bahamiennes sont complètement émergées et soumises à l’érosion physique et chimique. Les îles occupent à ce moment-là la totalité de la surface des différentes plates-formes et présentent des faces côtières relativement abruptes (correspondant au rebord de la plate-forme). Pendant ces périodes de glaciation, l’érosion est le principal moteur de « modelage » du relief et l’altération chimique favorise ainsi la diagénèse des sédiments carbonatés.

4.2. signification des paléosols

Les paléosols des Bahamas ont été classés en plusieurs catégories (Boardman et al., 1995;

Nawratil-de-Bono, 2008) mais principalement deux d’entre eux sont les plus couramment observés : les paléosols terra-rossa et les protosols calcarénitiques (Carew et Mylroie, 1991).

Le terme de paléosol terra-rossa est réservé pour décrire des formations de sol de couleur rougeâtre à brunâtre contenant d’innombrables structures pédogéniques telles que les rhizolites, les croûtes micritiques, ou calcrètes, et la présence de blocs désarticulés issus du matériel parent. Ce terme caractérise donc des sols très évolués ou matures. Le terme "protosol" est utilisé pour désigner des niveaux sableux non structurés blancs à jaunâtres et pouvant contenir localement d’abondantes coquilles fossiles de gastéropodes pulmonés, les Cérions (Vacher et Hearty, 1989). Ce sont donc des sols immatures. Un autre concept fondamental de la géologie des Bahamas veut que les paléosols terra-rossa se développent pendant des périodes prolongées d’émersion caractéristiques des périodes glaciaires alors que les protosols calcarénitiques seraient le reflet de brèves interruptions de la production carbonatée pendant les périodes interglaciaires (Carew et Mylroie, 1995b). Les paléosols terra-rossa présentent ainsi un intérêt stratigraphique certain mais doivent cependant être utilisés avec précaution dans la reconstitution de l’enregistrement stratigraphique des îles bahamiennes. En effet, les difficultés suivantes peuvent se présenter :

- les paléosols composites : la sédimentation carbonatée sur les îles bahamiennes est souvent discontinue dans l'espace et dans le temps. Certaines surfaces pédogèniques peuvent ainsi représenter plusieurs cycles glaciaires/interglaciaires, et non une seule période glaciaire.

- les sols remaniés : du matériel pédogénique récent peut être remanié par ruissellement dans le fond de certaines cavités karstiques et ne correspond donc pas, dans ce cas, à une période d’émersion prolongée.

- les calcrètes ou sols pénétratifs : ils pénètrent le substrat par l'intermédiaire de réseaux racinaires formant ainsi plusieurs niveaux pédogéniques distincts à l’intérieur d’une même unité carbonatée (Wanless et Dravis, 1989) mais ne représentent pas des épisodes glaciaires distincts.

La signification des paléosols peut être très complexe d’autant qu’une récente étude a démontré que certains niveaux rougeâtres d’aspect conglomératique et riches en argiles, interprétés à tort

comme des paléosols terra-rossa datés du Wisconsinien, représentent en fait un dépôt colluvionnaire d’âge Holocène (Godefroid et al., 2010).

4.3. phases de dépôt durant un cycle eustatique

En raison de la stabilité tectonique relative de l’archipel, les plates-formes bahamiennes ont enregistré dans leurs sédiments les fluctuations glacio-eustatiques qui ont marqué le Quaternaire et même la fin du Tertiaire. Carew et Mylroie (1995b, 1997) ont proposé un modèle empirique de dépôt pour expliquer le développement des îles. Leur modèle, largement utilisé pour les reconstitutions stratigraphiques, distingue trois principales phases dépositionnelles dans un cycle eustatique :

- une phase transgressive : elle est caractérisée par le développement de dunes côtières une fois que le sommet de la plate-forme est submergé. Plusieurs critères permettent de reconnaitre les dunes transgressives : 1/ elles contiennent des structures sédimentaires bien marquées ("grain-fall", "sand-flow" et "pin-stripe laminations"); 2/ elles sont généralement dépourvues de racines et de protosols interstratifiés; 3/ les dépôts marins associés sont rares; 4/ la pétrographie de ces dunes est dominée par les ooïdes.

- une phase de haut niveau marin ("stillstand") : elle correspond à une période de stabilisation du niveau marin. Durant cette phase, les récifs coralliens se développent et la production sédimentaire, dominée par les bioclastes, est élevée. Les dunes côtières accumulées pendant cette phase sont caractérisées par la présence plus importante de racines et de protosols interstratifiés.

- une phase régressive : cette phase est principalement marquée par des éolianites régressives qui se distinguent des autres par une grande abondance de racines. Ce fort développement racinaire s’explique par le besoin qu’ont les végétaux de rattraper la nappe phréatique d’eau douce lors de la baisse du niveau marin.

Chacune de ces phases est caractérisée par une même succession de dépôts allant du subtidal, représenté par des faciès récifaux à lagunaires, au supratidal éolien. Cependant, le modèle de Carew et Mylroie (1997) n’est peut-être pas toujours applicable. En effet, plusieurs études réalisées sur Eleuthera ont permis de démontrer que des dépôts interprétés comme étant caractéristiques de la phase régressive du SIM 5e sont en fait des dépôts plus jeunes datés du SIM 5a (Hearty et Kindler, 1995; Hearty, 1998; Brentini, 2008).