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PARTIE I. L’OFFRE DE FORMATION DES UNIVERSITÉS : UNE FORME

2.1 Modèle des contrats incomplets

La théorie des contrats incomplets trouve ses sources dans la théorie des droits de propriété et dans la théorie des coûts de transaction, en se basant sur l’idée selon laquelle les individus ne peuvent rédiger des contrats complets (Grossman et Hart, 1986 ; Hart et Moore, 1990) et que le fait d’envisager a priori toutes les éventualités et les décisions d’investissements sont coûteuses à spécifier au moment de la rédaction du contrat (voir Encadré 7). Les agents économiques ne sont pas en mesure d’établir des contrats complets prévoyant les droits et les devoirs de chaque contractant en toute circonstance, notamment en raison de leur rationalité qui est limitée et de l’incertitude inhérente à la transaction. En tant que tel, le contrat est donc établi afin de donner un cadre général à la transaction, sans en définir toutes les modalités. En ce sens, il est incomplet, et constitue une structure de gouvernance permettant de gérer la coordination, bien que son incomplétude favorise la manifestation de comportements opportunistes.

2.1.1 Hypothèses fondatrices au modèle contractuel

Les théories contractuelles permettent d’interpréter les organisations à partir de la notion de coopération inter-individuelle, basée sur la notion de contrat. Le contrat se définit juridiquement comme une « convention faisant naître une ou plusieurs obligations ou bien

créant ou transférant un droit réel »124

. La caractérisation de la notion de contrat telle qu’on l’utilise au sein des théories contractuelles est moins formelle. Le contrat représente une

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modélisation à la fois du fonctionnement de l’organisation étudiée, et des relations entre les différents partenaires de cette organisation. Toute manifestation de la coopération entre les partenaires est analysée sous son angle contractuel125 et reste basée sur une hypothèse comportementale forte mais caricaturale (Milgrom et Roberts, 1997, p.35-39), l’opportunisme, les individus étant motivés par le seul intérêt individuel. Le contrat

complet, parfaitement élaboré, permet alors de résoudre le problème de la motivation

individuelle, puisqu’il prévoit l’ensemble des attributions de chacune des parties en présence dans l’organisation, et les modes de distribution des coûts et des bénéfices. Il est optimal pour l’ensemble des partenaires de façon à recueillir leur suffrage et leur participation totale et complète. Ceci signifie alors que l’ensemble des parties doit être en mesure de prévoir toutes les éventualités qui peuvent potentiellement affecter la réalisation et la rétribution du contrat. En tant que dispositif de coordination, le contrat est alors envisagé comme un mécanisme permettant de gérer l’échange des actifs entre les individus et plus largement, leur coordination. Dès lors, il ne saurait être complet et renvoie directement, à l’instar de la théorie des droits de propriété, à la notion d’incomplétude contractuelle.

125« Comme il est d’usage en langage économique, nous qualifierons ces accords de contrats, sans qu’ils soient dotés nécessairement

« Pour se rendre compte de la difficulté que représente la rédaction d’un contrat complet, il suffit d’imaginer le cas d’un étudiant s’inscrivant dans une université pour préparer un diplôme. Un tel contrat est d’une extrême complexité. En premier lieu, les représentants de l’université et l’étudiant doivent évaluer sans ambiguïté toutes les circonstances qui peuvent influer sur leurs relations à venir. L’étudiant, comme l’université, doivent pouvoir décrire ces circonstances sans ambiguïté. Ceci inclut, notamment, les cours que vous souhaitez suivre (en fonction de l’expérience acquise dans les classes antérieures, ainsi de nombreux autres facteurs), des enseignants capables de dispenser ces cours. Il existe d’autres inconnues : les débouchés sur le marché du travail en fonction des diplômes que vous posséderez et des stages réalisés à la fin de vos études ; le coût des repas dans les restaurants universitaires ; l’éventualité d’un tremblement de terre pouvant plus ou moins endommager l’un ou l’autre des édifices du campus ; une guerre entraînant votre mobilisation ; l’assèchement du lac du campus sur lequel vous projetiez de faire de la voile ; enfin, la remise en cause, par une découverte scientifique, de tout ce qui a été enseigné. Cette liste peut être infinie. Chacun de ces événements peut affecter la valeur que vous accordez au statut d’étudiant, votre contribution aux œuvres universitaires en tant qu’étudiant et la nature des actions à entreprendre par les deux parties en vue d’atteindre l’efficacité. Ensuite, vous devez convenir avec l’université des mesures à prendre dans chaque éventualité, les chiffrer, et décider de leur contrepartie financière. Continuerez-vous à suivre un de vos cours principaux si vous détestez le professeur et s’il est le seul à enseigner cette matière ? Quels sont vos frais de scolarité ? Suivrez-vous les mêmes cours et paierez-vous les mêmes droits si vous êtes un joueur de football célèbre, un violoncelliste médiocre de l’orchestre de l’université, ou un passionné de jeux électroniques du club des étudiants ? Que se passe-t-il si vous devenez handicapé ? Ou si l’un des membres de l’université gagne le prix Nobel, ce qui rendrait votre diplôme plus prestigieux ? Ou si l’université est reconnue coupable d’avoir négocié des prix excessifs pour ses contrats de recherche avec le gouvernement ? Ou enfin si la collecte de fonds de l’université est beaucoup plus fructueuse que prévu et que l’université devient extrêmement riche ? »

Encadré 7 : Application des contrats complets au cas de l’université (Milgrom et Robert, op. cité, p.173)

Pour expliquer la difficulté, voire l’impossibilité, de mettre en place des contrats complets (voir Encadré 7), la théorie des contrats incomplets suppose une rationalité

limitée des individus en présence dans l’organisation. Ils agissent ainsi de manière responsable, délibérée et intentionnelle lors d’une coopération mais dans la limite de leurs capacités cognitives et des informations disponibles126. Du fait de l’existence des coûts de transaction associés à la rédaction des contrats ainsi qu’à leur renégociation éventuelle (Hart et Moore, 1990), la contrainte cognitive influe sur le comportement individuel lors de la coopération entre les partenaires au sein de l’organisation. Et les contrats ne peuvent donc être complets dans ces conditions. Parallèlement à la mise en place de ces contrats, les individus cherchent à maximiser leur propre intérêt, et vont donc être tentés d’exploiter de façon opportuniste une situation qui ne sera pas prévue dans le cadre d’un contrat. D’éventuels problèmes de motivation vont alors faire leur apparition en raison d’une coopération inter-individuelle imparfaite. « Le fait de fonder notre analyse sur cette

conception idéalisée nous permet d’affirmer que les problèmes de motivation surviennent seulement parce que certains plans ne peuvent être traduits sous forme de contrats complets et exécutoires. » (Milgrom et

Roberts, op. cité, p.172)

2.1.2 Principe d’efficience au sein des théories contractuelles

Les approches auxquelles nous nous intéressons aux cours de nos développements contribuent de façon plus large à expliquer les critères de choix économiques reposant sur les relations inter-individuelles au sein des organisations. Ces différentes approches positives, qu’il s’agisse de la théorie des droits de propriété ou de la théorie des contrats incomplets comme nous l’avons déjà abordé, ou encore de la théorie de l’architecture organisationnelle comme nous le verrons plus tard, reposent sur l’hypothèse centrale de recherche d’efficacité de la coopération. En clair, une organisation est considérée comme efficiente si elle permet aux individus qui la composent de mettre en œuvre les moyens optimisant leur utilité comparativement aux alternatives possibles, afin de parvenir à minimiser les coûts générés par la coordination des différentes parties en présence et à maximiser les gains issus de la coopération (Charreaux, 1999). Ce raisonnement sous- tend le principe de sélection naturelle qui considère que seules les structures organisationnelles efficientes sont pérennes et survivent à long terme. Dans le cadre des développements de la théorie des droits de propriété et de la théorie des contrats

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Notamment en raison de l’incertitude environnementale caractérisée par une information imparfaite, coûteuse à acquérir ou à transmettre.

incomplets, c’est l’échange des droits de propriété, donc la structure des droits de propriété, qui permet d’atteindre et de caractériser l’efficience. Avec la séparation entre propriété et décision, on voit apparaître des conflits d’intérêts entre les propriétaires (actionnaires) et les non propriétaires (dirigeant), qui engendre une perte de contrôle des propriétaires sur les ressources au profit du dirigeant, entraînant alors une perte d’efficience. Ce type de structure de propriété réduit donc l’incitation du dirigeant salarié à maximiser la valeur de l’organisation.

La théorie des contrats incomplets suppose que les individus ne sont pas à même d’envisager a priori l’évolution de leurs relations, notamment car les décisions d’investissements sont coûteuses à spécifier au moment de la rédaction du contrat (voir l’application au cas des universités, Encadré 7). On peut penser qu’aucune des parties en présence ne possède ex ante une information complète et parfaite sur les résultats de la coopération, ce qui nécessite alors une nouvelle négociation à l’échéance des investissements réalisés, relative à la répartition de la rente créée. Grossman et Hart supposent que les contrats sont incomplets dans le sens où l’usage de tout actif physique ne peut être spécifié dans chaque état de la nature, et postulent que le propriétaire a le droit de décider de l’usage du bien dans les cas non spécifiés dans un contrat127. Dans un tel contexte, on peut alors penser qu’il est plus incitatif pour les contractants de respecter un accord initial en prévoyant avant la réalisation des investissements qui supportera les risques, et par conséquent les pertes ou les gains résiduels128, en cas de modification du contexte environnemental (Fama et Jensen, 1983b). Hansmann (1988) complète cette vision, et définit les propriétaires à partir de deux droits formels : le droit de gérer l’organisation, et celui de s’approprier les gains résiduels, le propriétaire étant alors celui qui détient simultanément un droit de décision résiduel et un droit à l’appropriation des gains résiduels129. Mais comme nous avons pu le voir au chapitre précédent, les universités, comme les autres organisations à but non lucratif, résultent d’une atténuation des droits de propriété, la notion de propriété au sens d’Hansmann différant de la notion de propriété juridique. Dans cette configuration, les individus qui exercent l’autorité

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Le droit de contrôle résiduel augmente la capacité à redéployer les investissements spécifiques en limitant les pertes au cas où les parties ne pourraient trouver un accord.

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Après rémunération des facteurs de production

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formelle sur les décisions résiduelles (droit de contrôle résiduel130) sont exclus du droit d’appropriation des créances résiduelles131, et on peut alors envisager que la séparation de ces deux droits conduise à une atténuation de la propriété, le détenteur du droit de contrôle résiduel n’étant pas incité à valoriser efficacement les intérêts du créancier résiduel (Weisbrod, 1998). On rejoint d’ailleurs ici la notion d’exclusivité des droits de propriété et la fonction incitative qui lui est attachée développées dans la théorie de droits de propriété, que la théorie des contrats incomplets permet d’enrichir132. L’allocation des droits résiduels de contrôle va alors dépendre de la sensibilité des agents face aux incitations marginales à investir ou non dans un actif133. La théorie des contrats incomplets permet d’asseoir la thèse suivante : en univers d’incomplétude contractuelle, l’allocation de droits de propriété résiduels, et donc du pouvoir de négociation ex post, influe sur l’incitation des partenaires à investir efficacement et sur la répartition des surplus résiduels.

La théorie des contrats incomplets contribue donc à définir la propriété à la fois par les droits de décision résiduels et par la répartition des gains ou des pertes résiduels. Les propriétaires ne sont dès lors plus les seuls détenteurs des titres de propriété mais l’ensemble des participants à la relation contractuelle. Un salarié détenant un pouvoir de décision résiduel devient alors partiellement propriétaire, et ne sera incité à produire des efforts que s’il perçoit une partie de la rente organisationnelle. Comme le rappelle Charreaux (2002b), « cette extension de l’analyse aux différents partenaires conduit à accorder une place

centrale aux ressources humaines, en particulier aux dirigeants et aux salariés. » Et l’efficience de la

propriété dépend du caractère incitatif de ces droits dont la nature (exclusivité et aliénabilité) conditionne le comportement maximisateur de leurs détenteurs.