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Influences de la structure de propriété sur les caractéristiques des universités

PARTIE I. L’OFFRE DE FORMATION DES UNIVERSITÉS : UNE FORME

1.2 Influences de la structure de propriété sur les caractéristiques des universités

Le statut particulier de la structure de propriété des universités peut compliquer l’explication des choix d’investissement, notamment en déplaçant l’analyse des établissements aux détenteurs des droits de propriété. L’étude des décisions d’investissement dans les universités a été largement influencée par les analyses issues du secteur privé. Dans My fair lady108, Rex Harrison demande pourquoi « Une femme ne peut-elle

être comme un homme ? ». Il pensait alors que si tel était le cas, elle serait beaucoup plus facile

à comprendre et à vivre. Winston (1997) utilise un schéma similaire appliqué à la comparaison des établissements universitaires et des firmes, et suppose alors qu’il serait beaucoup plus facile de comprendre les universités et d’y vivre. Mais le but premier de sa démarche réside dans l’identification des différences fondamentales qui existent entre les universités et les entreprises privées, afin d’éclairer le fonctionnement de ces organisations publiques à l’aune des théories de la firme. Pour ce faire, il base son analyse sur l’approche développée par Hansmann (1980), qui définit les universités à partir de la contrainte de non distribution, selon laquelle les organisations à but non lucratif peuvent réaliser des profits mais ne peuvent les distribuer à ceux qui les contrôlent, ces organisations n’ayant pas de propriétaires en tant que tels. Comme nous l’avons vu à la section 1.1, à l’inverse de la firme capitalistique, il est particulièrement délicat d’identifier les propriétaires ou les détenteurs de créances résiduelles à l’université, et le marché ne représente qu’un outil limité de contrôle des dirigeants. Milgrom et Roberts (1997, p.377- 378) nuancent cependant cette remarque, notamment en fonction de la complexité de l’organisation étudiée. « Bien que la notion de propriété définie comme un contrôle résiduel puisse

paraître relativement claire et logique pour un actif simple (…), elle devient plus ambiguë lorsqu’il s’agit d’un actif complexe comme une grande entreprise. En effet, ces dernières regroupent un nombre important d’actifs et il est difficile de savoir à qui reviennent les différents droits de décision. » L’Université ne représenterait

donc pas un cas si différent du cadre managérial classique tel qu’on peut l’observer dans les organisations complexes du secteur privé ou public, et on peut penser qu’en tant qu’institution pérenne109, elle a vraisemblablement permis l’émergence de mécanismes de contrôle alternatifs au marché110 afin de résoudre les différents problèmes qui peuvent émerger entre les parties prenantes (Brown, 1997).

Dans cette optique, McCormick et Meiners (1988) se sont interrogés sur les effets des différentes formes organisationnelles sur la productivité. L’un des paradigmes de la théorie des droits de propriété suppose que le marché du travail ou le caractère diffus du système décisionnaire ne permettent pas de fournir des produits de grande qualité. McCormick et al. voient deux variables centrales à la base de ce paradigme : l’horizon de réalisation et le système d’incitations directement lié à l’aliénabilité des droits de propriété. Les horizons de décision des décideurs étant limités et finis, ceux-ci ne sont généralement pas enclins à intégrer la valeur actuelle de tous les coûts et bénéfices à leurs calculs. De sorte que les NPO ont tendance à délaisser les projets dont la valeur actuelle nette est positive, et investissent plus volontiers sur des projets dont l’ensemble des coûts ne sera réalisé qu’à long terme111. Parallèlement, le caractère inaliénable des droits de propriété sur le cash-flow limite les incitations des dirigeants et des membres de la coalition112 dans les organisations publiques, tendant à limiter l’efficience de l’organisation.

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La Sorbonne a été fondée en 1257 à Paris. Elle tient son nom du théologien français Robert de Sorbon (1201-1274), chapelain de Saint Louis. L’université (universitas) de Paris vit le jour, sous l’égide du clergé, dès le début du 12ème siècle avec les accords de Latran. Elle fut aussi à l’origine une école de théologie et de philosophie dont les professeurs étaient rémunérés par les étudiants venant de nombreux pays.

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Du moins en ce qui concerne le cas français, qui nous intéresse ici, puisque les dirigeants et les managers ne sont pas des professionnels à l’inverse de l’enseignement supérieur privé (à l’exception des Secrétaires généraux et des chefs de service administratif), mais des enseignants qui prennent en charge la gestion de l’institution. Nous aborderons ce thème au cours de la Partie I.Chapitre 2.2.2.

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Ce type de comportement est archétypique dans le cas des décisions politiques liées à la protection de l’environnement. Les élus doivent prendre des décisions coûteuses à court terme dont les résultats et les profits ne sont perçus qu’à un horizon lointain, bien après l’échéance du mandat du décideur politique. On peut faire une analyse identique chez les producteurs de Cognac en Charente (ou chez les sylviculteurs) qui produisent et élèvent les jus qui ne seront commercialisés qu’à la génération suivante (voire à deux générations). Ils supportent ainsi les coûts d’exploitation sans pouvoir en tirer les bénéfices à court terme.

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Cette situation peut d’ailleurs apparaître dans la sphère privée, mais il existe des solutions, comme les plans d’épargne d’entreprise, qui font coïncider les horizons de réalisations des managers et celui de la firme.

Mais si le mode de décision collectif est inefficient, on peut alors s’interroger sur le fait que l’Université soit organisée de la sorte ? Fama et Jensen (1983a) trouvent une réponse dans le fait que beaucoup d’universités américaines sont financées par les donations, limitant par la sorte les revendications des donateurs et les coûts de production (les produits –enseignements, recherche… - peuvent alors être délivrés à moindre coûts). Les établissements qui perdurent sont ceux qui sont en mesure de minimiser leurs coûts de production, notamment en limitant leurs coûts d’agence, et les donations contribuent à permettre d’atteindre cet équilibre. Bien que les établissements soient habilités à recevoir ce type de financements, les donations et les legs sont assez peu répandus en France et les universités ne sont pas organisées de façon homogène. Dans de nombreux établissements, les décisions majeures sont prises par les conseils composés de représentant des étudiants et des personnels, alors qu’elles sont prises par les administrateurs dans d’autres écoles ou instituts. L’étude de McCormick et Meiners montre d’ailleurs un impact négatif des charges administratives sur les caractéristiques pédagogiques et scientifiques. En effet, d’après leur étude, les enseignants qui participent le plus activement au management et à la gestion de leur institution sont ceux qui publient et enseignent le moins et le moins bien. Il est cependant particulièrement difficile d’identifier et de contrôler la production de ce type d’organisation à partir du schéma développé par Alchian et Demsetz (1972), notamment en raison du caractère intangible du produit113 (voir Encadré 6). Coleman (1973) décrit les universitaires comme un groupe d’employés semi-autonomes, qui ne marquent qu’un attachement limité à leur employeur114. Afin de courtiser ces individus, les universités n’utilisent pas seulement l’argument salarial, puisque celui-ci est fixé en France par l’administration centrale en fonction d’une grille indiciaire prenant en compte l’ancienneté dans le grade, mais insistent sur les conditions de travail, l’accompagnement scientifique de la recherche, les décharges d’enseignement (les carrières étant gérées en grande partie sur des critères scientifiques) et l’accueil dans les laboratoires (Clotfelter, 1999).

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Ainsi, un chercheur qui regarde fixement par la fenêtre n’est pas nécessairement en train de « tirer aux flancs ». Il peut être en train d’élaborer un raisonnement nécessaire à l’évolution de ses recherches ou simplement en train de regarder les oiseaux voler (McCormick et Meiners, op. cité, p.426). A l’opposé, un ouvrier d’une chaîne de montage qui regarde par la fenêtre durant son temps de travail est certainement en train de tirer aux flancs.

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La principale base de recouvrement de la créance résiduelle réside dans la rétribution de la performance. Mais il est généralement difficile d’évaluer la performance d’une firme en dehors du secteur marchand (Weisbrod, 1988, p.46), a fortiori dans le cadre des universités. Le principe même de récompense à la performance devient alors problématique et laisse place à un système de récompense différent basé sur des codes professionnels d’éthique (médecins) ou sur des rémunérations catégorielles (enseignants). Devant la difficulté à produire une mesure complète du produit créé, l’État rétribue ainsi les enseignants de façon catégorielle. Ce système de rétribution permet de limiter les risques liés à l’opportunisme quant à la qualité des produits fournis (enseignement, recherche…), mais s’avère assez peu incitatif.

Ce phénomène est accentué par les modalités de gestion de carrières des universitaires, dont l’avancement dépend quasi exclusivement de la recherche et de l’ancienneté, et relativement peu des activités d’enseignement (bien que l’on puisse penser qu’il existe une corrélation positive entre enseignement et recherche)115. La difficulté de la mesure du produit tient notamment à l’intangibilité de la production et du transfert de capital humain (Boidin et al., 1995). Cette difficulté est encore accrue par le fait qu’une partie du produit fourni est détruite lors de sa consommation et que le processus de production fait intervenir de multiples parties prenantes (étudiants, enseignants).

Encadré 6 : Recouvrement de la créance résiduelle dans les universités par les enseignants

La participation des membres du corps enseignant aux décisions de gestion et d’investissement des établissements permet de faire appel à leur expertise, notamment en termes de curricula (contenus et programmes des formations). Mais en faisant des enseignants les créanciers résiduels de l’université, l’État, en tant que véritable détenteur des droits de propriété, leur permet de contrôler les décisions des dirigeants et de l’administration. Ces décisions de gestion pouvant avoir un impact sur le déroulement de la carrière des enseignants (avancement, accès à la première classe…) notamment à partir des opportunités d’enseignement et des responsabilités administratives qu’ils peuvent

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De nombreux groupes de pression (dont les syndicats) militent pour une uniformisation des salaires à l’Université. Ceci pose de nombreux problèmes ; parmi ceux-ci, on peut noter le manque d’engagement des enseignants dans la gestion administrative des établissements et les problèmes liés à l’intégration et à la rémunération de professeurs associés à titre temporaire, qui sont généralement des personnalités extérieures à la l’université et à la fonctions publique (notamment dans le cadre des formations professionnalisées ou de la formation continue). On peut cependant noter un certain nombre de propositions destinées à remettre en question ce mode de gestion de la rémunération des enseignants à l’université (Esperet, 2001).

endosser, il y a un risque que ceux-ci agissent ici avec opportunisme116 lors des choix d’investissement ou des décisions inhérentes à l’organisation administrative de l’université. Pour Hansmann (1996, p.238), une NPO dirigée par un Conseil d’administration constitué exclusivement de membres élus en interne représente le degré ultime de la séparation entre propriété et contrôle. Les managers sont à même d’agir sans aucune supervision d’un groupe ou d’individus étant intéressés à l’utilisation des revenus résiduels et on peut alors s’attendre à ce que les coûts d’agence soient maximaux. On peut d’ailleurs noter ici que ces coûts d’agence existent dans les organisations à but lucratif. Ainsi, afin de faire face à la compétition et à la concurrence qui peut exister entre les différents offreurs de formation, les universités doivent développer des modes de contrôle internes alternatifs afin de minimiser les coûts d’agence. Ces coûts sont principalement contrôlés par des individus représentant des institutions qui participent à la prise de décision au sein des conseils délibératifs117 des établissements universitaires, en raison du montant de leur participation, évaluée par rapport au coût d’opportunité qu’ils supportent à prendre part aux réunions et à la préparation de ces réunions. Pour Fama et Jensen (1983a et b), les membres des conseils deviennent les créanciers résiduels de l’université. En tant que tels, ils ont la légitimité et les incitations, notamment par rapport à des aspects honorifiques et à l’utilisation alternative qui pourrait être faite de l’actif, à contrôler leurs collègues. Cependant, la haute spécialisation des produits de l’université et la grande diversité de ceux-ci rendent particulièrement difficiles toute surveillance et évaluation de la qualité des produits. À cet égard118, Brown (1997) suggère que les membres du corps enseignant sont prêts à dispenser beaucoup de leur temps dans le fonctionnement des institutions et principalement dans l’activisme au niveau des organes décisionnaires (CA, CEVU, direction de d’institut…) car cela leur permet, indépendamment des coûts d’opportunité, de s’attribuer une partie de la valeur créée par l’Université. Ils deviennent des créanciers résiduels partiels119, et agissent comme s’ils détenaient une partie des droits de propriété. En revanche, certaines fonctions ne permettent pas de gérer les ressources qui sont liées à l’activité de l’université et ne représentent qu’une plus-value honorifique. Il s’agit notamment des postes de doyens d’UFR qui couvrent un domaine

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Les agents sont réputés opportunistes, au sens de Williamson, et peuvent faire preuve de comportement de triche, de mensonge ou de distorsion volontaire de l’information afin de maximiser leur propre utilité.

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CA, CEVU, Conseil scientifique.

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Brown reprend ici l’argument du capital organisationnel développé par Cornell et Shapiro (1987), qui intègrent d’autres partenaires à l’analyse de la décision et au risque de conflit.

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d’activités essentiellement pédagogique, et les incitations liées à cette fonction sont donc relatives, comme nous le verrons dans les prochaines parties.

On peut cependant noter que toutes les organisations ne possèdent pas de propriétaires, au sens juridique du terme, ce qui est plus particulièrement le cas des institutions dépourvues de but lucratif (Hansmann, op. cité, p.228), où aucun individu ne participe à la surveillance et à la répartition des revenus résiduels de l’institution. De nombreuses organisations relèvent ainsi de ce type de statuts, à l’instar de certaines entreprises publiques, des hôpitaux ou, et c’est ce qui nous intéresse ici, des universités. Ainsi, dans ce type d’organisations, les individus qui détiennent les sources de contrôle120 ne peuvent s’approprier ou percevoir de revenus résiduels pécuniaires de la firme. L’ensemble des individus qui contrôle l’organisation ne peut se répartir le bénéfice net de l’exploitation121. Cependant, les individus qui travaillent au sein de la NPO ont la possibilité d’être rétribués sous forme de salaires par l’organisation ; mais ils ne peuvent pas s’approprier les revenus résiduels pécuniaires de la NPO. Tous ces revenus doivent contribuer à financer les services pour lesquels l’organisation a été constituée. Dans le cadre des universités françaises, ces services sont définis juridiquement par la loi 84-52 relative à l’enseignement supérieur122.

Le recours aux théories contractuelles peut également présenter un certain nombre de difficultés conceptuelles et les analogies économiques élaborées à partir du modèle de la firme privée ne peuvent être que d’un faible secours pour comprendre le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur (Winston, 1999). Parmi les problèmes émergeant alors, Winston note les coûts d’agence ; en effet les responsables d’institution sont prêts à investir une grande partie des ressources de l’organisation pour maximiser leur propre utilité. Alchian (1977, p.187) rappelle à ce propos que l’une des méthodes utilisées par les responsables de diplômes pour accroître leur utilité est d’accepter de substituer la maximisation de leur utilité à la maximisation de leurs bénéfices et des profits de leur institution, ce qui signifie notamment pour eux « une vie plus

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La notion anglo-saxonne de control peut prendre différentes significations en français. La fonction de

contrôle regroupe ainsi la fonction de gestion de la décision ou contrôle de la décision, et celle de

surveillance ou contrôle de la performance.

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Il est à noter ici qu’il ne s’agit en aucun cas pour le législateur d’empêcher la réalisation de profits, mais simplement de proscrire la répartition de ceux-ci entre les individus qui contrôlent la NPO. Ce point est notamment soulevé par Hansmann (1996) et mérite notre attention, car le législateur insiste davantage sur la contrainte de répartition.

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tranquille, plus agréable bien que moins profitable »123

. Il reconnaît que la principale différence entre l’université et les autres formes organisationnelles tient dans la mauvaise identification des créanciers résiduels. Mais dès lors que l’on définit les organisations de façon large à partir des décisions et des gains résiduels, on peut élargir la notion de

propriétaire et postuler que toute organisation est dotée de propriétaires. La notion de

propriété dépasse alors largement celle de propriété juridique.

Universités Firmes privées

Produit Difficilement mesurable Facilement mesurable

Structures des

droits de propriété Atténuée Incomplétude contractuelle forte Formelle Incomplétude contractuelle faible

Tableau 2 : Comparaison universités-firmes privées

Le Tableau 2 présente une comparaison succincte des structures de propriété privée et des établissements universitaires. Dans le cadre des universités, les partenaires que représentent l’État, les collectivités et les entreprises (notamment via le versement de la taxe d’apprentissage) sont très mal placés pour évaluer et contrôler la qualité des produits fournis par l’université aux consommateurs directs cette dernière catégorie étant généralement totalement inconnus des donateurs. Cependant les financeurs privilégient les organisations, comme les universités, qui de par leurs statuts ne permettent pas de distribuer les surplus organisationnels à leurs managers (membres), particulièrement en raison de la difficulté et du coût du contrôle pour ces parties prenantes (Weisbrod, 1988, p.30). En revanche, la contrainte de non distribution ne prévient pas des risques d’opportunisme de la part des agents et n’assure en aucun cas à un financeur, qu’il s’agisse de l’État, d’une collectivité ou d’une entreprise, que les fonds qu’il a versés soient utilisés comme il l’entendait.

2 L’université à l’aune des modèles contractuels

La prise en considération du système de droits de propriété dans les organisations débouche sur l’intégration des caractéristiques des groupes d’individus en relation au sein de ces organisations, permettant de prendre en compte la dynamique spécifique de la

relation qui unit les différentes parties prenantes. Le fondement des analyses contractuelles se trouve donc directement relié aux transferts des droits de propriété, et permet d’analyser la négociation permanente dans le jeu des relations internes et externes à l’organisation. Et le contrat devient un élément central de l’analyse des organisations. Ainsi, à défaut de connaître le futur et de pouvoir prendre des décisions rationnelles, les agents ne s’engageront sur le marché (du travail, du crédit, de la formation, etc.) qu’à travers des contrats négociés entre eux, tout en intégrant la dimension liée à l’asymétrie informationnelle. La théorie des contrats incomplets fait directement référence aux fondements de la théorie des droits de propriété, notamment en partageant l’hypothèse d’efficience, mais contribue largement à l’enrichir.