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Modèle d’équilibre/échappement de la tumeur au système immunitaire

En 1970, Burnet a proposé ce concept d’immunosurveillance [52] : Le système immunitaire pour- rait protéger contre le développement des cancers d’origine non virale. Aujourd’hui de nombreuses données, chez la souris comme chez l’Homme, montrent l’importance du système immunitaire inné et adaptatif. En effet, les patients immunodéprimés (comme dans le cas du SIDA ou de transplanta- tion d’organes) ont une fréquence plus élevée de cancers [53]. Toutefois, la présence d’une tumeur cliniquement détectable suggère l’échappement de la tumeur. C’est le concept de l’immunoediting. Il existe trois phases : élimination, équilibre et échappement [54].

La première phase, la phase d’élimination ou d’immunosurveillance, consiste à la reconnaissance et à l’élimination des cellules transformées par le système immunitaire inné et adaptatif. La deuxième

La surveillance du système immunitaire inné

L’initiation de la réponse immunitaire débute lorsque le système immunitaire inné est alerté. Smyth et al. proposent que ce soit la dislocation de l’intégrité du tissu qui induit la sécrétion de molécules pro inflammatoires [55]. En effet, le développement d’une tumeur déclenche un remode- lage du stroma, des mécanismes d’angiogénèse, une invasion tissulaire. Les signaux inflammatoires et les chimiokines peuvent être produites par la tumeur elle-même [56].

Selon Matzinger, les cellules dendritiques agissent comme des sentinelles en surveillant le stress tissulaire, les éventuels transformations ou dommages et les signaux de danger comme les HSP (heat shock proteins) (relâchées en cas de dommage cellulaire ou de nécrose), des produits de la dégrada- tion de la matrice extracellulaire ou des facteurs pro inflammatoires [57]. Un de ces signaux permet l’activation et la maturation des cellules dendritiques qui le perçoivent, initiant ainsi la réponse im- munitaire.

Les cellules NK (natural killer), les macrophages, les lymphocytes T γδ, ou les NKT (natural killer T) peuvent être directement recrutés au site de la tumeur. Ces cellules peuvent reconnaitre des molécules tumorales par l’intermédiaire de leurs récepteurs. Elles ont une activité cytotoxique et sé- crètent des cytokines qui amplifient la réponse immunitaire, notamment de l’IFNγ et de l’IL-12. Bien que peu étudiées, les cellules de l’immunité inné sont importantes pour une réponse immunitaire anti- tumorale. Les NK, NKT, les lymphocytes T γδ et les neutrophiles sont nécessaires. En effet, les souris déficientes sont plus susceptibles de développer des tumeurs [58] [59]. Chez l’Homme, les patients atteints du syndrome de Chediak-Higashi ont un risque 200 fois plus élevé de développer des tumeurs. Ces malades ont une mutation dans le gène CHS-1 (Chediak-Higashi syndrome 1) qui intervient dans la sécrétion des lysosomes. Cela a pour conséquence une fonction anormale des cellules NK [60]. La perforine, impliquée dans la cytotoxicité, peut aussi être sujette aux mutations. Ces patients, dont la perforine n’est plus fonctionnelle, ont des prédispositions aux lymphomes [61]. Les NK sont aussi im- portants chez l’Homme. En effet, des combinaisons particulières d’allèles HLA et de KIRs (Kiler-cell Immunoglobulin-like Receptors) prédisposent à des cancers cervicaux [62].

La surveillance du système immunitaire adaptatif

Les cellules présentatrices d’antigènes, recrutées et activées au site tumoral, vont migrer vers les ganglions lymphatiques où elles vont induire l’activation des lymphocytes naïfs spécifiques des an-

FIGURE5 – Les mécanismes d’échappement de la tumeur au système immunitaire

Mécanismes d’échappement de la tumeur au système immunitaire

Le processus qui conduit à l’apparition d’une tumeur est long et progressif. Durant tout ce temps, les cellules tumorales subissent la pression du système immunitaire. Elles développent ainsi progres- sivement différentes stratégies leur permettant d’échapper au système immunitaire. On peut distinguer

progresser pendant des années sans déclencher de signaux de danger. Ainsi le nombre restreint de cellules dans les tumeurs de petites tailles ne doit pas permettre de déclencher une réponse immuni- taire. De plus, l’absence de "phase aigu d’infection" peut contribuer à une faible activation précoce du système immunitaire inné. Par conséquent, le déclenchement d’une réponse immunitaire adaptative dirigée contre la tumeur peut être retardé et altéré. Cette ignorance est donc passive.

Pour échapper à la réponse immunitaire médiée par les lymphocytes T, les cellules tumorales ex- priment plus faiblement le CMH de classe I. Elles peuvent aussi diminuer l’expression des molécules impliquées dans l’appretement des antigènes et dans leurs présentation par le CMH de classe I (figure 5). Ainsi, les expressions de TAP1 (transporter associated with antigen processing 1), LMP2 (low- molecular-mass protein 2), LMP7 et la tapasine sont progressivement perdues lors du développement des carcinomes colorectaux [63]. Certaines tumeurs peuvent également transférer les antigènes tumo- raux de la surface membranaire dans le cytoplasme. Les antigènes sont alors inaccessibles et donc invisibles au système immunitaire. Il a été également suggéré que les cellules cancéreuses antigé- niques soient enfouies au coeur de la tumeur solide. D’autre part, le stroma de la tumeur pourrait empêcher le relargage efficace des antigènes tumoraux [64]. Les cellules tumorales peuvent égale- ment induire la formation de la sialomucine, une mucoprotéine qui entoure et masque les antigènes tumoraux de surface [65]. La sialomucine est un composant normal du soi, ce qui empêche toute activation du système immunitaire.

Échappement immun par tolérance

Lorsque la tumeur n’est plus capable d’esquiver sa détection par le système immunitaire, elle peut induire une tolérance de celui-ci (figure 5). Elle peut agir sur les cellules présentatrices d’antigènes ou sur les lymphocytes T. C’est un mécanisme actif.

La tumeur peut mettre en place des mécanismes qui vont empêcher l’initiation de la réponse im- munitaire. Ils visent essentiellement à réduire le potentiel stimulateur des cellules présentatrices d’an- tigènes. Ainsi de nombreux mécanismes empêchent la maturation des cellules dendritiques. En effet, les cellules dendritiques immatures sont immunosuppressives tandis que matures, elles deviennent ac- tivatrices. De nombreuses études montrent que la différenciation et la maturation de ces cellules sont altérées par de nombreux facteurs présents dans le micro environnement tumoral. La plupart de ces facteurs sont sécrétés par la tumeur elle-même. L’IL-6 et le M-CSF (macrophage colony-stimulating factor) produits par certaines tumeurs inhibent l’activité de présentation antigénique des cellules den- dritiques en induisant la différenciation de leurs précurseur en macrophages [66]. Le VEGF est connu

d’adhésion intercellulaire ICAM-1 et de costimulation B7.1 et B7.2. L’IL-10 est également impliquée dans l’apoptose des cellules dendritiques, soit directe, soit causée par l’intermédiaire des cellules NK. Comme l’IL-10, le TGFβ est impliqué dans l’inhibition de la maturation des cellules dendritiques. L’IL-10 altère également la qualité de la réponse immunitaire adaptative. En effet, l’IL-10 inhibe la production de l’IL-12 par les cellules dendritiques et les monocytes et de l’IFNγ par les cellules NK. L’établissement d’une réponse de type Th1 est bloquée, déviant ainsi vers une réponse de type Th2.

La tumeur peut également agir sur le système immunitaire adaptatif. Elle vise à inhiber les fonc- tions effectrices des lymphocytes T. Les cytokines IL-10 et TGFβ sont toutes deux impliquées dans la génération des lymphocytes T régulateurs. Les Treg ainsi formés, produisent à leur tour ces deux cyto- kines, soutenant et amplifiant l’environnement immunosuppresseur de la tumeur. Ils expriment aussi à leur membrane CTLA-4 molécule inhibitrice qui interagit avec les molécules de co-stimulation B7 des cellules dendritiques. Immunosuppressives, celles-ci secrètent de l’IDO (indoléamine-2,3 dioxy- génase) qui bloque la progression du cycle cellulaire des lymphocytes T. Les cellules tumorales sont également capables de produire de l’IDO [72]. Le TGFβ agit directement sur les lymphocytes T : Il induit la diminution de l’expression des gènes clés de leurs fonctions effectrices, comme la perfo- rine, les granzymes A et B ou l’IFNγ. Les cellules tumorales peuvent interagir directement avec les lymphocytes T grâce à des récepteurs membranaires. Ainsi, la molécule de costimulation négative B7-H1 exprimé par de nombreuses cellules tumorales, est impliquée dans la mort des lymphocytes T effecteurs au site tumoral [73]. En effet, son ligand PD-1 est plus exprimé par les lymphocytes T effecteurs que par ceux en phase précoce d’activation. Ceci pourrait expliquer que les signaux induits par PD-1 induisent l’anergie des Lymphocytes T naïfs lors de la présentation des antigènes par les cellules présentatrices d’antigènes mais induisent la mort cellulaire des lymphocytes T effecteurs au contact de la tumeur. Un autre récepteur RCAS1, peut être également exprimé par certaines tumeurs et a été impliqué dans l’apoptose des lymphocytes T effecteurs antitumoraux [74].

Échappement immun par résistance à l’apoptose

Les cellules tumorales développent également des mécanismes leurs permettant de résister à la lyse par le système immunitaire (figure 5). La sur-expression d’inhibiteurs ou de molécules anti- apoptotiques et des récepteurs leurres sont des mécanismes utilisés par les cellules tumorales. Par exemple, la sur-expression de la PI9 (serin-Protease Inhibitor 9) bloque efficacement l’apoptose induit par la perforine et les granzymes B [75]. Les récepteurs de mort, comme FasL ou la caspase 8 ansi que les molécules intervenant dans la voie apoptotique comme p53 [76], peuvent être moins exprimés ou muté à la surface de la cellules tumorales. Un inhibiteur de la caspase 8, FLIP (FLICE-like inhibitory protein), peut être sur-exprimé. Les cellules tumorales peuvent aussi produire DCR3, un récepteur soluble liant et neutralisant FasL. Il existe aussi des récepteurs leurres TRAIL (TNF-related apoptosis-

pable d’utiliser le système immunitaire et ses molécules pour sa progression. Ainsi, dans des modèles murins, les lymphocytes T CD4 contribuent à la carcinogénèse [77].

Les cellules tumorales bloquent les réponses immunes de type Th1, déviant ainsi la réponse vers une réponse de type Th2. Or IL-4, une cytokine de type Th2, peut induire une sur-expression de molé- cules antiapoptotiques comme FLIP et BCL-XL par la tumeur. Ce mécanisme a été montré dans des cancers humains de sein, prostate et vessie [78]. La tumeur attire des cellules immunitaires immatures ce qui crée un environnement immunosuppresseur : Des antigènes tumoraux comme gp100, MUC1 ou CEA attirent les cellules dendritiques. En effet, la gp100 se fixe sur un récepteur de chimiokine, CCR2 [79]. Toutefois les antigènes tumoraux n’induisent pas la maturation des cellules dendritiques. Les médiateurs pro-inflammatoires comme la β-defensine ou la chimiokine CXCL12, sécrétés par le système immunitaire, recrutent au site tumoral des cellules dendritiques plasmacitoïdes (pDC) et des cellules vasculaires. Or ces deux types cellulaires contribuent à l’angiogénèse : Les VLC en se diffé- renciant en cellules endothéliales en présence de VEGF et les pDC en sécrétant du TNF et CXCL8 (ou IL-8) cytokines pro-angiogeniques [80]. L’Il-8 induit également la prolifération cellulaire da la lignée cellulaire CaCo2 par l’intermédiaire du récepteur au facteur de croissance épidermique, EGFR [81].